Secteur public : Des conditions salariales sous pression depuis 35 ans

2015/12/07 | Par Yvan Perrier et Michel Rioux

L’offre salariale du gouvernement du Québec à ses salariées syndiquées s’inscrit dans une trame historique peu édifiante, qui remonte à 1979. Elle correspond à rien de moins qu’un mauvais traitement salarial. Pourquoi en est-il ainsi ? Peut-être parce qu’il s’agit de secteurs – l’éducation, la santé, les services de garde – où les femmes comptent pour plus de 75% du personnel. Manifestement, les libéraux semblent habités par un biais sexiste… Mais ce travers n’est pas nouveau. Depuis 35 ans, quiconque œuvre dans le secteur public et parapublic au Québec a vu les différents gouvernements s’attaquer à la rémunération des travailleuses et travailleurs syndiqués. C’est ce que nous allons démontrer.

En 1979, le gouvernement a réduit la portée de la clause d’indexation des salaires.

En 1982-1983, il a imposé une coupure de salaire de 19,5% pour une période de trois mois, accompagnée d’un gel de salaire pour la première année d’application de la convention collective. Le gouvernement a de plus modifié unilatéralement les régimes de retraite.

Sous prétexte que les finances publiques seraient mises à mal, le gouvernement libéral a invoqué en avril 1991 la croissance du déficit public. Sous la menace d’une loi spéciale, une entente de principe est intervenue, prévoyant une prolongation de six mois de la convention collective. Une augmentation de 3 % devait s’appliquer au dernier jour de la convention collective, le 1er juillet 1992.

En février 1992, dans un contexte où la récession perdurait, le président du Conseil du trésor invitait les organisations syndicales à renoncer à l’entente conclue pour la remplacer par une nouvelle prolongation comportant des concessions salariales. Les parties convenaient, en mai, d’une nouvelle prolongation d’un an de la convention collective ; l’augmentation salariale de 3 % au 1er juillet 1992 était maintenue.

En mai 1993, le gouvernement du Québec déposait le projet de loi 102 visant à prolonger les conventions collectives pour une période de deux ans. La masse salariale était amputée de 1 % pour les années 1993-1994 et 1994-1995. En décembre 1993, la loi 102 prenait effet rétroactivement au 1er avril 1993. Les employés municipaux, des sociétés d’État, du transport en commun, des institutions d’enseignement privé, d’Hydro-Québec, des universités etc., étaient aussi visés par la loi. En juin, le gouvernement du Québec adoptait le projet de loi 198 prévoyant une réduction de 12% du personnel de la fonction publique avant avril 1998.

Pendant la première année de son mandat, le PQ a abrogé la loi 198 et est parvenu, en septembre 1995, à une entente avec les syndicats. Cette entente prévoyait l’abrogation de la loi 102 à compter d’octobre 1995 et des augmentations salariales de 1% en 1997 et en 1998.

En mars 1996, le gouvernement Bouchard convoquait un sommet pour mobiliser la société autour de l’objectif de l’élimination du déficit, lançant à cette occasion divers chantiers sur la fiscalité et l’emploi. Un deuxième sommet portant sur l’emploi était organisé en novembre 1996. Au lendemain de ce sommet, le gouvernement, suite au consensus quant à la nécessité du déficit zéro pour 1999-2000, convoquait les organisations syndicales pour réclamer des économies de 6% sur les coûts de main-d’œuvre dans les secteurs public, parapublic et péripublic. Vers la mi-décembre, le gouvernement et les organisations syndicales conviendront d’une entente sur un programme de départs volontaires. L’objectif visé était l’élimination de 15 000 postes à temps complet.

En avril 1998, plus de 36 000 personnes s’étaient prévalues de ce programme. À ce programme s’ajoutera une récupération de 100 millions de dollars sous forme de congé sans solde de 1,5 jour avant le 31 mars 1997. En janvier 1997, cette obligation de récupérer l’équivalent de 6 % de la masse salariale sera étendue à tous les organismes publics et aux municipalités. À la fin de mars 1997, une entente était conclue. Le gouvernement adoptera une loi spéciale, la loi 104, pour mettre au pas les syndicats récalcitrants.

Le contrat de travail des employés des secteurs public et parapublic arrivait à échéance le 30 juin 2003. Le Front commun réclama alors des hausses salariales de 12,5 % étalées sur trois ans. Le gouvernement offrit 12,6 % sur 6 ans, incluant le coût de la facture de l’équité salariale. Dans les faits, le gouvernement demandait aux salariés de l’État de payer le coût de l’équité salariale en rognant sur de modestes hausses de salaire qui ne dépasseront pas l’inflation.

Le 14 décembre 2005, le Premier ministre annonçait la convocation, pour le lendemain, de l’Assemblée nationale afin de faire adopter une loi spéciale imposant par décret les conditions de travail et de rémunération des 536 100 employés des secteurs public et parapublic. C’est dans le cadre de cette loi spéciale, la loi 142, que les conventions collectives sont «renouvelées» jusqu'au 31 mars 2010. Les salaires sont augmentés de 2%. Rien n’est prévu pour les années 2004 et 2005. Le droit de grève des salariés est retiré et on met en place diverses sanctions ayant pour but d’empêcher l’exercice de tout moyen de pression dans les secteurs public et parapublic jusqu’au 31 mars 2010.

L’entente intervenue le 25 juin 2010 comportait les paramètres salariaux suivants: une augmentation salariale fixe de 6 % sur 5 ans et des ajustements salariaux additionnels de 4,5 % (1% pour tenir compte de l’inflation et un éventuel 3,5% si l’économie du Québec progressait de plus de 17 %, de 2010 à 2013 inclusivement). Dans les faits, les hausses de salaire n’auront été que de 7,5 % durant cette période.

Nous sommes entrés dans une nouvelle négociation dirigée cette fois par le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux. C’est dans ce cadre que le président du Conseil du patronat soutenait récemment que «40% des employés du secteur public bénéficieront d’une augmentation moyenne de leur rémunération de 3,6% en 2016». Ce que monsieur Yves-Thomas Dorval omettait de signaler, c’est que 60% de ces employés devront se contenter d’une augmentation famélique de 1%, selon le plus récent scénario gouvernemental.


Un volet jurisprudentiel

Un jugement de la Cour suprême rendu en janvier 2015 a cependant apporté un éclairage nouveau sur ces négociations. S’appuyant sur un jugement rendu en Colombie britannique, la juge Rosalie Abella a statué que «les employés du secteur public ne devraient pas être tenus de subventionner la collectivité ou le secteur d’activité dans lequel ils travaillent en acceptant des salaires et des conditions de travail médiocres. [...] [t]out compte fait, si la collectivité a besoin d’un service public et l’exige, ses membres doivent assumer ce qu’il en coûte nécessairement pour offrir des salaires justes et équitables et ne pas s’attendre à ce que les employés subventionnent le service en acceptant des salaires médiocres ». (Notre traduction). La juge Abella ajoutait qu’il fallait aussi prendre en compte les salaires versés pour des tâches similaires dans d’autres domaines d’activité, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. En clair, l’offre du gouvernement Couillard à ses salariés syndiqués (0%, 1%, 1%, 1%, 0%), s’inscrit dans un cadre qui vise la baisse des impôts.  Cette proposition n’est pas «  inconstitutionnelle ».  Force, cependant, est de constater qu’elle s’éloigne des critères énoncés par la juge Abella, dans sa dissidence, qu’elle a rédigée dans le jugement Meredith.

La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT) soutient de son côté que même en pleine crise financière, il y a des limites aux restrictions que les gouvernements peuvent imposer aux salaires du secteur public qui font l’objet de conventions collectives.

Il semble bien qu’Aurélie Lanctôt, qui vient de recevoir le prix Pierre-Vadeboncoeur pour son essai Les libéraux n’aiment pas les femmes, a tout à fait raison…