Liberté, égalité (?), fraternité

2016/02/16 | Par Michel Rioux

Quand l’Assemblée nationale française adopte la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le 23 août 1789, la canicule a envahi les rues de Paris et l’odeur de la poudre, qui continuait depuis cinq semaines de s’échapper des ruines fumantes de la Bastille, prenait encore les passants à la gorge. Une gorge qu’ils avaient par ailleurs plutôt irritée, les passants, par tous ces chants révolutionnaires qui enivraient un peuple sous le coup d’un émerveillement provoqué par autant de changements, aussi espérés que subits.

Mais qu’avait-elle donc de si révolutionnaire, cette Déclaration, pour ainsi jeter en transes des citoyens jusque-là paisibles et soumis, pour ne pas dire dociles et amorphes ? Il y a que dès le départ, dans son article premier, elle prenait de front tout ce qui depuis des siècles avait régi les rapports humains. « Les hommes naissent libres et égaux en droits ; les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité publique. »

Depuis, on s’en réclame sous toutes les latitudes. On chante la liberté dans toutes les langues ; et la fraternité se porte relativement bien, dans cette époque plutôt portée sur la convivialité.

Mais de l’égalité, la partie centrale de ce drapeau de feu qui claque dans la tourmente humaine depuis plus de deux siècles, qu’en est-il advenu ?

Idéaliste et pacifiste, l’écrivain français Henri Barbusse a peut-être mis le doigt sur quelque chose d’essentiel en écrivant que la liberté et la fraternité sont des mots, tandis que l’égalité est une chose. On constate en effet, sans qu’il ne soit nécessaire de commander un sondage Léger, que dans l’ensemble, la liberté et la fraternité, si elles pourraient bien sûr se mieux porter, ne font quand même pas problème au premier chef.

Mais ce sondage Léger viendrait certes nous confirmer que côté égalité, ça ne tourne pas rond. Pour tout dire, ça ne va pas du tout. Car si le citoyen québécois d’aujourd’hui se considère relativement libre et vivant dans une société relativement fraternelle, il ne lui viendrait pas à l’esprit de prétendre que l’égalité règne. Prend alors tout son sens la réflexion de La Fontaine, à savoir que selon que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront blanc ou noir…

Des inégalités flagrantes, il s’en présente tellement qu’il est impossible de les ignorer. Jusqu’au FMI et l’OCDE qui constatent que les inégalités sociales et économiques représentent de gros problèmes !

On apprenait le mois dernier que les chèques de centaines de retraités seront bientôt amputés d’environ 25 % à la suite de la faillite de la minière Cliffs Natural Resources, à Sept-Îles. Plusieurs se retrouveront dans une situation financière critique. «Je touche 998 $ bruts par mois de pension. Un an et demi après avoir pris ma retraite, j’ai eu le cancer. Si je n’avais pas été malade, je n’aurais pas eu besoin de débourser 1000 $ par année en médicaments. Je dois les payer de ma poche, car on nous a coupé l’assurance », s’est plaint un travailleur. Des cas semblables sont relevés tous les jours.

À la tristesse vient s’ajouter la rage quand on se souvient que l’ineffable Yves Bolduc avait touché 215 000 $ pour prendre en charge des patients abandonnés après qu’il a été réélu, et à qui on a gentiment remis une prime de 150 000 $ quand il a démissionné dans le déshonneur. Et que dire de ce maire Gilles Vaillancourt, accusé de gangstérisme, à qui on a versé 247 000 $. Et de Frank Zampino, accusé de fraude, qui a reçu 168 000 $. Et de Michael Applebaum, accusé de fraude et de corruption, fort de 268 000 $ à son départ. Et de Gilles Deguire, dernier démissionnaire en date, accusé d’agression sexuelle sur une mineure, qui reçoit 146 000 $.

Et les patrons ? À 13 h 11 le 2 janvier, les 100 Canadiens les plus riches avaient déjà touché ce que le citoyen moyen mettra un an à gagner. Et les médecins, à qui on a versé « par erreur » plus de 400 millions $ ? Quand on pense au sort réservé par le gouvernement Couillard aux écoles, aux employés municipaux, aux services de garde, aux assistés sociaux, il y a certes inégalité dans les traitements.

Le soir du 24 décembre 1993, les employés du Holiday Inn Crown Plaza, à Montréal, étaient avisés de ne pas se présenter au travail le lendemain, la compagnie 123 456 Canada Inc., propriété de Michael Rosenberg étant mise en faillite. Remplacée sur le champ par la compagnie 234 567 Canada Inc. Il aura fallu 43 mois de résistance pour que ces travailleuses et ces travailleurs retrouvent leurs emplois et leur syndicat CSN. Or, ce même Rosenberg n’a pas payé un sou d’impôt sur des revenus de 11,8 millions $ en 2006. Il avait essuyé des « pertes d’affaires » dans sa filiale aux Bahamas…

Victor Hugo : « La première égalité, c’est l’équité. Qu’y a-t-il donc au-dessus de la justice ? L’équité. »