Exclusif : Le gouvernement musèle les propriétaires de ressources intermédiaires

2016/02/19 | Par Rose St-Pierre

L’aut’journal a appris que la Commission des Relations de Travail a accepté hier soir une ordonnance de sauvegarde soumise par le gouvernement du Québec empêchant les propriétaires de ressources intermédiaires affiliés à la Centrale des Syndicats Démocratiques de faire quelque moyen de pression que ce soit.

L’ADRAQ-CSD représente des centres d’accueil pour adultes hébergeant des personnes lourdement handicapées et des gens aux prises avec de graves problèmes de santé mentale. Le gouvernement verse de l’argent à ces ressources plutôt que d’envoyer ces personnes en institution afin de favoriser leur réinsertion sociale. Le syndicat est présentement en négociations avec le gouvernement suite aux compressions budgétaires annoncées par l’administration Couillard.

En janvier dernier, le gouvernement a annoncé vouloir diminuer de 50% la rétribution de maintien pour les associations qui ont signé, avant le 31 décembre 2015, une entente de 5 ans. Ce montant baisse à 0% pour la 2e, 3e, 4e et 5e année.

Les ressources représentées par l'ADRAQ-CSD ont refusé de signer et ont donc été coupées de 100% dès le 1er janvier en refusant l'offre du Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS). Les pertes vont jusqu’à 10,000$ par mois. Déjà quatre maisons hébergeant 22 enfants et adultes gravement handicapés ou souffrant de problèmes de santé mentale ont fermé leur porte à Montréal.

La CSD avait mobilisé, au cours des dernières semaines, tous les propriétaires de ressources intermédiaires qu’elle représente de Chaudière-Appalaches à la Gaspésie, en passant par la Montérégie et Montréal. C’était la toute première fois que les ressources intermédiaires faisaient des moyens de pression. Il n’y avait donc aucune jurisprudence en la matière.

En entrevue avec l’aut’journal, Chantal Groulx, porte-parole de l’Alliance des ADRAQ-CSD et elle-même propriétaire depuis 7 ans d’une maison d’accueil pour handicapés et déficients intellectuels, nous confie que la mobilisation avait été ardue : « Nous avons téléphoner à chaque propriétaire, encourageant chacun à se tenir debout. Nous avions prévu des moyens de pression qui n’affecteraient aucunement nos résidents. Nous n’avons jamais fait de moyens de pression dans le passé. Mais cette fois, il nous semblait crucial de se mobiliser. Nous croyions que cela aurait pu aider les négociations, apporter un peu de reconnaissance pour les propriétaires. C’était aussi une façon de s’unir. Nous travaillons tous dans nos maisons respectives, isolés les uns des autres ».

L’ADRAQ-CSD ne prévoyait que deux moyens de pression : ne pas prendre de rendez-vous non urgent avec un intervenant avant 18 h 30 et cela seulement 3 soirs semaines. Ce moyen de pression visait à dénoncer les 7,75 heures payées par jour aux propriétaires, qui sont pourtant responsables de leurs résidents 24 h sur 24. « Reporter les rendez-vous en soirée avec les intervenants rappelle que nous sommes toujours au travail et que nous sommes particulièrement surchargés de jour. Cela n’aurait eu aucun impact sur nos usagers. »

Le syndicat prévoyait aussi délaisser les rendez-vous de routine et inviter les éducateurs à accompagner l’usager. « On désirait faire reconnaître cet aspect de notre travail : nous accompagnons tous nos usagers à leur rendez-vous de routine, pendant qu’un autre responsable, que nous avons préalablement engagé, prend notre relève à la maison. Nous veillons à tout, nous sommes des accompagnateurs fidèles pour tous nos usagers. Ça fait partie des nombreux aspects de notre travail, qui ne semble pas reconnu par le gouvernement. Bien évidemment, en cas d’urgence, nous aurions nous-mêmes accompagnés l’usager. »

Mais le gouvernement juge que les ressources intermédiaires sont un service essentiel et s’oppose à tout moyen de pression. On prive donc le syndicat de tout moyen d’expression. Le cri du cœur de ces propriétaires dévoués est étouffé.

 

Historique syndical

En juin 2009, le gouvernement du Québec a adopté la Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur les régimes de négociation d’une entente collective les concernant et modifiant les diverses dispositions législatives. Cette loi, présentée par Lise Thériault à l’époque, reconnaissait l’Association des familles d’accueil et des ressources intermédiaires et leur permettait enfin de défendre leurs droits et de négocier une première entente collective.

« C’était essentiel pour nous, souligne Mme Groulx. Nous ne sommes reconnus ni comme salariés, ni comme travailleurs autonomes, ni comme une entreprise. On n’a pas de statut et on a tout à aller chercher. Aucune norme du travail ne nous protège. On n’a même pas le droit à l’équité salariale, pas de droit de grève et on ne peut pas se plaindre de harcèlement psychologique au travail! Tous les travailleurs du Québec y ont droit, sauf nous! »

L’ADRAQ-CSD a signé sa première convention collective en 2012 qui prenait fin en mars 2015. « Voilà pourquoi ça brasse en ce moment. Nous sommes en négociation de notre deuxième convention collective. »

Si la première convention collective a permis la reconnaissance de l’importance de la contribution des ressources intermédiaires à la réalisation de la mission des établissements du réseau québécois de la santé et des services sociaux, les gains en termes de conditions de travail étaient limités.

« En tant que propriétaires de ressources intermédiaires, nous sommes extrêmement isolés. Le climat de peur et les menaces peuvent avoir un effet important sur nous. Les propriétaires sont des personnes dévouées et malheureusement nous sommes aussi vulnérables. On connait trop peu nos droits. »

Le gouvernement, à l’époque, avait donné plus de ressources aux familles d’accueil qui étaient plus nombreuses. Les ressources accueillant des clientèles plus lourdes ont subi des pertes financières importantes depuis la signature de cette entente. Les coupures arrivent alors que les propriétaires essuient de constantes baisses de salaire depuis 2 ans et survivent, comme sur respirateur artificiel, à l’aide d’une mesure de maintien qui prolongeait jusqu’à la fin de 2015.

Mais en décembre dernier, Québec a offert de ne renouveler que 50 % du supplément financier pour la première année, puis 0 % pour les 4 années suivantes.

« Je pensais sincèrement que le gouvernement, en toute bonne foi, maintiendrait la mesure de maintien pendant les négociations. C'est comme si le gouvernement voulait la fin des ressources en famille d'accueil pour les plus handicapés de la société et un retour vers l'institutionnalisation. Il n’y a nulle part où couper. Nous n’avons que des frais fixes! Hypothèque, taxes, nourriture, chauffage, électricité… Déjà, la plupart des ressources ne prennent pas de journée de congé parce que ça coûte trop cher. »

D’autant plus que l’ADRAQ-CSD est la seule association encore debout, puisque plusieurs syndicats ont accepté l’entente. « Les associations qui ont signé une entente se sont protégées du maraudage et n'ont rien obtenu de substantiel pour leurs membres. C'est triste pour ces ressources. »

Les propriétaires représentés par la CSD demandent d’être payés au moins pour 12 h de travail. « C’est la moindre des choses. On ne demande qu’un peu de reconnaissance pour toutes les responsabilités que nous avons. Nous ne pouvons même pas revoir la grille de classification liée à notre salaire. »

Depuis 2 ans, les ressources intermédiaires observent une déclassification des grilles de classification, c'est-à-dire une baisse flagrante de la cote attribuée aux usagers en fonction de la gravité de leur cas lors de l'évaluation annuelle. Les cas sont fréquemment revus à la baisse et cela provoque une diminution de la rétribution pour les propriétaires. Toutefois, impossible d’apporter ce point à la table de négociation.

Après 20 rencontres, le gouvernement n’a toujours rien à offrir . « C’est très difficile », nous confie Mme Groulx. Il semble que le gouvernement ait le mandat clair de ne rien concéder.

Chaque fermeture d’une ressource intermédiaire provoque de graves effets sur les usagers. Actuellement, aucune nouvelle ressource n’est prévue pour ces résidents qui devront retourner en CHSLD ou à l’hôpital. Cela affectera grandement leur qualité de vie.

« Nous arrivons à construire, aux fruits de multiples efforts et avec les années, une belle relation de confiance avec les usagers. Nous les comprenons, nous arrivons à subvenir à leur besoin, et ce même s’ils ne peuvent pas parler. Ils font du bénévolat, sortent, sont impliqués dans leur communauté. Ce qui les attend, en institution, c’est probablement la surmédicamentation et la contention. Ils doivent rester tranquilles quand il y a 50 patients sur l’étage. »

Perdant toute routine, tous repères réconfortants, étant arrachés de leur milieu de vie dans un domicile, ces usagers verront assurément leur qualité de vie se dégrader, tout comme leur état. « C’est un retour en arrière. »

Le plus choquant, pour Mme Groulx, c’est qu’un résident en ressource intermédiaire coûtera 5 fois moins cher à l’État qu’en institution. « Je peux héberger 5 personnes pour le prix d’une en institution. Dans le fond, on assure une vie la plus normalisante possible, un accompagnement personnalisé et une qualité de vie pour 5 fois moins cher. Qu’est-ce qu’ils ont alors à s’acharner sur les familles d’accueil? Il n’y a pas d’argent à chercher ici! Regardez plutôt du côté des paradis fiscaux! »

Si les coupures annoncées par le gouvernement se font faussement sous le couvert de l’austérité, Mme Groulx ne comprend pas ce qu’on cherche. Faut-il faire vœu de pauvreté pour s’occuper des handicapés? « On abuse de personnes qui ont beaucoup de compassion. Ils ont un droit de vie et de mort sur nous. Nous ne sommes pas équipés solidement pour nous défendre. »