Rio Tinto Alcan et la sous-traitance

2016/02/24 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur adjoint d’Unifor.

À la fin du mois janvier, j’ai appris que Rio Tinto Alcan (R.T.A.) au Saguenay mettait fin à un contrat avec un de ses sous-traitants. Résultat : 26 de nos membres perdront leur emploi vers la mi-février.

Certains diront que c’est bien malheureux, mais qu’il n’y a pas de quoi appeler sa mère. C’est chose fréquente dans le domaine des affaires, chaque jour des entreprises changent de sous-traitant avec pour conséquence que des personnes perdent leur emploi et que d’autres sont embauchées ou sécurisent le leur. C’est la loi de l’offre et de la demande de l’économie de marché.

Mais il vaut la peine d’y regarder d’un peu plus près.

Nous avons 26 travailleurs à l’emploi du sous-traitant E.L.S. Ce sont 26 techniciennes et techniciens en chimie analytique et biomédicale. Des techniciens qui possèdent, selon le cas, des DEC en chimie analytique et en sciences biomédicales, des baccalauréats en biochimie et, pour deux d’entre eux, des maîtrises en chimie.

Ils ont été avisés par leur employeur qu’ils perdaient leur emploi en raison des coûts trop élevés de la main-d’œuvre. C’est la raison invoquée par R.T.A. pour mettre un terme au contrat avec la compagnie E.L.S.

E.L.S. est un sous-traitant de R.T.A. depuis sept ans, à titre de fournisseur de personnel de laboratoire. Ses employés, techniciennes et techniciens, sont syndiqués et leur convention collective comprend une échelle salariale, qui varie entre 16 $ et 20,40 $ de l’heure pour une moyenne de 19 $ de l’heure.

Avant que R.T.A ait recours à la sous-traitance, le travail de technicien en chimie analytique était effectué par des salariés de l’Alcan. À cette époque, en 2006, ces salariés de l’Alcan étaient rémunérés environ 40 $ de l’heure pour effectuer le même travail que celui sous-traité par la suite à E.L.S.

R.T.A a conservé à son emploi quelques techniciens de laboratoire. Ils sont syndiqués et gagnent environ 47 $ de l’heure, soit plus du double des salariés de E.L.S.

Mais R.T.A. ne se satisfait pas des économies réalisées avec le contrat de sous-traitance à E.L.S. La multinationale vient, en effet, de résilier le contrat accordé à E.L.S. et l’octroyer à un autre sous-traitant, Global Tech, qui a soumissionné à un coût moins élevé que E.L.S.

Quand on demande à la direction de R.T.A. d’expliquer pourquoi elle octroie le contrat à une autre firme alors que celle, avec laquelle elle fait actuellement affaire, effectue un travail de qualité à un coût deux fois inférieur à celui de ses propres salariés, on nous répond de façon laconique : « Le changement de sous-traitant fait partie d’une décision normale dans le cadre des opérations de l’entreprise. Le contrat arrivait à échéance et nous avons lancé un processus d’appel d’offres. Nous avons retenu les firmes qui répondent le mieux à nos besoins ».

Certains diront que, bien que quelque peu immorale, la démarche de R.T.A. est conforme à la pratique d’une entreprise soucieuse de contrôler ses frais d'exploitation. Que le nouveau sous-traitant Global Tech embauchera, lui aussi, des techniciens de laboratoire et que certains travailleurs de l’entreprise E.L.S. trouveront peut-être du travail chez le nouveau sous-traitant. Après tout, c’est ça la vie ! Il y a des gagnants et des perdants ! L’important, c’est de se retrousser les manches et de travailler fort !

Mais l’histoire ne se termine pas là. Le nouveau sous-traitant Global Tech a réussi à obtenir le contrat avec une soumission plus basse, mais il n’a aucun technicien de laboratoire à son emploi !

Dans les faits, il compte embaucher les anciens salariés de E.L.S.! D’ailleurs, à peine quelques jours après avoir appris qu’ils perdaient leur emploi, les nouveaux chômeurs étaient sollicités pour faire exactement le même travail pour ce nouvel employeur, et ce, pour un salaire inférieur, bien entendu ! Il faut bien que quelqu’un fasse les frais de cette soumission à moindre coût!

En résumé, nous avons des techniciennes et des techniciens de laboratoire qui, en 2006, gagnaient 40 $ de l’heure. Ils ont été peu à peu remplacés, lors des départs par attrition, par un sous-traitant, qui rémunère ses salariés à 19 $ de l’heure, en moyenne. Ce dernier est, aujourd’hui, évincé par un autre sous-traitant, qui propose du travail à ces mêmes salariés, à un taux de rémunération encore plus bas !

Ces travailleurs, bien que hautement qualifiés, ont la malchance de travailler en région, ce qui limite leur choix, quant au nombre d’endroits où ils peuvent postuler un emploi.

De plus, pour s’assurer que les employeurs puissent bénéficier d’une main-d’œuvre bien docile, nos bons gouvernements fédéraux ont, au fil des ans, modifié le programme d’assurance-emploi, de sorte qu’un travailleur en chômage ne puisse refuser un emploi qui lui est offert, sous peine de se voir couper ses prestations.

Nos bons amis de la droite, pour qui le jeu de l’offre et la demande fait foi de tout, n’hésitent pas à rogner le filet de protection sociale afin de miner l’avantage dont un travailleur pourrait bénéficier en raison de sa compétence ou de la pénurie de main-d’œuvre.

En fait, tout est mis en place pour que les employeurs aient accès à une main-d’œuvre docile.

L’histoire de ces 26 travailleurs n’est pas unique. R.T.A. fait affaire avec des dizaines de sous-traitants et le Canada compte des milliers d’employeurs comme R.T.A., qui font tout ce qu’ils peuvent pour avoir une main-d’œuvre au plus bas coût possible.

Pour ceux qui l’aurait oublié, ce sont ces mêmes entreprises qui, au Canada, sont assises bien confortablement sur un coussin de liquidités non utilisées, qui dépasse maintenant les 600 milliards de dollars.

La moindre des choses serait que l'on rétablisse, le plus rapidement possible, un régime d'assurance-emploi qui garantisse aux travailleuses et aux travailleurs, ayant perdu leur emploi, l’accès à un revenu de remplacement décent, le temps de se trouver un autre emploi. Et, surtout que ce régime mette les travailleurs à l’abri du chantage que des employeurs pourraient exercer sur eux.