La novlangue à Radio-Canada

2016/03/03 | Par Claude G. Charron

La novlangue, telle que décrite par George Orwell dans son roman 1984, se propage assez bien par les temps qui courent dans notre monde occidental.

En 2006, un certain Alain Bihr avait publié La novlangue néolibérale ou la rhétorique du fétichisme capitaliste. Cette novlangue particulière est en effet très en vogue ici comme ailleurs, mais il y en a une autre qui se développe occasionnellement à Radio-Canada.

Cela survient surtout quant les évènements font que la question de la langue et de l’identité revient sur le tapis de l’actualité. Ces jours-ci, ce type pernicieux de novlangue a été fortement entendu suite à la parution de Mauvaise langue, un essai percutant écrit avec beaucoup de fébrilité par un certain Marc Cassivi.

Il n’en fallu pas plus pour que, sans arrêt, vibre le cellulaire du chroniqueur de la Presse. À Radio-Canada, recherchistes et animateurs…enfin tout le monde se l’arracha. Voulu l’avoir à son émission. Grande réussite: le matin du 28 février, il était l’invité de Franco Nuovo à Dessine-moi un dimanche. Et à Tout le monde en parle en soirée. Et voilà que deux jours plus tard, on le retrouva à Gravel le matin.

À chacune de ces rencontres, notre chroniqueur culturel a apposé des noms à sa liste noire des « chevaliers de l’apocalypse linguistique ». Aux Mathieu Bock-Côté et Christian Rioux de ce monde, il a peut-être oublié Finkielkraut - trop loin et par trop franchouillard, peut-être - mais n’a cependant pas omis d’y placer le nom de Jacques Parizeau, le Parizeau du « Nous » au soir de la défaite référendaire.

Lors de ces trois entrevues, on a vite compris que, si Cassivi se proclame indépendantiste, il semble être de la frange Québec solidaire du mouvement. « Cachez cette question identitaire que je ne saurais voir », semble-t-il nous dire.

Parce que peu dangereux pour l’unité canadienne, Cassivi est d’un « indépendantisme » très acceptable pour Radio-Canada. Tout autant que le baisé de Judas que notre homme donne à la loi 101, laquelle il déclare pourtant tant chérir.

Cassivi nous dit que son temps de jeunesse vécu dans le West-Island a fait qu’il communique maintenant en franglais avec ses frangins. Va pour les Anglais pure laine qui, de l’avis de Cassivi, seraient tous devenus bilingues dans ce haut lieu du Québec bashing, mais quand on lui demande ce qu’il pense du fait qu’au Carrefour Laval, on aborde également et de plus en plus les clients avec un « Bonjour, Hye», il s’en félicite.

Ce que Cassivi oublie de dire, c’est qu’à Laval, la plupart de ces commis interpellant ainsi les clients sont ce qu’on appelle encore des « enfants de la Loi 101 ». Et s’ils abordent ainsi les gens de ces anciens villages ayant jadis été très majoritairement francophones, c’est parce qu’un trop grand nombre de ces jeunes tournent radicalement le dos à la culture québécoise, refusent mordicus que le français deviennent la langue commune au Québec.

Et l’indépendantiste Cassivi de ne pas voir que, de par leur choix de décider où cocher leur bulletin de vote lors des prochains scrutins, fera que Laval deviendra for ever une grande tache rouge sur la carte électorale. Comme à Brossard. Au grand plaisir des Couillard et Justin de ce monde.

Avec cette omniprésence sur les ondes radio-canadiennes de Cassivi à l’occasion de la sortie de son pamphlet, on y retrouve la novlangue qui, pour l’occasion, s’installe à toutes les émissions de Radio-Canada traitant de ce chaud sujet. Exactement comme à l’époque du débat sur la Charte des valeurs.

Novlangue que ce côté archi-complaisant des Franco Nuovo et Guy A. Lepage dans leur incapacité de démontrer à Cassivi comment son discours est farci de contradictions. Mais n’en voulons pas trop à ces deux animateurs sachant trop qu’ils marchent sur des œufs quand ils doivent traiter de ces questions avec leurs invités.

On ne sait que trop bien que ces deux personnalités, qui ont été si proches de Bourgault dans les derniers mois avant son décès, n’ont point la capacité comme lui d’appeler un chat un chat quant il s’agit de traiter de certains sujets à Radio-Can. On ne peut quand même pas toujours parler de la guerre en Syrie. Ou de Donald Trump!

Mais comme il faut quelques fois parler de ces questions là, on invite un personnage comme Cassivi ayant le culot de dire que c’est d’abord par son vécu qu’il a l’impression que le français progresse dans la grande région de Montréal.

Comment se fait-il qu’on se base ainsi sur les impressions d’un scribouilleur à la solde de la famille Desmarais, mais que personne ne pense à le confronter avec des scientifiques de haut calibre, tels que l’Anglo-Ontarien Charles Castonguay et le Belgo-Québécois Marc Termotte qui ont tous deux, largement et avec grande rigueur, démontré que le français recule dans la grande région de Montréal. Et en Outaouais.

Dire que ce genre de débats existe encore au moins un peu à Télé-Québec, mais que malheureusement les émissions de Christiane Charette et de Bazzo n’existeront plus dans quelques mois. On se rappelle que quand cette dernière personne animait à la place de Gravel le matin, Mathieu Bock-Côté avait encore ses entrées à Radio-Can. Maintenant on préfère de loin le caricaturer tant à Laflaque qu’À la semaine prochaine.

Il parait que les Québécois n’aiment pas la chicane. On en a pris acte à Radio-Canada : pas de véritables débats sur les questions très controversées qui pourtant les concernent à un haut point puisqu’il y va de leur avenir en tant que société distincte en Amérique du Nord.

Vive la novlangue en ce domaine. Et tant pis pour la lente et progressive louisianisation du Québec. Le Canada de Justin en vaut bien la chandelle.