Des syndicalistes répliquent aux propos des ministres Vallée et Thériault sur le féminisme

2016/03/04 | Par Rose St-Pierre

Quelques jours avant la célébration de la Journée internationale des femmes, les ministres Stéphanie Vallée et Lise Thériault, respectivement ministre de la Justice et ministre responsable de la condition féminine, ont déclaré, lors d’entrevues, qu’elles refusaient l’étiquette de « féministes ».

Mme Thériault se dit en effet plus « égalitaire » que féministe alors que Mme Vallée considère que « l’objectif, ce n’est pas d’être supérieure, c’est d’être égalitaire »… ce qui en a renvoyé plusieurs à leurs dictionnaires. Nous avons questionné plusieurs représentantes syndicales à ce sujet.

Entretiens avec des femmes plus que jamais féministes, et fières de l’être.

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« Se dire égalitaire, mais ne pas vouloir se dire féministe, c’est un problème. »

  • Lucie Martineau, présidente générale du Syndicat fonction publique et parapublique du Québec et membre du Conseil du Statut de la Femme

« Bien sûr que je suis féministe. » Lucie Martineau se décrit d’entrée de jeu comme une militante syndicaliste et féministe. Pour elle, le féminisme c’est tendre à ce que les hommes et les femmes jouissent des mêmes droits. « Se dire égalitaire, mais ne pas vouloir se dire féministe, c’est un problème. »

Il semblerait, malheureusement, que le terme « féministe » ait été galvaudé. « Ma fille croyait, avant qu’on en discute, qu’être féministe renvoyait seulement aux militantes des années 70 qui brûlaient leurs brassières… »

Pour Mme Martineau, mis à part ces formes de manifestations, c’est le message porté par ces femmes qui est important. On colle trop souvent ce que ces femmes défendaient à des formes de manifestations qu’on connote de façon négative.

« Ce que ces femmes défendaient, et ce qu’on défend toujours, c’est l’égalité entre les sexes. Une fois qu’on comprend ça, c’est difficile de ne pas s’identifier comme féministe. »

Et les obstacles à l’égalité persistent toujours. « Ce sont les droits qui sont les plus longs à acquérir qui sont les premiers à être retirés. » Les politiques d’austérité du gouvernement Couillard en font d’ailleurs la démonstration.

« On sacrifie des années de luttes féministes. » Pour Mme Martineau, les femmes sont triplement touchées : soit comme utilisatrices de programmes et services coupés, soit comme travailleuses dans ces secteurs, soit qu’elles ne profitent pas des mesures de relance économique, comme le Plan nord ou les investissements dans les infrastructures.

« C’est pourquoi je rappelle souvent à ma fille que nous devons être très vigilantes et faire attention aux droits qui ont été difficilement acquis. Nous ne devons rien tenir pour acquis. »

Et les obstacles à l’égalité demeurent nombreux : « Ce n’est pas vrai qu’il suffit de dire, oui, vas -y! Il ne suffit pas de le souhaiter, ce n’est pas qu’une question de volonté. Des obstacles demeurent et ça prend des mesures incitatives et, oui, les quotas peuvent être une mesure nécessaire dans ce cas. »

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« L’obstacle principal concerne le changement des mentalités. Dans certaines sphères, on considère encore que certains métiers doivent être occupés que par des hommes. »

  • Nancy Rail, présidente provinciale pour la section locale 2000 du Syndicat des employé-es de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec.

« Le féminisme pour moi, c’est la lutte pour l’avancement des femmes. Et, bien entendu, je me considère comme féministe. » Mme Rail reconnait que beaucoup de travail reste à accomplir pour les féministes au Québec : « L’obstacle principal concerne le changement des mentalités. Dans certaines sphères, on considère encore que certains métiers doivent être occupés que par des hommes. » Et quand ces impressions sont partagées par des dirigeants d’entreprise, l’impact est encore plus grand.

« Au sein du milieu syndical cependant, on observe une belle évolution, conséquence de l’énorme travail fait par nos prédecesseures. » Mme Rail souligne que les luttes pour l’égalité salariale ont porté fruit et que de plus en plus de femmes occupent des postes décisionnels.

Cela dit, si une femme veut s’investir dans milieu syndical, cela demeure difficile : « Il faut valoriser l’apport des femmes et démontrer qu’elles sont capables d’occuper des postes décisionnels. C’est important de transmettre notre passion, et d’informer nos consœurs sur les difficultés qu’elles peuvent rencontrer. »

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« La socialisation, on en parle davantage dans les groupes de femmes et ce n’est malheureusement pas un sujet très développé dans la société en général. C’est presque tabou. »

  • Véronique De Sève, 3e vice-présidente à la Confédération des syndicats nationaux (CSN)

« Je fais mon coming-out; je suis féministe! », lance Mme De Sève en riant. « Cela ne fait aucun doute, dès lors qu’on travaille pour l’égalité entre les hommes et les femmes, lorsqu’on milite pour que chacun ait les mêmes opportunités, on est féministe! »

Pour cette vice-présidente de la CSN, la sensibilisation aux questions féministes est venue par l’action syndicale. « J’ai eu le choix de mes études, du métier que j’exerce. Et j’ai longtemps considéré ça comme des preuves que l’égalité était atteinte. Mais quand je suis devenue syndicaliste, c’est là que je suis devenue féministe parce que j’ai découvert qu’il reste encore de grandes inégalités entre les hommes et les femmes. »

En effet, les femmes sont toujours les principales victimes de violence conjugale au Québec (et de loin, soit dans un peu moins de 80 % des cas). Les récentes fugues de jeunes adolescentes nous ont aussi rappelé que les filles sont aussi plus victimes d’exploitation sexuelle.

L’égalité salariale n’est toujours pas atteinte (le revenu d’emploi des femmes travaillant à temps plein toute l’année correspond à 75,3 % de celui des hommes). Les femmes ont plus de responsabilités familiales et elles dirigent 76 % des familles monoparentales (les statistiques sont tirées du Portrait des Québécoises du Conseil du statut de la femme).

Ce qui explique ces inégalités persistantes, avance la vice-présidente, c’est principalement la socialisation. « On est socialisé comme ça! La socialisation, on en parle davantage dans les groupes de femmes et ce n’est malheureusement pas un sujet très développé dans la société en général. C’est presque tabou. Pourtant, lorsqu’on réalise que notre société est construite d’une façon qui privilégie certains groupes, on peut en prendre acte et se demander comment on pourrait construire notre société autrement. Le but n’est pas de se culpabiliser, mais de se conscientiser. Ça nous permet de reconsidérer nos gestes et nos choix. De cesser d’aller naturellement vers le bleu ou le rose pour les jouets d’enfant par exemple. »

Mais pour Mme De Sève, l’année 2015-2016 donne espoir : « C’est une année féministe! Un paquet d’ouvrages passionnants ont été publiés, dont le Manifeste des femmes ou le Manuel de résistance féministe de Marie-Ève Surprenant. Il y a eu le mot clic #agressionnondénoncée, et viendra le Sommet des femmes sous peu. On met en lumière la question féministe et les femmes reprennent leur place dans les médias. En plus, avec les déclarations des ministres Vallée et Thériault, ça nous donne encore plus le goût de crier haut et fort notre féminisme! Les féministes sont là pour rester et nous serons de plus en plus. »

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« Au sein des syndicats, nous sommes à même de constater la fragilité des acquis pour les femmes. »

  • Dominique Daigneault, présidente du Conseil Central du Montréal Métropolitain de la CSN

« Je suis féministe et ce depuis de nombreuses années. Depuis l’âge de 15 ans, lorsque j’ai réalisé que les inégalités entre les hommes et les femmes n’étaient pas individuelles, mais systémiques. »

Pour la présidente du CCMM-CSN, même si l’égalité est atteinte d’un point de vue légal, il demeure qu’elle n’existe pas dans les faits. « Nous demeurons dans un système politique fondé sur un système patriarcal qui engendre des inégalités entre les sexes. »

Jouer à la motivatrice est loin d’être suffisant dans ce cas, car pour Mme Daigneault, c’est prétendre que celles qui n’y parviennent pas en sont les seules responsables alors qu’elles sont victimes d’une discrimination systémique.

« En ce moment, on est en train de saccager, de déconstruire des mesures qui ont aidé les femmes. Il faut encore se battre pour nos acquis. On ne doit jamais baisser la garde. C’est une lutte continue. On doit élargir nos solidarités aussi, pour que les choses s’améliorent, comme construire des liens de solidarité avec les femmes autochtones. »

Mme Daigneault reconnait que le milieu syndical n’est pas exempt de biais sexiste. Cela dit, elle soutient que le mouvement syndical demeure une des forces importantes qui lutte pour de meilleures conditions de vie et de travail pour les femmes.

« Le mouvement syndical est de toutes ces luttes et c’est essentiel. Au sein des syndicats, nous sommes à même de constater la fragilité des acquis pour les femmes. »

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« J’avais 12 ans. Ç’a été un choc pour moi de réaliser qu’une femme indienne n’a pas les mêmes droits qu’un homme indien. »

  • Magalie Picard, vice-présidente exécutive régionale de l’Alliance fonction publique Canada pour le Québec

« Je trouve ça aberrant une femme leader qui ne se sent pas interpellée par le féminisme. Le travail qui a été accompli par les femmes dans les 50 dernières années a de quoi nous rendre fières. Le mouvement féministe a changé la face du Québec et du monde. Mais, malheureusement, on constate aujourd’hui que les gains sont fragiles. C’est pourquoi on a besoin du militantisme plus que jamais. »

Pour Mme Picard, son « déclic » féministe a eu lieu à l’adolescence. La jeune femme d’origine huronne-wendat a vécu dans le village huron à Québec. Elle a alors constaté que certaines femmes vivaient autour de la réserve, tenues à l’extérieur du village. Lorsqu’elle a questionné son père à ce sujet, ce dernier lui a expliqué que les femmes autochtones qui ne mariaient pas des hommes autochtones étaient expulsées de leur communauté et perdaient leur citoyenneté d’Indienne.

« J’avais 12 ans. Ç’a été un choc pour moi de réaliser qu’une femme indienne n’a pas les mêmes droits qu’un homme indien et peut perdre sa citoyenneté. Ç’a été mon déclic féministe. Après ça j’ai constaté les inégalités des femmes dans le milieu du travail ou dans le milieu politique. »

Mme Picard s’indigne des mesures d’austérité du gouvernement Couillard qui, selon elle, fragilisent des acquis importants pour les femmes. « Un des premiers réflexes du gouvernement, c’est de couper dans des programmes qui viennent en aide aux femmes. On ne devrait plus être là. C’est très préoccupant. »

Au sein du milieu syndical, la vice-présidente de l’AFPC pour le Québec se sent choyée : « Nous sommes très bien représentées. On a priorisé, et ce depuis des années, des comités sur la condition féminine, des regroupements qui sensibilisent le monde du travail. Le milieu syndical est à l’avant-garde. »

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« Dans nos instances, on a 30 % à 40 % de femmes, mais on est constitué à 50 % de femmes. Les syndicats devraient appliquer ce qu’ils prêchent. »

  • Caroline Senneville, présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec

« Pour paraphraser Sartre, le féminisme est un humanisme. On ne peut être humaniste et femme sans être féministe. » La présidente de la FNEEQ se considère féministe depuis l’adolescence, au moment où elle a découvert de grands ouvrages féministes. « J’adorais lire. Et je suis tombée sur Germaine Greer, Marilyn French, Simone de Beauvoir, Annie Leclair, Benoite Groult... »

Caroline Senneville reconnait que le Québec est dans les chefs de file en termes d’égalité homme-femme dans le monde, « mais ça ne veut pas dire qu’il ne reste rien à faire. »

Les mesures d’austérité du gouvernement Couillard, la remise en question du droit à l’avortement par le gouvernement conservateur et l’inégalité salariale sont de constants rappels, pour Mme Senneville, qu’il faut rester vigilantes et que la liste des choses à faire est encore longue. « C’est impossible d’ouvrir un journal sans ne pas tomber sur une nouvelle qui soulève des enjeux féministes. »

« Malheureusement, le syndicalisme et le féminisme souffrent du même discours; dans certains cercles, on considère que ces mouvements n’étaient utiles que dans le passé et qu’ils n’ont plus leur raison d’être aujourd’hui. »

Encore dans le milieu syndical, même si les femmes sont présentes à 50 % dans les effectifs, elles ne le sont pas dans l’appareil politique. « Dans nos instances, on a 30 % à 40 % de femmes, mais on est constitué à 50 % de femmes. Les syndicats devraient appliquer ce qu’ils prêchent. »

Le discours contre les quotas dans les institutions décisionnelles suppose souvent que les femmes ne seraient choisies que parce qu’elles sont femmes et non pas en raison de leurs compétences : « Mais au moment où on se parle, les hommes sont choisis parce qu’ils sont des hommes! Il faut faire l’effort de recruter et poursuivre notre travail sur les dossiers de conciliation travail-famille. »

En réaction aux propos de la ministre de la Condition féminine, Mme Senneville soulève qu’ironiquement, Mme Thériault a presque rendu service aux féministes. « Tout le monde est monté au créneau. Les réseaux sociaux s’enflamment. Sans le savoir, elle a remis le féminisme sur la carte! »