Montréal, capitale du chômage

2016/03/25 | Par Gabriel Ste-Marie

Les plus récentes statistiques indiquent que le Grand Montréal est désormais la capitale du chômage au Canada. La région métropolitaine, qui représente presque la moitié de la population du Québec, a un taux de chômage de 8,8 %.

Si on cible l’Île de Montréal, avec ses 1,7 million d’habitants, le taux de chômage grimpe à 11 %. À ce triste constat s’ajoute le fait que près du quart des emplois de la région métropolitaine sont à temps partiel.

La situation est particulièrement inquiétante parce que rien n’indique qu’il s’agisse d’un phénomène temporaire ou cyclique. Alors que notre métropole nationale devrait être notre locomotive économique, elle est confinée au rôle de wagon de queue.

À contrario, le taux de chômage actuellement élevé en Alberta est un phénomène cyclique. La forte baisse du prix du pétrole y plombe l’économie. Dès que le prix de l’or noir recommencera à grimper, la situation se règlera.

La détérioration de l’emploi dans le Grand Montréal s’explique par le lent déclin de son secteur manufacturier et par la perte de sièges sociaux. Par exemple, au cours des 15 dernières années, il s’est perdu 90 000 emplois uniquement dans le secteur manufacturier montréalais. La part d’emplois de ce secteur dans l’ensemble de la main-d’oeuvre a fondu de moitié, passant d’un emploi sur cinq à seulement un emploi sur dix.

Pour l’ensemble du Québec, ce sont 175 000 emplois en moins. Le secteur des services a, en partie, pris le relais. Toutefois, les salaires y sont inférieurs de 15 % en moyenne.

Ottawa développe tantôt une politique de soutien à l’économie pétrolière de l’Ouest, tantôt une politique pour le secteur industriel ontarien – comme le démontre le dernier budget – mais n’offre à peu près rien pour épauler l’économie québécoise.

Les outils dont dispose le Québec, même s’il ne les utilise pas de façon optimale, sont insuffisants pour pallier le manque de vision d’Ottawa.

Avec comme résultat que Montréal, qui est confrontée comme les autres métropoles à une économie mondiale en constante transformation, n’a pas bénéficié du coup de pouce nécessaire au maintien de son développement.

La forte appréciation du dollar canadien, causée par la hausse du prix du pétrole et son exportation, a plombé notre secteur manufacturier. Aucune mesure de compensation, aucune stratégie industrielle n’ont été mises en place par Ottawa pour atténuer ce choc pourtant tout à fait prévisible.

Le résultat est que le Québec exporte moins et importe plus. Bref, le Québec se retrouve avec un déficit commercial en 2014 de 15 milliards $, soit près de 2 000 $ par habitant, ce qui contribue à notre appauvrissement.

Ottawa n’a apporté aucune réponse à l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, ce qui a pratiquement fait disparaître notre industrie textile.

Même scénario lors de la crise mondiale de 2008. Rien pour le Québec. Ottawa n’a pourtant pas hésité à octroyer des milliards pour secourir l’industrie automobile ontarienne et ses banques.

Avec une économie mondiale en pleine transformation, le Québec est en excellente posture pour développer le secteur des énergies vertes : transport électrifié et collectif, super piles, éoliennes et autres énergies renouvelables.

Ici aussi, Ottawa est absent. Aucune reconnaissance pour les efforts déployés par le Québec pour la réduction de ses gaz à effets de serre. Rien de sérieux en liens avec les accords internationaux sur l’environnement, qui pourraient servir de tremplin à notre industrie.

Ottawa a préféré mettre son appareil gouvernemental au service des sables bitumineux, en oeuvrant à faciliter l’acceptation de nouveaux oléoducs et de ce pétrole ultra-polluant par l’Union européenne et d’autres pays.

Un soutien semblable pour les secteurs industriels performants du Québec et de Montréal aurait permis de changer la donne.

Montréal est un joueur de premier plan dans la haute technologie. C’est le deuxième pôle en importance en Amérique du Nord. C’est à Montréal où la recherche et le développement (R&D) sont les plus importants après la Silicon Valley. Près de la moitié des exportations technologiques canadiennes proviennent du Québec.

Ottawa n’appuie pas suffisamment nos petites, moyennes et grandes entreprises des secteurs de haute technologie qui font de la R&D. On préfère soutenir la recherche industrielle en milieu universitaire et les transferts de technologies qui s’ensuivent.

C’est la façon de faire dans les autres provinces, afin de pallier la quasi absence de R&D dans les entreprises hors Québec, qui sont principalement des filiales d’entreprises américaines et davantage spécialisées en moyennes technologies.

Les généreuses baisses d’impôts accordées par Ottawa au secteur financier et à l’ensemble des entreprises a réduit l’avantage que constituaient les crédits d’impôts destinés à la R&D.

Le résultat de cette absence d’engagement se voit dans les difficultés des secteurs porteurs de l’économie du Grand Montréal, comme les compagnies pharmaceutiques, le multimédia et l’aéronautique.

L’industrie pharmaceutique montréalaise est en plein démantèlement, alors qu’un coup de pouce lui aurait permis de se démarquer à l’échelle nord-américaine et de constituer un pivot entre les pharmaceutiques suisses et le marché nord-américain.

Un accord Canada-Europe bien négocié aurait pu profiter à plusieurs secteurs de pointe de notre métropole, le Québec étant bien positionné comme intermédiaire entre les économies européenne et nord-américaine.

Lorsqu’il est question d’aider le secteur aéronautique montréalais, Ottawa fait pression pour disperser les emplois à travers les villes canadiennes. C’est l’Ontario qui rafle la part du lion du programme de subventions fédérales versées à ce secteur.

Cela contribue indirectement à affaiblir la grappe aéronautique du Grand Montréal, troisième pôle mondiale de ce secteur, après Seattle avec Boeing et Toulouse avec Airbus. Cela explique la lenteur et le peu d’enthousiasme à répondre à la demande de crédit pour Bombardier.

Ottawa ne daigne même pas faire respecter sa propre loi concernant le maintien de l’entretien des avions d’Air Canada par Aveos. Aucune réaction n’a été exprimée suite aux mises à pied de Bell Helicopter, CAE et Bombardier.

Aucun engagement non plus pour garantir le maintien du siège social de Rona à Boucherville, advenant sa vente, un pouvoir d’intervention que détient pourtant Ottawa et non Québec.

Ce sont 2 000 emplois de qualité qui dépendent directement du siège social de Rona. Presque la moitié des achats de l’entreprise sont effectués auprès de fournisseurs québécois. Les relations de ces derniers deviendront nettement plus difficiles, s’ils doivent négocier avec le géant Lowe’s, dont le siège social est situé dans le sud des États-Unis.

Alors que le Grand Montréal est la capitale canadienne du chômage, le programme d’assurance-emploi ne fonctionne plus. À force d’avoir été charcuté, moins de quatre travailleurs sur dix qui perdent leur emploi ont aujourd’hui accès à ce programme.

Ottawa, qui s’est croisé les bras devant le démantèlement de la Bourse de Montréal au profit de celle de Toronto, s’active à faire disparaître l’Autorité des marchés financiers du Québec au profit de Bay Street.

Tant que le Québec demeurera une province canadienne, Montréal sera condamnée à voir son rôle de pôle économique s'éroder. C’était, il y a plus de 30 ans, l’analyse de l’urbaniste torontoise Jane Jacobs. Les événements lui ont donné raison.

Face à ce désengagement du gouvernement fédéral quant au développement de notre métropole et de toute l’économie du Québec, la péréquation représente un bien pauvre prix de consolation. Il en est de même du programme des infrastructures du gouvernement Trudeau. Des prix de consolation largement payés par les impôts que nous versons à Ottawa!

Tant que le Québec demeurera au sein de la fédération canadienne, il sera condamné à être privé des outils dont dispose l’État central pour développer l’économie en fonction des intérêts du Canada anglais. S’ensuit pour le Québec un combat à armes inégales pour se tailler une place dans l’économie mondialisée.