À la régie du logement, la logique du profit prime sur le droit au logement

2016/04/20 | Par Claire Abraham et Fred Burrill

Claire Abraham est organisatrice communautaire, Projet Genèse.
Fred Burrill est organisateur communautaire, POPIR-Comité logement.

Cette après-midi, lors de l’étude des crédits à l’Assemblée nationale, la performance de la Régie du logement sera scrutée à la loupe. Sans aucun doute, la présidente de la Régie, Anne Morin, y défendra les résultats de son institution, alors que les locataires dénoncent la piètre performance du tribunal administratif, paralysé depuis plusieurs années déjà par une logique d’austérité.

« À la Régie du logement, la logique du profit prime sur le droit au logement. On le voit clairement dans la façon dont les causes soumises au tribunal sont priorisées.  » dénonce Claire Abraham, organisatrice communautaire au Projet Genèse.

Les délais d’attente pour des causes de non-paiement de loyer, qui représentent la majorité des causes entendues par le tribunal, était en moyenne 1,4 mois en 2014-2015. Une « vitesse éclair » comparativement aux délais d’attente des « causes civiles générales » -- c’est-à-dire toute cause qui ne remet pas en cause l’occupation du logement, qui étaient, l’an dernier, de 20,3 mois en moyenne. « Si l’écart entre les délais est si grand, c’est parce qu’il y a un problème structurel à la Régie. » ajoute Abraham.

Sophie Pascal, locataire montréalaise, a attendu presque 6 ans pour une audience à la Régie. Au départ, en juin 2007, elle avait déposé une demande à cause de travaux majeurs effectués dans l’édifice où elle habitait et qui nuisaient très sérieusement à sa qualité de vie.

Le propriétaire a demandé des remises quatre fois sur la demande originale, tout en déposant des demandes de fixation de loyer pour les quatre années précédentes. Non seulement il ne s’est présenté à aucune de ces audiences, mais il a continué à demander des remises, et a même fait appel d’une décision — le rejet de la demande de fixation de loyer pour cause d’absence de la partie demanderesse.

Outre la seule demande de la locataire, le propriétaire avait ouvert neuf dossiers à la Régie, pour lesquels il ne s’est jamais présenté en cours ! « C’était très clair pour moi que l’objectif du propriétaire n’était pas de fixer le loyer, mais bien de me harceler jusqu’à l’épuisement. » observe Mme Pascal.

Étant donné les remises à répétition permises par la Régie, en plus des frais d’avocats, du temps de préparation, et de l’énergie requise pour affronter ce système, Mme Pascal a trouvé la requête en justice indûment longue et difficile pour faire valoir ses droits en tant que locataire.

La situation de Mme Pascal n’est pas une exception. Nous pourrions en nommer tant d’autres : Mme Lalonde, qui a déposé sa demande pour harcèlement en mars 2008, a finalement vu sa cause réglée lors d’une décision émise en mars 2016. Ou Mme Dua Casipe, qui a subi des inondations quotidiennes chez elle et a attendu deux ans et demi pour avoir son audience.

Voilà l’impact de la priorisation des causes à la Régie du logement. Selon la Régie, un propriétaire privé de son revenu subi un « préjudice grave » et sa cause doit être entendue dans les plus brefs délais. Mais un locataire qui souffre dans un logement insalubre, c’est moins grave.

« Nous y voyons la même logique qui sous-tend les politiques d’austérité implantées par le gouvernement libéral : la protection de la propriété privée, le profit sur le dos des démuniEs, c’est ce qui prime — que ça s'articule par l’entremise des Panama Papers, des coupures aux CPEs, ou par la priorisation des causes à la Régie du logement.  » dit Fred Burrill, du POPIR-Comité Logement.

Les groupes de défense des droits des locataires décrient cette situation depuis longtemps et proposent des solutions simples et concrètes : que la mise au rôle soit revue pour que toutes les causes soient entendues sur la base du premier arrivé, premier servi, et ce, à l’intérieur de trois mois ; et que toutes les causes urgentes (ayant un impact sur la santé ou la sécurité) soient entendues dans les 72 heures.

Afin d’y arriver, un réinvestissement important de la part du gouvernement provincial est nécessaire. Il y a actuellement 42 régisseurs (juges) à la Régie du logement, chacun·e capable de rendre environ 1 200 décisions par année, soit 50 400 au total. C’est cependant 78 400 nouvelles causes qui ont été déposées au tribunal l’an dernier, ce qui demanderait l’embauche de 23 régisseurs supplémentaires afin de traiter les 28 000 dossiers restants. Pourtant, avec son budget d’austérité, le gouvernement Libéral a clairement fait le choix de ne pas prioriser l’accès à la justice à la Régie.

Projet Genèse et le POPIR-Comité Logement sont donc sévèrement déçus par la performance de la Régie du logement ainsi que le manque d’investissement du gouvernement Couillard. Il est plus que temps de réduire les délais pour les locataires à la Régie.

Photo : Radio-Canada