La firme Garda est un danger pour la démocratie

2016/04/26 | Par Yves Engler

À la fin mars, des étudiants de l’UQÀM ont perturbé une réunion du conseil d’administration de l’université après avoir appris que celui-ci s’apprêtait à signer un contrat de 50 millions $, d’une durée de sept ans, avec le géant de la sécurité Garda World.

Les protestataires accusent l’administration de chercher à chasser les dirigeants étudiants et de hausser les mesures de sécurité sur ce campus très politisé au moment où l’on coupe dans les programmes.

Plus grande entreprise de sécurité privée au monde, Garda ne cache pas avoir besoin d’universités, d’entreprises et de dirigeants politiques répressifs.

Stéphan Crétier, le pdg de cette entreprise montréalaise, a déclaré que la grève étudiante au Québec en 2012 avait été « positive » pour les affaires. « Naturellement, quand il y a de l’agitation quelque part – une élection en Égypte ou des troubles ici au Québec, ou un conflit de travail quelque part – malheureusement, c’est généralement bon pour les affaires».

En 2014, un portrait de Canadian Business décrivait Garda comme étant une compagnie qui « loue des bandes d’hommes armés pour protéger des clients qui travaillent dans certains des endroits les plus dangereux de la planète ». Garda est présente en Irak, en Afghanistan, en Colombie, au Pakistan, au Nigéria, en Algérie, au Yémen, en Somalie, en Libye, entre autres.

Fondée en 1995, la compagnie a vu sa croissance internationale propulsée avec les invasions de l’Irak et de l’Afghanistan au début des années 2000. Grâce à un financement de la Caisse de dépôt, l’entreprise comptait 5 000 employés dans cette région en 2007.

Alors que le militarisme étatsunien gonfle ses profits, la firme utilise le « noble Canada » comme bouclier pour se protéger des critiques. Lorsque quatre de ses employés furent kidnappés, puis tués en 2007, le dirigeant a dit que ses soldats privés en Irak étaient « perçus différemment parce que nous sommes Canadiens ».

Naturellement, il n’a pas dit si les Iraquiens tués par des mercenaires, n’ayant pas à répondre de leurs actes, partagent ce sentiment quand ils découvrent que les balles ont été tirées par un employé d’une entreprise canadienne.

Garda a aussi été au centre d’une controverse en Afghanistan. En 2007, deux de ses employés britanniques ont été interpelés en possession de douzaines de AK-47 non-enregistrés et ont dû passer trois mois en prison. Deux ans plus tard, le chef des opérations de Garda en Afghanistan, Daniel Ménard, a été emprisonné pendant deux semaines pour une accusation similaire.

Commandant des Forces canadiennes en Afghanistan en 2009-2010, Ménard a quitté l’armée après un procès en cour martiale où il était accusé d’avoir déchargé son arme imprudemment et d’avoir eu des relations sexuelles avec une personne subordonnée.

En 2013, Garda a initié des opérations au Nigéria pour fournir un « support logistique » aux multinationales du pétrole qui ont fait face à des attaques politiques et criminelles. Cette même année, Garda a aussi loué une villa à Mogadiscio en Somalie pour y loger des sous-traitants du secteur de l’énergie et des travailleurs en développement international qu’elle accompagne aussi dans leur déplacements dans le pays.

En 2014, le rapport d’un groupe de travail de l’ONU sur l’emploi de mercenaires a remis en question le rôle grandissant joué dans le pays par les entreprises de sécurité occidentales.

« Alors que la Somalie reconstruit ses institutions de sécurité, le gouvernement devrait s’assurer que les forces privées de sécurité sont adéquatement réglementées et qu’elles ne se substituent pas à une police compétente et imputable. Tous les Somaliens ont droit à la sécurité, pas seulement ceux qui ont les moyens de se la payer » a déclaré Faiza Patel, présidente du groupe de travail.

Mais il ne s’agit pas seulement d’égalité face à la justice. Dans un pays où le contrôle des hommes armés a longtemps été une source de pouvoir, les compagnies privées de sécurité peuvent facilement renforcer une faction ou prolonger un conflit.

La plus fructueuse des incursions de Garda à l’étranger est celle de Libye où elle a nommé l’ex-lieutenant-colonel canadien Andrew Zdunich comme chef de ses opérations. Selon son site Internet, Garda a débuté ses opérations dans le pays à l’été 2011. Après que le Conseil national de transition de Libye (CNT) ait pris Tripoli (six semaines avant que Mouammar Kadhafi soit tué à Syrte le 20 octobre 2011), les rebelles ont demandé l’assistance de Garda pour transporter leurs soldats à l’hôpital de Misrata, alors qu’ils assiégeaient le bastion pro-Kadhafi de Syrte, a rapporté l’agence Bloomberg.

L’engagement de Garda en Libye pourrait avoir contrevenu aux lois de ce pays tout comme aux résolutions 1970 et 1973 adoptées par le Conseil de sécurité de l’ONU au moment des soulèvements visant à mettre fin aux 40 ans de règne de Kadhafi.

La résolution 1970 appelait à un embargo sur les armes et obligeait tous les États membres des Nations-Unies « à prévenir tout envoi de mercenaires armés » en Libye. La résolution 1973 renforçait l’embargo sur les armes en mentionnant à trois reprises que les « mercenaires armés » sont aussi visés par l’embargo.

Contrevenir aux lois internationales peut s’avérer bon pour les affaires. En tant que première entreprise occidentale de sécurité officiellement active dans le pays, Garda se décrivait, sur son site Internet, comme le « chef de file du marché en Libye » avec « plus de 3 500 employés fournissant protection, entrainement et gestion de crise ».

La petite armée de Garda, formée d’anciens membres des forces spéciales britanniques et d’autres soldats d’élite, a obtenu un grand nombre de contrats lucratifs en Libye. Les effectifs de l’entreprise affectés à la sécurité et à la protection travaillent auprès de nombreuses pétrolières internationales et pour leurs fournisseurs, ainsi qu’auprès des soldats de l’OTAN qui entraînent l’armée libyenne (c’est la première fois que l’OTAN donne en sous-traitance la protection d’un programme d’entrainement).

L’entreprise montréalaise a aussi protégé 100 membres de la Mission d’assistance pour la gestion de frontières de l’Union européenne (EUBAM) qui ont entrainé et équipé les gardes-frontières et les gardes-côtes libyens dans un effort visant à empêcher les migrants africains de traverser la Méditerranée.

Le contrat, liant Garda et l’EUBAM pour quatre ans, a attiré l’attention au début 2004, alors que dix-neuf caisses d’armes et de munitions destinées à la compagnie ont disparu de l’aéroport de Tripoli. Mais l’entreprise n’a pas laissé cette perte d’armes affecter ses opérations. Selon Intelligence Online, des représentants de la firme ont demandé « d’emprunter des armes aux Britanniques pour assurer la sécurité du personnel de l’Union européenne».

La requête a été accueillie favorablement car Garda avait déjà assuré la protection des intérêts britanniques en Libye, dont celles de l’ambassadeur Dominic Asquith. Dans Under Fire: The Untold Story of the Attack in Benghazi, Fred Burton et Samuel M. Katz décrivent ainsi le détachement de protection de l’ambassadeur. « Quelques membres du détachement de Sir Dominic Asquith étaient sans aucun doute des vétérans du 22 Special Air Service, ou SAS, le légendaire commando de Grande-Bretagne dont la devise est ‘‘Celui qui ose, gagne’’. D’autres étaient membres des Royal Marines Special Boat Service, ou SBS».

On se demande combien de Libyens ont péri aux mains de ce « Blackwater du Canada»?

Employeur pour les retraités des Forces canadiennes, britanniques et états-uniennes, Garda a construit son réseau de relations dans les cercles militaro-politiques. Derek Burney, ex-ambassadeur du Canada aux États-Unis et conseiller de Stephen Harper préside son Conseil consultatif international.

Garda compte aussi au sein de son Conseil l’amiral quatre étoiles états-unien à la retraite Eric T. Olson, l’assistant-secrétaire du département de Sécurité intérieur des É-U Michael P. Jackson et le Secrétaire Permanent au Renseignement, Sécurité et Résilience du Cabinet Office du Royaume-Uni, Sir Richard Mottram. Le journal Le Soleil a rapporté qu’en décembre, Garda avait embauché l’ex-ministre Conservateur récemment retraité, Christian Paradis. Il fera des représentations auprès des différents paliers de gouvernements pour les inciter à recourir davantage au secteur privé pour assurer la sécurité publique.

Créature du néolibéralisme capitaliste et de l’agression occidentale, Garda est un danger pour la démocratie.