Fernand Daoust, porté à la direction de la FTQ par le combat de la langue

2016/04/29 | Par Pierre Dubuc

Au mois d’octobre 1964, Roger Provost, le président de la FTQ, meurt d’une crise cardiaque. Le Conseil exécutif doit choisir à la fin du mois un président par intérim, en poste jusqu’au prochain congrès, prévu en décembre 1965.

L’aile progressiste y voit l’occasion de présenter un candidat contre Louis Laberge, le candidat des vieux syndicats de métier. Ce sera Fernand Daoust.

Mais Thérèse Casgrain réunit les membres de l’exécutif qui font partie du NPD et leur dit qu’ils ne peuvent voter pour quelqu’un qui a « trahi » le mouvement syndical ! Quelle est la nature de cette trahison ? D’avoir organisé avec d’autres syndicalistes une scission dans le NPD pour créer le PSQ, le Parti socialiste québécois.

Au premier tour de scrutin, le résultat est : Fernand Daoust, neuf voix. Louis Laberge, neuf voix, et une abstention. Au deuxième tour, il n’y a pas d’abstention. Laberge l’emporte par une voix !

Au congrès de 1965, Daoust se présente au poste de secrétaire-général. Il croit avoir l’appui de Laberge, mais à quelques jours du congrès, un autre candidat, Gérard Rancourt, se manifeste avec l’appui de Laberge.

La divergence entre Daoust et Rancourt n’est pas le reflet de la division entre le militantisme des unions industrielles opposé au conservatisme des unions de métier. Rancourt est un progressiste, mais il est un fédéraliste pur et dur, membre du NPD, alors que le clan Daoust accorde une grande importance à la question nationale.

Au Congrès, le président du NPD-Québec, Robert Cliche, vient dénoncer la création du PSQ, à laquelle Daoust est étroitement associé. Résultat : Rancourt : 350 voix ; Daoust : 321 voix. Daoust sera finalement élu à la vice-présidence, mais avec une très faible majorité de 5 voix.

Rappelons qu’à l’époque, la FTQ, tout comme la CSN, bien que celle-ci se donne une image nationaliste, sont fédéralistes. Les positions officielles adoptées en congrès par la CSN, tout comme les déclarations de Jean Marchand, son président jusqu’en 1965, et de Marcel Pepin, son successeur, sont tout aussi fédéralistes que le sont les politiques officielles de la FTQ ou les déclarations publiques de son président Louis Laberge.

Constatant que le PSQ n’a jamais dépassé la taille d’un groupuscule, Daoust s’intéresse à la démarche de René Lévesque et de son mouvement Souveraineté-Association. Il répond favorablement à l’invitation de collaborer à l’élaboration de son programme.

Des luttes syndicales de plus en plus dures rapprochent Daoust de Laberge, mais l’insensibilité de ce dernier aux débats sur la langue et la question nationale les oppose.

Au printemps 1968, Daoust devient directeur du SCFP, en pleine expansion avec le recrutement des employés de Radio-Canada et d’Hydro-Québec.

À l’exécutif de la FTQ, il mène le combat avec Laberge pour plus d’autonomie pour les instances du Québec face au Congrès du travail du Canada, mais les deux divergent d’opinion sur la question linguistique.

Avec Jean Gérin-Lajoie des Métallos, Daoust insiste pour que la FTQ adopte une politique linguistique claire. Laberge résiste, invoquant la proportion importante de membres anglophones dans la FTQ.

En 1969, après la manifestation McGill Français, les affrontements linguistiques à St-Léonard, le gouvernement du premier ministre Jean-Jacques Bertrand adopte le Bill 63, qui officialise le libre choix de la langue d’enseignement.

À l’approche du congrès de la centrale de novembre 1969, Daoust songe à nouveau à se présenter au poste de secrétaire-général. La question linguistique continue à l’opposer à Laberge. Ce dernier soutient que les membres de la FTQ sont indifférents à ce débat d’intellectuels.

Plusieurs militants sont choqués de cette déclaration et le lui font savoir. Au congrès, de nombreuses résolutions portent sur la langue. Laberge s’objecte fermement, mais le grand nombre de projets de résolution réussit à l’ébranler.

Néanmoins, dans son discours d’ouverture, neuf paragraphes sur vingt-huit portent sur les dangers de se prononcer sur le dossier de la langue. Finalement, après les interventions enflammées des délégués, Laberge se rallie à la proposition qui prône l’imposition par voie législative du français comme « la langue de travail normale et courante à tous les paliers de l’activité économique au Québec » et l’abolition du libre choix de la langue d’enseignement.

Laberge déclarera plus tard que ce fut la journée la plus pénible qu’il ait eu à subir.

Tout comme Louis Laberge, Daoust sera finalement élu par acclamation au poste de secrétaire-général lors du congrès. Comme l’écrit André Leclerc : « Son élection à ce poste, étroitement lié au débat sur la langue, sera associée à ce combat tout au long des années à venir. C’est toute sa vie qui en sera marquée. »

Texte adapté librement du livre d’André Leclerc, avec la contribution de Marc Comby, Fernand Daoust, Bâtisseur de la FTQ, 1964-1993, M éditeur, 2016.