Le débat sur le mandat à confier à l’Assemblée Constituante

2016/05/05 | Par Paul Cliche

Même si beaucoup de textes ont circulé dans le cadre du débat qui se déroule présentement, à la veille du congrès où Québec solidaire réexaminera la nature du mandat confié à l’Assemblée constituante, il reste, selon moi, des points à préciser pour que les délégué-e-s aient un tableau le plus complet possible des arguments étayant les différentes options entre lesquelles ils auront à choisir. Mais il reste surtout à préciser les balises qui permettront à la démarche constituante de se rendre à bon port tout en assurant l’expression de la souveraineté populaire.

J’ai déjà fait connaitre mon choix. Comme je l’ai expliqué dans un texte précédent, aussi bien pour des raisons de principes que d’ordre stratégique, je suis en faveur de la version actuelle du programme établissant que l’Assemblée constituante -cet instrument qui permettra au peuple québécois d’exercer sa souveraineté en décidant de son avenir politique -sera autonome dans le cadre de son mandat et pourra élaborer sans contrainte un projet de constitution qui sera soumis à l’approbation du référendum clôturant le processus. Mais, tel que le précise le document, cette dernière «aura l’obligation de tenir compte des résultats» de la vaste démarche de démocratie participative, prévue comme première étape de la démarche, où la population du Québec sera consultée extensivement sur son avenir politique et constitutionnel.

Je rejette donc la ‘proposition A’ qui sera soumise aux délégué-e-s en vertu de laquelle l’Assemblée constituante se verrait obligée de rédiger une constitution indépendantiste. Je rejette aussi les arguments de ses supporteurs selon lesquels la position actuelle est « floue, naïve et irréaliste». Je crois au contraire qu’elle est le gage d’une plus grande inclusivité et d’une plus grande probabilité de réussite. Compte tenu de l’affrontement dont le Québec est le théâtre dans ce domaine depuis plus d’un demi-siècle, restreindre le mandat de la Constituante vouerait en effet à l’échec de façon définitive toute tentative de règlement de la question nationale. De plus, cette position contreproductive irait à l’encontre même du principe de souveraineté populaire, pierre d’assise idéologique de notre parti, car elle ‘encarcanerait’ son exercice sur une question aussi vitale que l’avenir politique du Québec.

 

La méfiance du pouvoir citoyen

Il ne faut pas se méprendre. Le véritable but de cette proposition d’amendement au programme actuel n’est pas de clarifier le processus constituant, comme le prétendent ses auteurs. Il va même plus loin que d’imposer une orientation à la démarche d’accession à l’indépendance car il affaiblirait le cadre délibératif qui constitue le moteur de cette dernière. En réalité, ce qui se cache derrière cette position qui se donne des airs de rationalité c’est la méfiance du pouvoir citoyen.

Paradoxalement, je ne vois pas tellement de différence entre cette façon de procéder et celle des gouvernements péquistes majoritaire qui, en 1980 et 1995, ont fait déclencher des référendums par l’Assemblée nationale en dictant la question à laquelle les citoyen-ne-s ont eu à répondre. Dans les deux cas, le processus est contrôlé ‘par le haut’ au lieu de permettre au peuple de déterminer par lui-même ce qui est bon pour lui.

Sans épiloguer sur les raisons de cette convergence surprenante on peut dire que, dans le cas du Parti québécois, cela s’explique par son élitisme petit bourgeois et une certaine tradition nationaliste de droite. Dans le nôtre, on peut se demander s’il n’y aurait pas une résurgence du modèle éculé de ‘l’avant-garde éclairée’ qui, au cours de la décennie 1970, a éclipsé le projet d’édification d’un ‘socialisme d’ici’ tel que l’avait proposé le FRAP au niveau municipali et tel que lui avaient donné son armature idéologique les manifestes des centrales syndicalesii publiées peu avant de la grève générale de solidarité qui a bouleversé le Québec au printemps 1972 ?

 

La dynamique que créera la démarche de démocratie participative

Bien entendu, les militant-e-s de Québec solidaire devront tenter de toutes leurs forces d’infléchir la démarche constituante en faveur de l’indépendance au cours de l’exercice de démocratie délibérante qui sera au coeur du processus. Mais le gouvernement solidaire ne pourra intervenir d’en haut par le biais de l’Assemblée nationale en imposant un mandat prédéterminé à l’Assemblée constituante car il brimerait ainsi son autonomie et la transformerait en un organisme fantoche. Dans ce contexte il serait plus honnête de confier tout bonnement la rédaction du projet de constitution à des gens de Québec solidaire car la démarche de démocratie participative deviendrait une mascarade.

L’argument principal de Jonathan Durand-Folco, pour écarter une Constituante avec mandat ouvert est qu’elle amènerait à choisir, lors de la tenue du référendum, entre deux, trois quatre projets de constitution selon le statut politique proposé par les participants à la consultation populaire (indépendance, statu quo, États associés, province avec statut particulier, etc); ayant pour conséquence un vote fragmenté et un suivi ingérable. Pour éviter cette situation le mandat confié à l’Assemblée constituante devrait préciser que si les constituants estiment que la division de l’opinion exige qu’on prévoit un choix multiple ce dernier devrait se limiter à deux options: soit l’indépendance soit le maintien du lien fédératif avec le Canada.

Durand-Folco soutient aussi que les supporteurs du programme actuel se contentent d’un «démocratisme formel comme si la discussion était une fin en soi, comme si elle menait spontanément à la vérité». Cette assertion démontre son incompréhension de l’esprit de la démarche qu’a proposée jusqu’ici Québec solidaire. Le programme adopté en 2009 explique, au contraire, que «parler d’Assemblée constituante ce n’est pas proposer abstraitement un nouveau chemin vers la souveraineté du Québec. C’est proposer de discuter, de la manière la plus démocratique et la plus large possible, des mécanismes essentiels pour assurer la défense du bien commun et pour articuler le projet d’indépendance politique et les revendication sociales».

La campagne de démocratie participative visera à développer une véritable démarche citoyenne qui sera implantée à la grandeur du Québec aussi bien au niveau local que régional. Cette dernière permettra aux citoyen-ne-s de s’exprimer et de discuter ensemble. J’estime que c’est à cette étape préliminaire que se jouera le sort de la démarche et se dessinera le profil de la future constitution. D’où l’importance primordiale pour les militant-e-s de Québec solidaire d’investir, nombreux, les lieux de discussion et de participer aux délibérations avec ferveur. Il faudra aussi que les mouvements populaire et syndical se mobilisent, comme ils l’ont fait lors du référendum de 1995, afin provoquer la rupture d’avec le cadre constitutionnel fédéral et les institutions monarchiques de l’État québécois afin de réinventer de nouvelles institutions démocratiques cette fois-ci contrôlées par le peuple, comme le préconise Durand-Folco. C’est dans un contexte semblable que se réalisera une véritable souveraineté populaire. C’est là une voie exigeante mais il n’y en a pas d’autres sauf celle de moisir dans le statu quo.

Il faut aussi réaliser qu’une tranche importante de la population québécoise n’appartient pas à un camp ou l’autre; ce qui transforme l’entreprise de ‘conversion des indécis’ en une tâche ardue. Une Constituante avec un mandat indépendantiste ne permettrait certes pas d’approcher facilement ces indécis. Dans le contexte qui est le nôtre il faut opérer un changement de mentalité dans la population. Et ce n’est pas en imposant à la Constituante un mandat contraignant qu’on va y parvenir. Au contraire!

 

Dès 2006, un Collectif a proposé des balises pour guider la démarche constituante

De 2004 à 2006, je me suis beaucoup impliqué dans les travaux d’un Collectif, appelé Québec-Plus Démocratie, composé d’une vingtaine de personnes en provenance de plusieurs associations citoyennes , de la centrale syndicale CSQ et de quatre partis politiques (PQ, QS, ADQ, Parti vert). Le groupe s’est longuement penché sur la démarche à suivre pour résoudre la question nationaleiii. Un résumé de la Déclaration de ce Collectif, rendue publique en juin 2006 sous le titre Pour résoudre la question nationale: une véritable démarche citoyenne et démocratique, large et inclusive, m’apparait pertinente pour éclairer le débat actuel au sein de Québec solidaire.iv Cette dernière a affirmé d’entrée de jeu -tout comme l’avait fait Québec solidaire dans sa Déclaration de principes adoptée lors de son congrès de fondation quelques mois plus tôt- que «la question nationale n’appartient en exclusivité à aucun parti politique ni à aucun groupe en particulier: elle relève de la responsabilité de chaque Québécoise et de chaque Québécois quelle que que soit son origine ethnique». D’où la proposition -aussi contenue dans la Déclaration de principes de notre parti- que «le débat sur l’avenir du Québec se fasse au moyen d’une vaste démarche de démocratie participative».

Compte tenu que l’avenir du Québec est une question fondamentale à la fois complexe et controversée et donc émotive le Collectif établit que la démarche requiert «un processus démocratique capable de nous amener à en débattre de la manière la plus rigoureuse, rationnelle et rigoureuse possible»v. Comme le reprendra le programme de Québec solidaire en 2009 le Collectif déclare que «toute la population doit être invitée à participer à une démarche large et inclusive qui serait appelée à se déployer simultanément à tous les niveaux (local, régional, national) et susceptible de faciliter la participation de tous les citoyen-ne-s particulièrement de celles et ceux habituellement exclu-e-s des lieux de débat public».

 

De nouveaux espaces publics de participation et de délibérationvi

Le Collectif propose aussi la création de nouveaux espaces publics de participation et de délibération «où les citoyen-ne-s pourront pleinement s’impliquer et détenir un réel pouvoir sur le contenu et la portée des échanges. Ces lieux de délibération, véritables agoras contemporaines, devront systématiquement privilégier la mise en présence de points de vue opposés et faciliter le respect des divergences, la capacité de débattre, la rigueur de l’argumentation ainsi que le désir de trouver des points de convergence. Les citoyen-ne-s pourront ainsi s’approprier et contribuer à définir les changement politiques et constitutionnels projetés, de même que les valeurs associées à ces choix de société».

Le Collectif insiste sur l’importance de procéder avec prudence et de prendre le temps nécessaire pour mener à terme cette démarche citoyenne. « Les citoyen-ne-s doivent être vraiment au cœur du processus. Ils doivent pouvoir parler librement sans que certains, souvent les mêmes, monopolisent le temps et s’expriment au nom des autres. Il faudra écarter toute précipitation et prendre le temps nécessaire afin de s’assurer une participation massive historique qui, seule, permettra de bâtir la solide majoritaire populaire nécessaire à l’atteinte d’un règlement satisfaisant de la question nationale».

Le Collectif souligne aussi la nécessité de confier la démarche à un organisme non partisan ou transpartisan en mesure d’obtenir le respect de tous les courants d’opinion. Dans le cas de Québec solidaire cet organisme c’est l’Assemblée constituante. On doit faire en sorte que cet organisme crée un large consensus dans la population.

Quant aux fonds publics, nécessaires pour mener une démarche d’une telle ampleur, ils devront servir, non pas à soutenir quelle que propagande que ce soit, mais plutôt à favoriser la plus large implication citoyenne possible afin que, d’une façon ou d’une autre, toutes et tous de sentent partie prenante de la réflexion collective en cours. Celles et ceux qui ne pourront pas participer aux échanges devront au moins pouvoir suivre l’évolution des discussions tenues dans les lieux de délibération et être informés de la teneur de celles-ci.

 

Un appel aux sceptiques et aux prosélytes

Le Collectif termine sa Déclaration par un appel aux diverses composantes de la société québécoise : «Aux sceptiques qui vantent la démocratie mais qui fuient comme la peste le pouvoir citoyen, autant qu’à celles et ceux qui préfèrent les sentiers battus traditionnels du prosélytisme nous répliquons que nos compatriotes n’ont pas besoin d’être convaincus par des porteurs de bonne parole. Ils ont surtout besoin d’être bien informés pour comprendre les enjeux, de comparer les différents points de vue, de faire leur propre opinion et d’exprimer ce qu’ils désirent au plus profond d’eux-mêmes. C’est pourquoi nous souhaitons la création d’un nouvel espace d’expression et de dialogue sur l’avenir politique du Québec ».

Le Collectif a interpelé les partis en leur demandant de prendre en compte dans leur programme les perspectives proposées dans ce texte. Mais dès le lendemain de la publication de la Déclaration, le chef du Parti québécois, André. Boisclair, a rejeté la Déclaration du revers de la main disant qu’il «ne se laisserait pas dicter sa ligne de conduite par un collectif quelconque». Le caucus péquiste a aussi sermonné les députés Charbonneau et Valois en les accusant d’avoir violé le programme de leur parti qui, pour régler la question nationale, prône la tenue d’un référendum où le gouvernement décide de la question à poser aux citoyen-ne-s plutôt qu’une démarche citoyenne qu’il ne contrôlerait pas. Seul Québec solidaire l’a inscrit à son programme en 2009 et s’en fait le défenseur depuis.

i Le Front d’action politique (FRAP) a été le premier parti municipal de gauche à Montréal. Peu à près sa naissance, il a affronté la puissante machine de l’autocrate maire Jean Drapeau lors des élections de 1970 qui sont survenues en même temps que la Crise d’octobre. Ces adversaires l’ont alors accusé d’être le paravent du FLQ. J’ai occupé la fonction de président du FRAP en 1970 et je me suis présenté comme candidat dans Rosemont.

ii La CSN a publié deux manifeste : en octobre 1971, Il n’y a plus d’avenir pour le Québec dans le système économique actuel suivi, début 1972, d’un autre aussi percutant Ne comptons que sur nos propres moyens. La FTQ est entrée dans la ronde avec le manifeste L’État, rouage de notre exploitation. Puis la CEQ a suivi avec le sien, L’école au service de la classe dominante. Ces manifestes, surtout ceux de la CSN où je militais alors comme permanent au Secrétariat d’action politique, préconisaient une forme de révolution populaire. Ils rejetaient le capitalisme proposant le socialisme comme alternative. Il s’agissait d’inventer une nouvelle société bien adaptée au contexte québécois, un «socialisme d’ici».

iii Parmi les membres de ce collectif, qui ont participé à titre personnel, certains venaient du Parti québécois comme les députés Jean-Pierre Charbonneau et Jonathan Valois; d’autres de Québec solidaire comme Ruba Ghazal et moi-même; d’autres de l’Action démocratique comme Jean Allaire et Éric Caire. Scott McKay, alors chef du Parti vert, en était aussi membre. D’autres provenaient aussi d’associations citoyennes comme Lorraine Guay du mouvement D’abord Solidaires; Mireille Tremblay, de l’Observatoire de la démocratie et Brian Gibb, de l’Association pour la revendication des droits démocratiques ou encore du mouvement syndical comme Lorraine Pagé, ex-présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) ainsi que du mouvement nationaliste comme Louise Paquet, ex-présidente du Mouvement national des Québécoises et Québécois (MNQ). Julius Grey, avocat et militant des droits de la personne et futur candidat NPD, ainsi qu’Henri Lamoureux, écrivain et socioéthicien faisaient aussi partie du groupe.

iv Le site Internet du collectif Québec-Plus Démocratie n’existant plus on peut prendre connaissance du texte intégral de cette déclaration via le moteur de recherche Google. Elle a été publiée intégralement dans Le Devoir le 12 juin 2006 sous le titre Démarche à suivre pour résoudre la question nationale.

v À cet égard, l’expertise d’un organisme non partisan comme l’Institut du Nouveau Monde (INM) serait grandement utile pour assister l’Assemblée constituante. Les principaux champs d’expertise de l’INM, dont la mission est d’accroître la participation des citoyens à la vie démocratique, sont en effet la participation citoyenne, la démocratie participative, l’innovation sociale, l’acceptabilité sociale. Ses nombreuses réalisations et les expériences qu’il a menées depuis sa fondation en 2003 témoignent éloquemment en sa faveur.

vi Pour réfléchir sur la question, lire le texte signé par Michel Venne , directeur général de l’Institut du Nouveau Monde, sous le titre Le Québec ne sait plus dialoguer publié sur le site de l’institut (inm.qc.ca) le 13 avril dernier.

 

Montréal, 3 mai 2016