Le recensement fédéral et l’identité québécoise…

2016/05/17 | Par Colette Bernier

L’auteure est sociologue

Si j’ai bel et bien rempli le questionnaire du recensement, je dois dire qu’il m’est resté des doutes après-coup quant à l’interprétation qu’on pourrait donner de mes réponses. Deux de ces questions concernent plus spécifiquement l’identité québécoise.

La première concerne ma capacité à tenir une conversation en anglais. Avant de répondre par l’affirmative, j’ai hésité. Cherche-t-on à savoir si je peux tenir une conversation sur des banalités en anglais (Où habitez-vous? Que faites-vous comme travail?) ou sur des sujets plus complexes liés par exemple à l’évaluation d’un film ou plus difficile encore, d’une œuvre d’art.

Rien dans le questionnaire n’est venu m’aider à faire mon choix. Or, si je suis loin de me considérer comme « parfaitement bilingue », c’est-à-dire capable de comprendre (lire et entendre) et de m’exprimer (parler et écrire) sans difficulté sur tous les sujets qui m’intéressent, ma réponse, je le crains après coup, pourrait bien faire de moi une personne bilingue. Servira-t-elle alors à décider de la langue des « services fournis » par le gouvernement fédéral dans mon quartier, comme la publicité liée au recensement le laisse entendre?

L’autre question qui m’a laissée dans le doute concernait la nationalité de mes ancêtres. Là, c’était clair, le questionnaire cherchait à évaluer le multiculturalisme canadien. Or, le questionnaire spécifiait qu’on pouvait parler d’ancêtres au-delà des grands parents, sans plus. Il s’avère que ma grand-mère paternelle est d’origine écossaise (son propre grand-père est arrivé d’Écosse autour des années 1820-25) et j’ai donc répondu à cette question par : la France et l’Écosse.

Peut-on parler dans mon cas d’une famille provenant de cultures diverses quand un seul de mes ancêtres, sur une dizaine de générations des deux côtés, est d’origine autre que française? Et que reste-t-il de ces origines écossaises quand on sait que cette famille établie à Baie St-Paul et au lac St-Jean s’est très vite mêlée par le mariage aux Québécois francophones? A-t-on plus en commun que cette défaite de la France et de l’Écosse aux mains des Anglais au milieu du XVIIIème siècle? Sinon, justement, ces identités déchues, comme le montre bien le très beau roman d’Alistair Mc Leod, « La perte et le fracas », sur des familles de la Nouvelle-Écosse.

Encore, me classera-t-on, à partir de ma réponse, comme appartenant au « multiculturalisme canadien »? Ou pire, sachant comme sociologue ce qu’on peut conclure des réponses données à des questions floues, serai-je un des multiples cas servant à démontrer que l’identité francophone des québécois serait un mythe? Tout ceci pour dire qu’il faudra être vigilant quant aux analyses et interprétations qui ressortiront de ce recensement!