Les finances d'un Québec indépendant

2016/05/24 | Par Xavier Barsalou-Duval

L’auteur est député du Bloc Québécois

Alors que dans les années précédant sa mort, Jacques Parizeau semblait prêcher dans le désert lorsqu'il répétait inlassablement que le Parti Québécois se devait de mettre à jour les études sur la souveraineté, voilà qu'un jeune militant a pris l'initiative d'accomplir cette tâche herculéenne. Depuis les débuts du mouvement indépendantiste, les promoteurs du fédéralisme prédisent l'Apocalypse lorsqu'il est question des finances d'un Québec indépendant. On pourrait y percevoir une tentative de souffler sur les braises du souvenir du Québécois porteur d'eau et né pour un petit pain. Cette étude des plus rigoureuses de Maxime Duchesne apporte ainsi un éclairage important en s'attaquant de front à ces craintes injustifiées mais persistantes dans notre imaginaire collectif.

Tout au long son étude qui porte sur l'année financière 2013-2014, M. Duchesne fait état que même si le Québec représente 23,1% de la population canadienne, il compte pour 19,2% de son PIB. Une mise en contexte est cependant nécessaire pour les non initiés qui pourraient conclure hâtivement que les Québécois sont plus pauvres que les Canadiens. D'une part, en raison du coût de la vie plus bas au Québec, on peut acheter d’avantage avec moins. D'autre part le Québec occupe le premier ou le second rang mondial selon l’Indice socioéconomique du vivre mieux de l'OCDE développé par le Nobel d’économie Joseph Stiglitz.

 

Qui collecte et qui dépense

Le total de la contribution québécoise aux revenus fédéraux était de 48,8 G$ pour l'année 2013-2014. En retour, les Québécois ont bénéficié de certains programmes comme les pensions de vieillesses (11,26 G$), l'assurance-emploi (3,95 G$) et les prestations pour enfants (2,95 G$). Si on additionne ces montants aux transferts fédéraux (16,53 G$) qui incluent notamment la péréquation (7,84 G$), on obtient un total de 34,69 G$. Les 14,11 G$ restants sur le 48,8 G$ sont donc affectés aux ministères fédéraux et à la dette. Une fois les dépenses de fonctionnement et du service de la dette répartis, on constate que si le Québec avait été un pays en 2013-2014, avant même tout gain d'efficacité, le déficit québécois aurait été de 3,9% du PIB, ce qui est inférieur à la moyenne des pays du G20 (4,3%) et du G7 (4,5%).

L'une des premières choses qu'on peut apprendre des travaux de Duchesne est que 61% des dépenses du gouvernement fédéral sont constituées de transferts aux provinces (137,2 G$), pour le Québec, les transferts fédéraux constituent 24% de ses revenus. Étant donné qu'Ottawa collecte une portion majeure de l’argent dépensé par les provinces, ceci les rend le Québec particulièrement sensible aux sautes d’humeur potentielles du fédéral. Ce n’est donc pas le bon gouvernement qui perçoit une part importante des impôts.

 

Les économies

L'auteur estime à environ 4,1G$ d’économies liées seulement aux dédoublements administratifs entre Ottawa et Québec. L’étude ne rajuste pas non plus les salaires des fonctionnaires fédéraux qui sont généralement plus élevés que ceux des fonctionnaires québécois. Le tout serait effectué sans affecter les services aux citoyens. Les économies pourraient aussi être encore plus grandes selon les choix budgétaires des Québécois. Une fois que l’on tient compte de ces économies, le déficit Québécois par rapport à son PIB serait de seulement 2%, ce qui est un des plus bas taux au monde (1,7% Canada, 3,8% USA, 3,8% France & 4,2% Royaume-Uni).

 

La dette

En ce qui à trait à la dette, comme elle a été contractée au nom du gouvernement fédéral, elle ne serait pas automatiquement transférée au gouvernement québécois. En cas de refus de négocier avec le Québec ou sans une entente raisonnable, Ottawa pourrait même se trouver à payer la dette seul. Toutefois, le Québec n’hériterait pas seulement des dettes, mais aussi d’actifs comme des ponts, des ports, des aéroports, des bâtiments, des avions et des véhicules. Leur valeur exacte est difficile à établir parce qu’il serait nécessaire de réévaluer tout ce qui est possédé par le gouvernement fédéral à sa valeur marchande.

La répartition de la dette se ferait normalement en fonction de notre part du PIB (19,2%), mais comme les actifs fédéraux au Québec ne représentent que 14,3% du total canadien, la part de la dette fédérale assumée par le Québec serait plutôt de 17%. Les actifs fédéraux ne sont pas répartis de manière égale mais selon les nécessités, pensons notamment aux bases militaires et aux édifices de la capitale nationale. Le passif (dette) total d'Ottawa est de 1 001 G$ mais serait rajustée à 968 G$ en tenant compte de la portion de la dette qui est détenue par la Banque du Canada (qui est sous juridiction du gouvernement canadien). Ainsi, la part québécoise de la dette fédérale serait de 164,72 G$.

Ainsi, d'un point de vue comparatif, le niveau d'endettement du Québec serait loin d'être catastrophique. En fait, il serait même en excellente position par rapport aux autres économies modernes. Le Québec serait donc en 3e position parmi les pays du G7 pour ce qui est de son ratio dette brute/PIB (Québec 96%, Allemagne 81%, Canada 92%, France 110%, Royaume-Uni 106%, USA 111% & OCDE 112%). En ce qui a trait à la dette nette/PIB, la situation est encore une fois très bonne avec une 4e position (Québec 69%, Allemagne 45%, Canada 40%, France 66%, Royaume-Uni 70%, USA 87% & OCDE 69%).

 

La monnaie

Même si ce n'est pas l'objet principal de son livre, Maxime Duchesne aborde aussi l'enjeu important de la monnaie. Il est faux de prétendre qu’on pourrait nous empêcher d’utiliser la monnaie canadienne. En effet, les transactions dans un bon nombre de pays se font dans une monnaie étrangère sans que l'émetteur de la dite monnaie y joue quelque rôle que ce soit. Peu importe ce qu’on en dit, en raison de la loi de l’offre et de la demande, le Canada tenterait probablement de convaincre le Québec de conserver le dollar canadien. Le fait, que le Québec détienne 19,2% de la valeur canadienne serait aussi un très bon pouvoir de négociation.

À court terme après l’indépendance, le Québec continuerait probablement d’utiliser le dollar canadien afin de disposer d’une monnaie connue de la population et sécurisante pour les marchés financiers. Toutefois, on aurait très peu de contrôle sur la valeur du dollar canadien comme c’est la Banque du Canada qui détermine ses taux d’intérêts et qui imprime sa monnaie. À moyen terme, le Québec négocierait probablement l’obtention d'un certain pouvoir sur les décisions prises par la Banque du Canada ou choisirait de mettre en place sa propre monnaie.

En terminant, l'auteur affirme le Québec est aujourd’hui en meilleure posture financièrement pour réaliser son indépendance qu’en 1995 ou en qu’en 1980. Un Québec pays bénéficierait de revenus plus que suffisants pour financer toutes les missions d’un État indépendant. Le Québec serait donc viable sur le point de vue économique et serait dans une position avantageuse par rapport aux autres pays développés. En effet, sur les 193 pays reconnus à l’ONU, le Québec serait la 27e puissance économique mondiale. À l’heure où le gouvernement du Canada prévoit d’importants déficits budgétaires pour les prochaines années et que ses revenus dépendent beaucoup de l’exploitation pétrolière, les revenus d’un Québec libre seraient pour leur part mieux équilibrés et plus diversifiés.