Le Québec et la réforme du mode de scrutin fédéral

2016/09/16 | Par Pierre Dubuc

Chaque année, le 15 septembre, est célébrée la Journée internationale de la démocratie. Le Mouvement pour une démocratie nouvelle, un mouvement citoyen pour une réforme en profondeur du mode de scrutin québécois, en profitera pour souligner la convergence de tous les principaux partis politiques au Québec et les principales organisations de la société civile sur la nécessité et l’urgence du réforme de notre mode de scrutin.

Mais avant d’être instaurée au Québec, une telle réforme pourrait voir le jour à Ottawa. Le premier ministre Trudeau s’est engagé, lors de la dernière campagne électorale et dans le discours du Trône, à ce que l’élection qui l’a porté au pouvoir soit la dernière à se tenir selon l’actuel mode de scrutin uninominal à un tour. Un comité parlementaire multipartite parcourt présentement le Canada pour recueillir des mémoires sur le sujet.

Trois options sont présentement sur la table à Ottawa : un scrutin avec vote préférentiel, un scrutin proportionnel et le statu quo.

Le vote préférentiel permet à l’électeur de numéroter les candidats de sa circonscription selon ses préférences. Si un candidat n’obtient pas 50% des voix, les seconds choix sont pris en compte. Les commentateurs et les analystes politiques ont fait ressortir que le Parti libéral bénéficierait largement d’un tel mode de scrutin avec le transfert probable en sa faveur des votes de second choix des électeurs du NPD.

Des partis d’opposition en ont fait la même lecture et s’opposent énergiquement à cette option.

Le scrutin proportionnel faisant l’objet d’un certain consensus au Québec, il n’est pas étonnant que ses partisans s’enthousiasment pour cette option à l’échelle fédérale. Ainsi, l’ancien député péquiste Jean-Pierre Charbonneau, qui a été ministre de la Réforme électorale et parlementaire, est intervenu devant le comité parlementaire multipartite en faveur du scrutin proportionnel.

En appui à sa proposition, il a déclaré que la réforme envisagée par le gouvernement Trudeau était « l’occasion de mettre en œuvre un des grands rêves de René Lévesque » qui avait qualifié le scrutin uninominal à un tour de « démocratiquement infect ».

René Lévesque était pour une réforme du mode de scrutin… québécois. Dans sa biographie de Robert Burns (1), André Larocque rappelle que René Lévesque a annoncé officiellement l’intention de son gouvernement de modifier le mode de scrutin dans le discours inaugural à l’Assemblée nationale du 21 février 1978.

Mandaté par René Lévesque, le ministre Robert Burns déposa en novembre 1978 un premier Livre vert sur la question. Larocque explique qu’à la différence d’un Livre blanc qui donne la position du gouvernement, un Livre vert offre des solutions variées et sert à faire émerger l’opinion des citoyens.

De la vaste consultation qui s’ensuivit, d’abord en 1979, puis lors d’une nouvelle consultation en 1983, le trait le plus important qui en est ressorti était le territoire. Selon Larocque, « l’insistance sur le territoire rejoignait la notion de région à laquelle attachait tellement d’importance René Lévesque comme premier pas majeur vers des gouvernements régionaux et une véritable décentralisation des pouvoirs de Québec vers les citoyens sur le terrain ».

Dans le cas de la réforme fédérale, le territoire doit être un facteur d’autant plus fondamental qu’il recouvre, dans le cas du Québec, une dimension nationale.

Aussi, dans la perspective d’un scrutin proportionnel, il faudrait s’assurer que les listes de candidatures – une caractéristique des scrutins proportionnels – ne soient pas pancanadiennes et qu’elles respectent le territoire et la nation québécoise.

« Lorsque l’on touche aux institutions fondamentales de la démocratie, aux droits politiques fondamentaux des citoyens, il est clair, plus que jamais, que c’est aux citoyens eux-mêmes qu’il appartient de décider », déclarait Robert Burns pour justifier l’ampleur de la consultation qu’il mettait en oeuvre.

Cela n’a rien à voir avec le simulacre de consultation mené actuellement par le comité parlementaire multipartite, qui tiendra des audiences dans seulement trois villes du Québec.

En fait, comme le réclament les partis d’opposition à Ottawa, un tel changement aux institutions canadiennes nécessite la tenue d’un référendum. Bien plus, le Québec doit exiger un référendum à double majorité, c’est-à-dire une majorité au Canada anglais et une majorité au Québec pour l’entrée en vigueur d’un nouveau mode de scrutin.

Le gouvernement Trudeau est réfractaire à la tenue d’un référendum, parce que les provinces et pays qui en ont tenu (Colombie-Britannique, Ontario, Île-du-Prince-Édouard, Grande-Bretagne) ont tous vu la victoire du statu quo.

Parions aussi qu’il ne consentirait pas à la tenue d’un référendum à double majorité, parce qu’il ne reconnaît pas la nation québécoise.

Jean-Pierre Charbonneau voit dans la réforme fédérale l’occasion « de donner une nouvelle impulsion à une réforme du mode de scrutin au Québec ». Mais cela pourrait être l’inverse. Son échec au fédéral pourrait sonner le glas de sa mise en place au Québec.

Nous sommes tous « pour que chaque vote compte », comme le proclame le slogan du Mouvement pour une démocratie nouvelle. Mais plusieurs considérations entrent en jeu. Ainsi, les promoteurs d’une réforme du mode de scrutin au Québec rejettent la proportionnelle pure, en vigueur en Israël, parce qu’elle conduit à l’instabilité politique et peut donner la balance du pouvoir à des partis extrémistes.

Les calculs politiques ne sont évidemment pas absents des réformes du mode de scrutin. Au début des années 1980, le président François Mitterrand a introduit le scrutin proportionnel en France pour favoriser l’émergence du Front national, un parti marginal d’extrême droite, dans le but d’affaiblir les partis de droite. Aujourd’hui, le Front national est le principal parti politique de France.

Avec la chute de son poids démographique, le Québec est aujourd’hui marginalisé au sein du Canada. Stephen Harper a prouvé qu’il était possible de faire élire un gouvernement majoritaire sans appuis significatifs au Québec. Une possibilité qui s’est accrue avec l’ajout de 30 nouvelles circonscriptions au Canada anglais contre seulement trois au Québec.

Il ne faudrait pas qu’une réforme du mode de scrutin au niveau fédéral affaiblisse encore davantage le Québec.

  1. André Larocque, Robert Burns. Le ministre de la démocratie citoyenne. Éditions Trois-Pistoles, 2016

 


 

Photo : Ledevoir.com