Rapprocher l’argent des écoles : les effets pervers d’une fausse « bonne idée »

2016/09/27 | Par Johanne Pomerleau

L’auteure est présidente de la Fédération des professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec (FPPE-CSQ)

Depuis quelques mois, beaucoup d’encre a coulé dans les journaux pour vanter les mérites d’une politique de financement des écoles qui rapprocherait les décisions des élèves : l’école serait, semble-t-il, la mieux placée pour décider des services nécessaires pour les élèves et devrait donc gérer les sommes qui y sont associées. De plus, les parents des élèves handicapés ou en trouble d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) pourraient s’assurer que leur enfant obtienne les services auxquels il a droit. Cette idée peut sembler intéressante à première vue, mais l’est-elle vraiment? Ne serait-ce pas plutôt une façon de faire oublier le véritable enjeu, soit celui du sous-financement?

Bien sûr qu’il est important que les écoles soient mises à contribution pour déterminer les besoins des élèves, et ceci est déjà prévu à la Loi (article 96.20 de la LIP). La Commission scolaire a, quant à elle, le rôle d’embaucher les ressources et d’assurer la répartition équitable des services à l’ensemble des établissements scolaires de son territoire, Chaque élève, qu’il soit dans une petite école de campagne ou dans une grosse polyvalente, doit avoir accès au service dont il a besoin. Si les budgets sont décentralisés vers les établissements, il est illusoire de penser qu’une école de cent élèves aura les moyens d’offrir à la fois des services de psychologie, de psychoéducation, d’orthophonie, d’orthopédagogie, d’orientation scolaire, etc. Qu’arrivera-t-il au petit dysphasique (trouble grave de langage) qui se retrouvera dans une école ayant dû prioriser des services liés aux troubles du comportement et qui n’a pas de service en orthophonie?

On constate déjà des différences énormes dans le panier de service d’une commission scolaire à l’autre. Par exemple, certaines commissions scolaires ont un ratio d’un psychoéducateur pour environ 1000 élèves alors que d’autres ont un ratio d’une ressource pour environ 8000 élèves! Si un tel écart est injustifiable, imaginons maintenant quelle sera la situation si la gestion du niveau de service revient à chaque école.

Tout le monde s’accorde sur l’importance de dépister et intervenir de façon précoce. Malheureusement on constate, dans plusieurs commissions scolaires, que seuls les élèves ayant une « cote » EHDAA ont droit à des services professionnels et encore, ces services sont généralement insuffisants. Qu’en est-il des enfants à risque, ceux qui ne rentrent pas dans une petite case? Trop souvent, leur petit problème se transforme en retard d’apprentissage et devient suffisamment grave pour finalement obtenir des services. Bravo pour l’intervention précoce!

Si on veut réellement s’assurer que tous les élèves obtiennent rapidement les services dont ils ont besoin, il faut organiser des procédures de dépistage et d’intervention précoce de façon structurée, concertée et centralisée. Il en va de même pour les services qui doivent être accessibles à tous les élèves comme l’orientation, l’animation à la vie spirituelle et à l’engagement communautaire.

Comment pourrons-nous nous assurer que nos enfants, au Québec, auront droit à des services équivalents et suffisants quelle que soit l’école dans laquelle ils se trouvent? Quand la tarte n’est pas assez grosse, même si on la divise en petits morceaux, elle reste trop petite! Commençons donc par rééquilibrer l’offre de services d’une commission scolaire à l’autre par le biais d’un ajout de ressources, regardons ce que la recherche dit sur la prévalence des troubles et handicaps et regardons les modèles de dépistage et d’intervention précoce ayant fait leurs preuves. Donnons-nous, au Québec, une vision cohérente et équitable des services en tenant compte de la défavorisation. Et surtout, finançons les services en conséquence!