Les années tourmente du PQ (1981-1987)

2016/11/23 | Par Gilbert Paquette

L’auteur est un ex-ministre de la Science et de la Technologie

Le mois de novembre nous remet en mémoire la grande victoire indépendantiste de 1976, mais en même nous rappelle douloureusement que ce pays « que nous croyions si proche » ne s’est toujours pas concrétisé. Au colloque organisé par la SSJB pour commémorer le 40ème anniversaire de la victoire du Parti québécois, on m’a demandé de parler de cette période qui a suivi la défaite référendaire de 1980. On l’a qualifiée du terme « les années tourmente.

Ce segment de l’histoire du Parti Québécois porte bien son nom. Trente-cinq ans après cette période de notre histoire, ceux et celles qui l’ont vécu de près sont toujours tourmentés quant au rôle de ce parti, mais aussi « entêtés d’avenir » (Gaston Miron), marqués par un débat entre deux visions de l’avenir entre lesquelles oscille ce parti : gouvernement autonomiste d’une province ou mouvement d’émancipation nationale. C’est cette alternative que j’aimerais illustrer en résumant l’histoire du parti, telle que l’ai vécue de 1981, jusqu’au retour de Jacques Parizeau en 1987.

 

Gouverner dans le régime : austérité et rapatriement

Au lendemain du référendum de 1980, l’élan de 1976 est brisé. René Lévesque, le soir de la défaite du 20 mai, a bien dit à la foule accablée « À la prochaine », mais il a déjà fait son choix sur ce qu’il doit faire, parce qu’il a vu venir la défaite depuis longtemps, même s’il a tout fait pour l’éviter. Il se doit de respecter le choix démocratique des Québécois et accepter de gouverner le Québec dans le régime fédéral, ce à quoi il s’est engagé en 1976 en pensant que ce serait temporaire. Mais cette fois, ce sera jusqu’à son départ de la politique.

Gouverner le Québec, une tâche noble bien sûr, mais un rôle instrumental pour un parti de changement qui veut toujours porter le grand dessein de faire du Québec un pays.

Gouverner dans le régime en ce début de 1981, cela voulait dire faire face à une récession économique qui commençait à frapper durement le Québec, avec les moyens d’une province.

Le nouveau ministre responsable du Conseil du trésor, Yves Bérubé, multiplia les déclarations visant l’austérité, l’élimination des organismes et des programmes, les coupures dans les avantages sociaux des employés de l’état, etc. Un discours redevenu malheureusement familier depuis l’élection de 2014, mais qui était nouveau au Parti québécois, un discours qui révèlera une autre fracture dans la grande coalition péquiste, sur le plan de la social-démocratie cette fois.

Avec une dizaine de députés, dont Louise Harel et Pierre de Bellefeuille, j’eu beau produire un document pour faire face à la crise de façon social-démocrate, pour aussi relancer le débat national par la solidarité, ce fut peine perdue.

En même temps, Pierre-Elliot Trudeau avait entrepris de perpétrer le coup d’État[1] du rapatriement qui devait permettre à l’État canadien, d’imposer au peuple québécois une nouvelle constitution diamétralement opposée à ses positions historiques, exactement le contraire de ce qu’il avait promis aux Québécois la veille du référendum.

Pour s’y opposer, une entente interprovinciale fut conclue portant la signature de huit premiers ministres de province dont celle de René Lévesque, le tout coiffé du drapeau canadien. Le premier ministre eut beau affirmer « que la participation du Québec à cet accord interprovincial n’affecte en rien le droit inaliénable des Québécois de décider démocratiquement de leur avenir collectif »[2], n’empêche que ce fut la consternation au caucus des députés. Ainsi, le chef de notre parti, devenait un des partenaires des autres provinces et travaillait comme les autres à renouveler le fédéralisme, une option à laquelle nous ne croyions pas. Une impasse qui allait vite se révéler bloquée à double tour.

 

“Le chaud et le froid”

Après la « nuit des longs couteaux » René Lévesque revenait d’Ottawa humilié d’avoir été trahi, en colère contre cette situation de minorisation où le Québec était placé malgré lui. En novembre, à l’approche du Congrès national, le conseil national du Parti adoptait la position d’une prochaine élection ayant pour enjeu un mandat de réaliser souveraineté. Au discours d’ouverture du congrès, le 4 décembre 1981, un René Lévesque enflammé prononça l’un de ses meilleurs discours indépendantistes : « C’est fini ce jeu où les dés sont toujours pipés. (…) Tous les efforts doivent tendre vers la construction d’un pays »[3]. Le congrès lui répondit par une longue ovation et en scandant : « Le Québec aux Québécois », debout sur les chaises, la motivation étant à son paroxysme.

Sur cette lancée, les ateliers du congrès entreprirent de biffer toute référence à l’association, votant d’autres résolutions qui allait beaucoup plus loin que ne le souhaitait le chef du parti. Celui-ci décrocha complètement du congrès. La menace de sa démission provoqua un référendum interne auprès l’ensemble des membres du parti fut tenu pour revoir ces décisions du Congrès.

Membre député de l’exécutif national, je fus chargé d’intégrer la résolution approuvée par les membres lors de ce référendum au programme voté par le congrès. Le résultat fut que « que l’association économique ne serait plus liée à la souveraineté (le fameux « trait d’union » disparaissait) et que celle-ci serait le thème de la prochaine campagne électorale. Cependant, il faudrait obtenir la majorité des suffrages exprimés avant de proclamer l’indépendance et de faire une offre d’association économique au reste du Canada. »[4]

En somme, on revenait à peu de chose près au programme de 1974. On ne séparait plus un vote pour le parti d’un vote pour la souveraineté. Lors de la reprise du congrès en février, la résolution fut adoptée à la presque unanimité, avec l’appui de René Lévesque, non sans le départ de milliers de militants du parti. Ce ne serait malheureusement pas la dernière fois.

Chaque fois qu’il en aurait l’occasion, le premier ministre défendrait publiquement la position du congrès telle que modifiée suite au référendum interne du Parti. Au sortir du Conseil des ministres en septembre 1983, devant les journalistes, il déclarait encore « On a dit qu’on mettrait notre tête sur le billot sur l’avenir national du peuple québécois et cela demeure unanimement l’opinion du Conseil des ministres. »[5] Selon Martine Tremblay, il gardera obstinément cette ligne jusqu’au Congrès de juin 1984. 

En préparation du Congrès national de juin 1984, il devenait nécessaire de s’assurer que cette résolution tenait toujours. Alors ministre-député et membre de l’exécutif national, je préparai une résolution qui reprenait l’idée que les prochaines élections porteraient sur un mandat de réaliser la souveraineté. René Lévesque participait à la réunion. Il affirma être toujours d’accord avec les orientations qu’il avait maintes fois réaffirmées au cours de l’année précédente.

Au congrès, quand la résolution vint en atelier, l’ancien ministre Jacques-Yvan Morin attaqua de front la résolution, la réduisant à un « crois ou meurs » arrogant et suicidaire qui revenait à dire à la population, « si vous n’êtes pas d’accord avec la souveraineté, ne votez pas pour nous ». Il ébranla la détermination du premier ministre qui était devant moi. Bien sûr, on pouvait avoir à l’esprit la baisse de popularité du gouvernement suite aux mesures d’austérité. Pourtant, l’appui à la souveraineté se situait autour de 45%. J’allai au micro des « pour » avec plusieurs autres collègues dont Jacques Parizeau et Camille Laurin. D’autres collègues, Jacques-Yvan Morin en tête, allèrent au micro des « contre », alors que le chef du parti s’abstint d’intervenir. À la fin du débat, la résolution sur l’élection souverainiste fut entérinée à une très forte majorité par les délégués de la plénière.

 

« Beau risque » et rupture.

Dès la fin du congrès, les ministres qui souhaitaient la mise en veilleuse de la souveraineté se déchainèrent : « Suicide collectif programmé, « Antidémocratique! », (des mots qu’on a aussi entendu il n’y a pas longtemps).

Suite au congrès les débats continuèrent en privé. Martine Tremblay relate une réunion du 5 juillet où participaient quelques proches de René Lévesque. « Claude Charron est littéralement déchainé, dit-elle. Selon lui, le PQ a décidé de se suicider, même comme parti. L’idée de faire du Québec une nation souveraine est enterrée. Il faut en finir avec la dichotomie « noir-blanc », que ce parti a imposée et qui a conduit à l’échec. (…) il souhaite la création d’un nouveau véhicule politique (…) dont les leadeurs éventuels doivent pouvoir tenir un langage fédéraliste tout en ayant des convictions indépendantistes. »[6]

Entre temps, un nouveau gouvernement conservateur sous la direction de Brian Mulroney arrivait à Ottawa. Chez les conseillers de René Lévesque, notamment Marc-André Bédard et Lucien Bouchard, des liens s’établirent rapidement avec ceux qu’on qualifierait bientôt d’alliés. C’est ainsi que la stratégie dite du « beau risque » prit forme. Citons René Lévesque le 22 septembre : « Et si la collaboration du gouvernement conservateur devait s’améliorer, cela ne risquerait-il pas d’étouffer notre option fondamentale et de renvoyer la souveraineté aux calendes grecques ? De toute évidence, il y a un élément de risque. Mais c’est un beau risque. »[7]. Dès ce moment, je compris que rien n’était encore gagné pour la reprise du combat pour l’indépendance nationale.

Commentant cette situation, plusieurs journalistes évoquèrent la possibilité d’un schisme au sein du Parti Québécois où « les indépendantistes repartent à neuf de leur côté. (…) pour les mener à la réalisation un jour de leur objectif et tentent de ramener ceux qui depuis le « renérendum » ont déjà quitté.»[8]

Pour ma part je n’en étais pas rendu là, espérant toujours que le chef du Parti pourrait ramener à l’ordre les nouveaux « autonomistes» pour qu’ils respectent la position officielle du parti. Camille Laurin, tentant lui aussi d’éviter le schisme appréhendé proposait d’inclure dans la plateforme électorale des engagements ne pouvant être réalisé que par un État souverain. On ferait ainsi porter la campagne à la fois sur la souveraineté et sur les moyens que la souveraineté donnerait au Québec pour sortir de la crise économique et assurer son développement.

Lors d’une réunion de stratégie, le 22 octobre, à l’exception de Louis Bernard qui voulait lui aussi éviter le schisme à tout prix, la majorité des membres de la garde rapprochée du premier ministre étaient devenus convaincus « qu’il faut crever l’abcès quitte même à se résigner à quelques départs ».[9]

Le 19 novembre, René Lévesque mit fin au suspense par un texte explosif, « Pour que la discussion prenne fin », où il trancha dans le vif refusant à certains de ses proches d’atténuer un paragraphe où il parle « de cet État-nation que nous croyions si proche et totalement indispensable ». Dans une autre section, M. Lévesque désavoue complètement le Congrès de son parti : « pour la prochaine élection (…) la souveraineté n’a pas à être un enjeu : ni en totalité ni en parties plus ou moins déguisées », rejetant ainsi clairement toutes les tentatives de compromis suggérées par Camille Laurin dans le but de préserver l’unité du Parti.

Au Conseil des ministres suivant, René Lévesque nous rappela aux devoirs de la solidarité ministérielle. Le message était clair, nous nous taisions où nous démissionnions du conseil des ministres.

 

La fin d’une époque

Nous fûmes sept ministres et deux députés à démissionner de leur poste, dans les jours qui suivirent après de nombreuses et déchirantes rencontres. Un congrès avait été convoqué le 19 janvier 1985 pour défaire ce que le congrès de novembre 1984 avait pourtant adopté en juin de l’année précédente. Moi et d’autres, nous fîmes le tour des comtés pour défendre notre position, en fait celle du parti, adoptée au congrès. Ce fut un débat d’idées mené sans illusions sur le résultat, mais tenu dans le respect des adversaires et du chef du parti. Cela fut noté par certains observateurs dont Marcel Adam : « Au cours du débat qui a fait rage ces derniers mois, j’ai souvent admiré chez les intransigeants la générosité et la modération à l’endroit de ceux qui ruinaient leurs rêves.»[10]

Au congrès de 1985, nous n’avions convaincu que le tiers des délégués. Nous fûmes quelques centaines à quitter le plancher du congrès pour nous réunir dans une autre salle et fonder un mouvement : le Rassemblement démocratique pour l’indépendance (RDI) qui allait en définitive contribuer au retour de Jacques Parizeau deux ans plus tard.

En juin de la même année, René Lévesque démissionnait comme chef du parti qu’il avait fondé. À cette nouvelle, dans un restaurant de Québec près du parlement, avec des collègues des deux camps, nous sympathisâmes à cette nouvelle qui nous attristait tous.

C’était la fin d’une époque.

Au début de l’automne, René Lévesque était remplacé par Pierre-Marc Johnson comme chef du Parti Québécois. Le parti qui comptait plus de 300,000 membres en 1981 n’en regroupait plus qu’environ 70,000 (comme maintenant d’ailleurs). Le taux de participation à l’élection de l985 passa de plus de 80% à 70% en 1985. Les indépendantistes, privés d’un parti, s’abstinrent massivement. Sortant d’une intervention chirurgicale majeure, j’allai, pour la première fois de ma vie, enregistrer mon abstention sans la rendre publique. Dans mon comté de Rosemont, le parti libéral obtint un peu moins de votes qu’à l’élection précédente, mais il dépassa le Parti Québécois dont les appuis diminuèrent de près de 7000.

Le 2 décembre, le Parti Québécois retourna dans l’opposition sans avoir défendu son option au cours de la campagne électorale.  Encore une fois! On avait perdu sur tous les plans.

 

En CONCLUSION

Que retenir de ces années tourmente, de cette descente aux enfers du Parti québécois. Selon le journaliste Graham Fraser, « Le référendum de 1980 transforma le Parti Québécois de mouvement national qu’il était, en parti politique provincial. René Lévesque, qui jusqu’alors était un leadeur national, devint un premier ministre provincial »[11].

Un premier ministre déchiré, on l’a bien vu, oscillant entre son rôle de premier ministre d’une province et celui de chef d’un mouvement d’émancipation nationale.

C’est encore ces déchirements, cette schizophrénie presque, que vivront tous les chefs du parti québécois qui lui succèderont. Seul y échappera Jacques Parizeau en assumant pleinement le combat indépendantiste. Sans cela, le référendum de 1995 n’aurait jamais eu lieu.

Depuis le référendum toutes les campagnes électorales du Parti québécois ont évacué l’option indépendantiste. Un Parti québécois toujours à la croisée des chemins ne peut aller nulle part. Seul un projet indépendantiste clairement assumé pourra rallier l’ensemble des mouvements et des partis de la famille indépendantiste en recréant un véritable mouvement d’émancipation nationale.

Je suis convaincu que, tôt ou tard, cela se fera en autant que l’on transcende les lignes partisanes grâce au seul ciment qui nous réunit tous. C’est le défi actuellement devant nous.

 

[1] Frédéric Bastien. La Bataille de Londres, dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel. Boréal, avril 2013.

[2] Graham Fraser, op. cit p. 307

[3] Graham Fraser, op. cit. p. 328

[4] Graham Fraser, op. cit. p.335-336

[5] Martine Tremblay, op. cit. p. 342

[6] Martine Tremblay, op. cit. pp.373-374

[7] Robert Lefebvre, Le Devoir, 24 septembre 1984

[8] Jean K. Samson, « Le PQ est arrivé à son heure de vérité », Le Soleil, 26 octobre 1984

[9] Martine Tremblay, op. cit. , p. 401-402

[10] Marcel Adam, « Certains être empêchent de désespérer des hommes », La presse, 2 février 1985

[11] Graham Fraser, op. cit. p. 264