Les changements climatiques et le marché de l’emploi

2016/12/02 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur adjoint d’Unifor.

Le 26 octobre dernier, le projet de loi 104 recevait la sanction royale. Nous avons donc maintenant au Québec une loi qui vise à augmenter le nombre de véhicules automobiles à zéro émission afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et autres polluants.

Cette loi établira un système de crédits-carbone et de redevances applicables à la vente ou à la location par les constructeurs de véhicules automobiles neufs. Les constructeurs visés par la loi devront accumuler des crédits-carbone, dont le nombre sera fixé par règlement.

Ces crédits-carbone pourront être accumulés par la vente ou la location de véhicules automobiles neufs, qui fonctionnent entièrement ou en partie à l’énergie électrique, ou lors de leur acquisition d’un autre constructeur automobile. La loi prévoit également que les constructeurs automobiles, qui n’ont pas accumulé suffisamment de crédits, devront  payer une redevance au gouvernement québécois.

En deux mots, lorsqu’un constructeur vend ou loue, au cours de trois années consécutives, plus de 4 500 véhicules, il devra accumuler des crédits-carbone, sans quoi il devra payer des redevances au gouvernement du Québec.  

Ces crédits-carbone peuvent être accumulés de deux façons, soit par la construction de véhicules hybrides ou entièrement électriques, ou leur achat d’un autre constructeur pour ensuite les vendre ou les louer au Québec. Le nombre de véhicules hybrides ou électriques qu’un constructeur devra mettre en vente ou en location au Québec sera établi en fonction du nombre total de véhicules qu’il vend.

Cette loi, comme bien d’autres, ne fait pas que des heureux. Il y a nos amis de la droite qui, à la base, sont contre toute forme de règlementation des marchés. Pour eux, le marché de l’automobile, comme les autres marchés, doit être libre de toute contrainte et la loi de l’offre et la demande règlera tout. C’est l’idéologie de la « main invisible »  d’Adam Smith, qui fait foi de tout.

Parmi eux, se trouvent également les climatosceptiques pour qui le réchauffement de la planète est un phénomène naturel. Selon eux, les activités de l’homme, comme l’utilisation des énergies fossiles, n’ont rien à voir avec le réchauffement de la planète.

Il ne faut pas être surpris d’entendre, de la bouche de nos amis de la droite, des slogans comme « Job! Job! Job! » pour établir que la seule règle en matière de développement des marchés est, c’est l’emploi.

Pour eux, à partir du moment où on crée un emploi, c’est bon, peu importent les conséquences pour la société ou l’environnement.  Dans le même ordre d’idée, lorsqu’on leur demande de préciser leur position concernant le développement du pétrole, ils nous répondent « Drill! Baby! Drill! ». Dans le cas des ressources minières, ce sera « Mine! Baby! Mine ! »

De l’autre côté, les environnementalistes trouvent que c’est un pas dans la bonne direction, mais qu’il faudrait aller plus vite et plus loin dans l’électrification du transport. Non seulement, il faudrait électrifier rapidement le parc automobile, mais également le transport en commun. L’objectif étant de s’affranchir des énergies fossiles le plus rapidement possible parce que le temps est compté en matière de réchauffement de la planète.

Pour ma part, l’idée que nous devrons éventuellement nous affranchir du pétrole ne fait aucun doute. La loi adoptée récemment par le gouvernent du Québec concernant l’augmentation du nombre des véhicules à zéro émission afin de réduire les gaz à effet de serre est une des mesures pour y parvenir. Il faut s’attendre à ce que d’autres mesures dans le même sens soient prises et il faudra tenir compte de leur effet sur l’emploi.

Sans tomber dans le « Job! Job! Job! » à tout prix, il est possible de prendre des mesures qui répondent à la fois à la nécessité de sauver la planète et de sauvegarder des emplois.   Pour ce faire, il faut ajouter à l’équation des mesures de transition pour les travailleurs et adopter une vision d’ensemble du dossier de la réduction des gaz à effet de serre.

Par exemple, la loi qui vise l’augmentation du nombre de véhicules à émission zéro contient des mesures transitoires afin de donner aux employeurs un temps raisonnable pour s’y conformer.

Mais il n’y a aucune mesure pour les travailleurs, qui perdront leur emploi à cause de l’augmentation des véhicules à émission zéro, même s’il a été clairement démontré, lors de l’étude du projet de loi, que le fait d’augmenter le nombre de véhicules entièrement électriques aura à terme pour effet de couper de près de 50 % le travail d’entretien que les mécaniciens doivent effectuer sur une automobile.

Avoir une vision d’ensemble signifie qu’il faut non seulement prendre des mesures pour diminuer les gaz à effet de serre, mais également évaluer l’impact de ces mesures sur les pertes d’emplois qui en découleront.

Il faut se demander : Comment allons-nous recycler les milliers de travailleurs qui perdront leur emploi parce que nous n’aurons plus besoin, entre autres, de fabriquer des moteurs à combustion, des systèmes d’échappement, des modules antipollution, etc.?  Parce que la demande en lubrifiant, comme l’huile à moteur et à transmission et, bien entendu, en essence diminuera de façon significative, et l’entretien par un mécanicien des véhicules électriques requiert 50 % moins de travail qu’un véhicule avec un moteur à combustion.

Il faut également prévoir comment nous allons aligner notre système d’éducation sur cette nouvelle réalité afin d’éviter, par exemple, de former de nouveaux mécaniciens qui se retrouveront au chômage, faute de demande sur le marché du travail.

Il faudra aussi prévoir les emplois qui seront créés par l’augmentation des véhicules électriques, par exemple, dans l’industrie de la fabrication de batteries et de bornes de rechargement.

Encore une fois, devant une telle situation, nous devrons ajuster notre système d’éducation pour nous assurer d’avoir une main-d’œuvre qualifiée le moment venu, pour répondre à cette nouvelle demande sur le marché de l’emploi, ce qui favorisera l’implantation de cette industrie chez nous.

Le virage vert et la lutte au changement climatique sont complexes. Le marché de l’emploi sera grandement affecté par tous ces changements. Les travailleurs doivent absolument être au cœur de tous ces changements, leurs représentants et les syndicats doivent être à toutes les tables où les décisions seront prises.

Les projets de loi doivent impérativement être rédigés avec une vue d’ensemble et contenir des mesures transitoires pour les travailleurs, sinon la planète fera les frais des modifications climatiques et les travailleurs feront les frais de la lutte aux changements climatiques.


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