Le gouvernement Trudeau met en péril les fleurons québécois

2016/12/06 | Par Xavier Barsalou-Duval

L’auteur est député du Bloc Québécois.

Du mini-budget du ministre Morneau à Ottawa, c'est surtout l’annonce anticipée de 81 milliards de dollars supplémentaires en infrastructures pour le prochain mandat libéral qu'on a retenue. Il existe cependant une donnée majeure qui est passée sous le radar. En effet, l’énoncé économique de l’automne 2016 contient une pilule plus que difficile à avaler pour l’économie québécoise.

Bien que sa mise en œuvre ne soit pas encore effective, « le seuil d’examen en vertu de la Loi sur Investissement Canada sera rehaussé à 1 milliard de dollar dès 2017 ». En termes compréhensibles, cela signifie que le ministre du Développement économique du Canada n’aura plus à autoriser les acquisitions étrangères d’entreprises d’ici si elles ont une valeur inférieure à un milliard de dollars.

En fait, la Loi sur Investissement Canada donne le pouvoir au ministre d’autoriser, de refuser ou encore de mettre des conditions à une transaction impliquant un investissement étranger important en se basant sur le critère de l’avantage net de l’investissement pour le Canada.

Avant cet énoncé économique, le seuil d’examen était fixé à 600 millions de dollars et le Bloc Québécois revendiquait depuis quelques années qu’il soit abaissé à 300 millions. Le gouvernement Trudeau, à l'opposé des intérêts québécois, a jugé plus sage de presque doubler le seuil déjà trop élevé en l’augmentant à un milliard!

Avec ce nouveau seuil d’examen aberrant, le ministre Morneau exclut plusieurs entreprises québécoises phares du devoir de supervision qu’a le gouvernement en ce qui a trait aux transactions d’envergure. Par exemple, des géants québécois tels que les Industries Lassonde, Heroux Devtek, le Groupe Canam, Produits forestiers Résolu, Beault & Martineau et Ameublement Tanguay ne seront plus régis par la loi et deviendront ainsi des proies facilement accessibles.

Alors qu’au Québec on se questionne sur les moyens à mettre en place pour assurer le maintien et le développement de nos sièges sociaux, le gouvernement d’Ottawa se permet de renchérir en diminuant le pouvoir des institutions dans le processus. Il est complètement irresponsable de laisser aller nos intérêts économiques à l’aveuglette, au hasard du libre-marché. Le message qu’on envoie, c’est qu’ici on ne se soucie pas de nos sièges sociaux, c’est « bar open " et que l’encan est ouvert!

Il faut savoir que les sièges sociaux québécois subissent présentement toute une saignée. De 2 865 en 2010, ils sont passés à 2 756 en 2014, ce qui constitue une perte nette de 109 sièges sociaux en seulement quatre ans. À ce chapitre, avec la perte de St-Hubert, de RONA et du Cirque du Soleil, qui sont allés rejoindre les Alcan, SICO, Provigo et la Bourse de Montréal au caveau des grandes entreprises québécoises disparues, l’année 2016 aura été particulièrement pénible.

On doit le marteler : le sort de ces compagnies a une immense incidence sur notre économie. Le plus souvent, de nombreux d’emplois sont en jeu, dont certains très bien payés dans des centres décisionnels. Elles contribuent aussi au fleurissement de tout un écosystème économique duquel les fournisseurs locaux et les services financiers spécialisés font partie. Enfin, il faut se rappeler que la prospérité et la croissance de ces entreprises sont souvent dues en bonne partie au soutien de l’État, duquel elles ont pu bénéficier aux frais des contribuables.

On se souvient que dans la saga entourant la vente de RONA, le ministre de l’Innovation, de la Science et du Développement économique du Canada, Navdeep Bains, également responsable de la Loi sur Investissement Canada, s’est empressé à autoriser la vente malgré les avertissements du Bloc Québécois quant à de possibles irrégularités dans la transaction.

La suite nous a malheureusement donné raison. Anticipant la possibilité que le dossier ait été bâclé pour que le ministre se débarrasse de la patate chaude, nous lui avons demandé de rendre publiques les études et les mécanismes de supervision auxquels il s’était référé, ce qu’il a toujours refusé de faire.

Avec l’augmentation du seuil d’examen, le ministre a répondu malgré lui aux Québécois. Sa réponse est que le gouvernement Trudeau a choisi de s’en laver les mains et d’abandonner le sort des fleurons québécois en laissant au grand capital le soin de décider de leur sort. On l'a constaté, les enjeux sont grands, mais la nonchalance, ajoutée à l’incompétence du gouvernement Trudeau en lien avec la gestion des intérêts économiques du Québec, sera très nuisible à court, à moyen, mais aussi à long terme.