La provincialisation accélérée du Parti Québécois

2016/12/20 | Par Pierre Dubuc

Dans un article publié dans le Devoir et intitulé « Il faut rehausser le financement de nos services publics » (19 décembre 2016), Nicolas Marceau, porte-parole du Parti Québécois en matière de finances, présente la position de son parti sur cet enjeu majeur.

On y trouve des idées avec lesquelles on ne peut être en désaccord : mettre un terme à l’austérité, lutter contre les inégalités pour assurer une véritable égalité des chances, offrir un panier de services publics plus généreux, etc.

Comment le PQ entend-il rehausser le financement des services publics, tout en réaffirmant son engagement à ne pas hausser les impôts?

Marceau et le PQ – car ce texte n’aurait pas été envoyé aux journaux sans l’approbation du chef – misent essentiellement sur la croissance économique, qui résultera des efforts d’un gouvernement péquiste avec le déploiement d’une « véritable politique économique qui encouragera l’innovation et l’investissement, stimulera les exportations, freinera la délocalisation des emplois et favorisera le maintien et le développement des sièges sociaux au Québec ».

Au passage, Marceau nous promet bien que le PQ agira « avec vigueur » dans la lutte contre les paradis fiscaux et « combattra » le déséquilibre fiscal.

Mais la possibilité d’agir contre les paradis fiscaux est extrêmement limitée dans un cadre provincial et le « combat » contre le déséquilibre fiscal ne sort pas non plus de ce cadre.

Rien n’est dit sur le fait que les principaux leviers économiques nécessaires pour établir une « véritable politique économique » relèvent du fédéral et que les 50 milliards $ en impôts et taxes que nous versons à Ottawa chaque année sont gérés par un gouvernement et un Parlement d’une autre nation. Rien sur la nécessité de l’indépendance. 

Après cela, on se demande pourquoi l’appui à la souveraineté a chuté à 30%!

C’est un cercle vicieux. Plus on laisse croire qu’on peut s’en tirer dans le cadre provincial, moins les gens croient la souveraineté nécessaire, ce qui justifie en retour son abandon.

Toute organisation déploie son action en fonction de son objectif. Il en va de même pour un parti politique. Si l’objectif est l’indépendance, les recherches et l’argumentaire, le discours interne et les interventions publiques seront établis en fonction de cet objectif.

Si l’objectif est la gouvernance d’une province, nous aurons des interventions comme celle de Nicolas Marceau dans le Devoir.

 

Le rapetissement

Dernièrement, lors du colloque organisée pour célébrer le 40e anniversaire de la prise du pouvoir par le Parti Québécois, j’ai participais à un panel avec, entre autres Mme Marois, sur la période 2005-2016.

J’ai fait titiller l’assistance en soulignant qu’il n’était pas anodin, lors des instances du Parti Québécois, que Mme Marois ne soit pas présentée comme la future présidente d’un Québec indépendant – comme c’était le cas pour Bernard Landry et André Boisclair, lorsqu’ils dirigeaient le parti – mais bien comme la future première femme premier ministre du Québec.

J’ai précisé que je n’étais évidemment pas contre que le PQ soit dirigé par une femme. Au contraire, ai-je souligné, ce serait même un acquis sur la scène internationale, parce qu’un mouvement indépendantiste dirigée par une femme plutôt que par un homme avait plus de chance de susciter des appuis.

Mais le Parti Québécois est un parti indépendantiste et non un parti féministe. Son objectif premier n’était pas de faire élire une femme à la tête d’une province, mais de réaliser l’indépendance du Québec.

J’ai mis cela en lien avec l’amateurisme dont a fait preuve le PQ, lors de la dernière campagne électorale, et son manque de préparation lorsqu’a été soulevée la question de l’indépendance – suite à la candidature de Pierre Karl Péladeau – comme l’a révélé l’attaché politique de Mme Marois, Dominique Lebel, dans son livre L’intimité du pouvoir (Boréal).

Mme Marois s’est justifiée en soulignant l’état de crise sociale, lorsqu’elle a pris le pouvoir à la tête d’un gouvernement minoritaire, et le fait qu’elle a toujours parlé d’indépendance dans les instances du parti.

Évidemment, les événements se bousculent lorsqu’on arrive au pouvoir. C’est pourquoi il importe de se préparer à faire face à la musique lorsqu’on on est dans l’opposition. J’ai rappelé à Mme Marois que, dans le cadre de la préparation du congrès de 2011, elle avait fait battre une résolution de Mme Lisette Lapointe, qui détaillait les démarches à suivre pour préparer un référendum sur la souveraineté, en s’inspirant de la voie suivie par M. Parizeau en 1994-1995.

Je lui ai aussi rappelé que, lors du Conseil national qui s’était tenu en février 2013, elle avait effectivement, dans son discours de clôture, donné explicitement et solennellement pour mandat à tous ses ministres de lier la question nationale à leurs responsabilités ministérielles respectives dans toutes leurs interventions publiques.

Au Sommet sur l’enseignement supérieur, qui a eu lieu quelques jours plus tard, il n’en fut jamais question. Ni le ministre Pierre Duchesne, ni Pauline Marois n’ont évoqué le manque à gagner de 800 millions $, résultant de la décision unilatérale du gouvernement canadienne, prise en 1994-1995, de réduire de 50% les transferts fédéraux aux provinces pour l’éducation post-secondaire.

Pourtant, cela aurait pu expliquer pourquoi le gouvernement imposait l’indexation des droits de scolarité plutôt que leur gel.

 

Plus que des recherches, des brochures et des assemblées de cuisine

Les militants du Parti Québécois misent beaucoup sur les recherches du nouvel institut créé par PKP pour leur fournir un argumentaire en faveur de la souveraineté. Avec raison, ils exigeront des brochures vulgarisant le résultat de ces recherches et, ainsi armés, se montreront volontaires pour organiser des réunions publiques ou des assemblées de cuisine.

Tout cela est fort bien et tout à fait essentiel pour consolider le noyau d’indépendantistes.

Mais il faut autre chose pour rejoindre le grand public et le convaincre de la nécessité de l’indépendance.

Pour ce faire, il faut avoir accès aux grands médias de masse. Les politiciens ont cet accès. Mais encore faut-il qu’ils les utilisent à bon escient.

Chaque semaine, des événements surviennent qui illustrent les conséquences négatives de notre enfermement dans le régime fédéral.

Il y a, bien entendu, les grands dossiers. Par exemple, un dossier d’actualité comme la réduction de 6% à 3% des transferts fédéraux en santé (dont ne fait même pas mention Nicolas Marceau dans son texte, bien qu’il touche directement le financement des services publics).

Mais il y en a plein d’autres. Par exemple, Québec met sur pied une enquête concernant l’espionnage des journalistes par la police. Mais la mise en vigueur d’éventuelles recommandations lui échappera étant donné que le code criminel relève du fédéral.

Des citoyens s’opposent à la construction d’un aéroport. Les municipalités et le gouvernement du Québec n’y peuvent rien. Cela relève du fédéral.

Aux élus indépendantistes, tant à Québec qu’à Ottawa, de faire de l’éducation populaire à partir d’exemples vivants, tirés de l’actualité, qui touchent les citoyens dans leur vie quotidienne.

Si cela était fait de façon systématique, l’adhésion à la souveraineté bondirait.

Et la population comprendrait que l’amélioration et le financement de nos services publics passent par la récupération de l’ensemble de nos impôts, comme aurait dû le démontrer Nicolas Marceau.

 

Photo : Ledevoir.com