Martine Ouellet, députée indépendante à Québec, et chef du Bloc Québécois

2016/12/23 | Par Pierre Dubuc

Dans sa chronique du 20 décembre, Michel David du Devoir juge, tout comme Gilles Duceppe, qu’il serait « incompatible » que Martine Ouellet dirige le Bloc Québécois, tout en siégeant à l’Assemblée nationale.

Pour illustrer son propos, il donne l’exemple suivant : « Imaginez le tollé si un député de la Chambre des communes avait pris la direction d’un parti représenté à l’Assemblée nationale, par exemple le Parti Égalité, qui se voulait jadis le défenseur des droits des anglophones. On aurait immédiatement crié à l’intrusion fédérale et au conflit d’intérêts ».

Bien sûr que les souverainistes auraient crié à l’intrusion fédérale et cela aurait été de bonne guerre. Mais la question qu’on doit se poser est : quelle aurait été la réaction de la communauté anglophone? Parions qu’elle aurait applaudi des deux mains.

 

On est en guerre

Plus de 50 ans de lutte pour l’indépendance du Québec – en ne tenant compte que de l’histoire récente – nous ont appris que les fédéralistes considèrent que tous les moyens sont bons dans ce qu’ils décrivent comme une « guerre ».

On se souviendra des propos de Jean Pelletier, le bras droit de Jean Chrétien, qui expliquait, dans une entrevue accordée au journaliste Gilbert Lavoie (Le Soleil, 14 janvier 2009), pourquoi les fédéralistes n’avaient pas respecté la loi québécoise, lors du référendum de 1995 : « On s'est fiché très franchement du comité du Non. (…) Dans la guerre, on ne se demande pas si les munitions sont payées, on les tire. (…) Quand on est en guerre, on va-tu perdre le pays à cause d'une virgule dans la loi? ».

Le projet de Martine Ouellet n’est pas de cette nature. Il n’est ni illégal et ne contrevient pas à l’éthique, comme l’a reconnu le commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale, Jacques Saint-Laurent, dans l’avis que Martine Ouellet lui a demandé.

D’autres avancent l’argument que Martine ne pourrait assumer concurremment les responsabilités de député et de chef d’un parti politique. Mais que font les Couillard, Lisée et Legault? Et les députés qui ont d’importantes responsabilités ministérielles?

Lorsqu’elle était ministre des Ressources naturelles – un ministère particulièrement exigeant – Martine Ouellet a organisé plus d’activités dans sa circonscription qu’un bon nombre de « backbenchers » péquistes!

 

L’enfermement dans le « home rule »

Les fédéralistes ne respectent aucune règle, mais les souverainistes ont tellement intégré le discours du colonisateur qu’ils mettent des obstacles là où il n’y en a pas.

Dans le partage des compétences au sein de la Confédération canadienne, la puissance impériale a procédé de façon tout à fait classique en cédant au parlement local québécois les pouvoirs de proximité (santé, éducation, mesures de redistribution), qui ont un impact immédiat sur la vie de population. C’est le fameux « home rule ».

Mais les « vraies affaires », les pouvoirs régaliens (politique extérieure, défense, accords de libre-échange, banque centrale, etc.) ont été accordés au gouvernement central, dominé par la majorité anglophone.

S’inscrivant dans la même logique, nos médias fédéralistes et même nationalistes – nous y reviendrons dans un prochain article – consacrent la grande majorité de leurs articles à l’actualité politique de l’Assemblée nationale et négligent ce qui se passe à Ottawa.

 

Un nouveau paysage politique

Pendant la période faste du Bloc Québécois, il s’était installé une certaine division des tâches entre le Bloc et le PQ. Elle était questionnable et mériterait de faire l’objet d’un sérieux bilan.

Mais la déconfiture du Bloc et l’élection d’un chef du PQ, qui a reporté aux calendes grecques le référendum sur la souveraineté, ont considérablement modifié le paysage politique.

Le PQ se cantonne dans une approche carrément provincialiste. Dans le discours, tant célébré, d’acceptation de sa victoire, Jean-François Lisée ne fait référence qu’à des questions relevant du « home rule », mis à part le projet d’oléoduc d’Énergie Est.

C’est la même approche qui prévaut dans le texte de fin d’année de Nicolas Marceau paru dans l’édition du 19 décembre du journal Le Devoir et que nous avons critiqué dans notre texte, La provincialisation accélérée du Parti Québécois.

Ce respect du cadre du « home rule » était aussi commun à toutes les candidatures, lors de la dernière course à la direction du Parti Québécois, sauf celle de Martine Ouellet.

Elle a été la seule à sortir du carcan en déposant le projet d’une Constitution initiale d’un Québec indépendant et en prônant de revenir aux principes originels de la Charte de la langue française, en faisant fi des jugements de la Cour suprême.

 

De l’audace

À plusieurs reprises, au cours de la dernière décennie, j’ai entendu les chefs du Parti Québécois reprendre ces mots de Danton « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ».

Mais de l’audace, nous n’en avons pas vue. Au contraire. Aujourd’hui, nous atteignons un fonds abyssal de renoncement, de résignation et de démission avec la mise au rancart du référendum et, à toutes fins pratiques, du projet indépendantiste.

Pour éviter une glissade encore plus prononcée (selon les derniers sondages, l’appui au référendum n’atteint que 30% de l’électorat), il faut sérieusement brasser la cage.

Une façon de le faire est de rejeter la séparation artificielle des pouvoirs que les britanniques nous ont imposée, de refuser le « home rule », de démontrer que la lutte des souverainistes à Québec et à Ottawa procède du même combat.

Le « double mandat » de Martine Ouellet remplirait cette mission.

Pour 2017, souhaitons-nous « de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace » avec Martine Ouellet!