Les vraies affaires

2017/01/17 | Par Michel Rioux

Même si ce sont de vraies affaires, oublions un instant que les jeunes Québécois francophones membres d’Équipe Canada junior n’avaient pas le droit de parler français entre eux, ni sur le banc, ni sur la glace, ni dans la chambre ; oublions aussi que trois nouvelles et nouveaux ministres – Monsef, Gould et Hussen - ont prêté allégeance à la reine d’Angleterre dans la seule langue anglaise, alors que le nouveau ministre de Trois-Rivières, un dénommé Champagne, a voulu faire étalage de son bilinguisme en jurant en français et en anglais ; oublions, enfin, que Martin St-Louis, un p’tit gars de Laval devenu une vedette dans la Ligue nationale, ne s’adresse à ses trois garçons qu’en anglais.

Les temps étant plutôt moroses en ces matières, faut-il s’étonner que le Speak White de Michèle Lalonde prévale désormais et qu’il se trouve qu’une langue est pas mal plus officielle que l’autre dans cette fiction canadienne et que le dénommé Champagne a vite compris ce qu’il fallait faire pour y avoir de l’avancement ? Faudra remettre en activité un ministère de la Colonisation.

Mais revenons aux vraies affaires.

N’étant pas un gars de chars - conduisant la même minoune depuis maintenant huit ans - les nouvelles touchant l’évolution des bolides ne m’atteignent guère d’ordinaire. Une récente dépêche a cependant attiré mon attention. Il appert que les ventes de la marque Jaguar ont augmenté de 134 % en 2016. Une rapide recherche nous apprend que cette voiture se vend dans les six chiffres. Est-il besoin de préciser que même à 15 $ l’heure, un salarié au salaire minimum ne pourrait espérer acheter ce joujou ? Force est de constater que seuls ceux qui brassent de vraies affaires en ont les moyens.

Toujours dans le domaine des chars. Seulement aux États-Unis, la facture de ce qu’on a appelé le Dieselgate atteindrait plus de 21 milliards $ pour Wolkswagen. Vous pensez que celui qui était à la tête de l’entreprise quand s’est produite l’arnaque des moteurs truqués en a payé le prix ?

Martin Winterkorn a dû démissionner, ce qui était la moindre des choses. Mais il est parti avec une caisse de retraite et des indemnités estimées à 91 millions $. Le magazine allemand Bild a calculé que Winterkorn touche une retraite de 4300 $ … par jour !

 

Le prix à payer pour produire un riche

La richesse se porte en effet très bien. Depuis le début de l’année, plein de statistiques en ont fait la démonstration.

Selon l’agence Bloomberg, les plus riches de la planète ont accumulé 237 milliards $ de plus en 2016.

Il en a pris 30 minutes de moins - à 11 h 47 le 2 janvier - pour que les 100 pdg canadiens les mieux payés touchent ce que le travailleur moyen met un an à gagner.

Depuis une quinzaine d’années, le ratio des revenus travailleur/pdg est passé de 60 à 193 pour cent. Version moderne de l’image un lièvre, un cheval.

Il y a quelques jours encore, à l’ouverture du Forum de Davos, Oxfam a de nouveau jeté un pavé dans la mare élitiste qui se réunit en Suisse en rappelant que huit personnes sur la planète détiennent autant de richesse que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Huit personnes, dont le propriétaire de l’agence…Bloomberg.

Sans compter que l’escroc Madoff, condamné à 150 ans de prison pour avoir escroqué 67 milliards de dollars, se livre maintenant en prison au trafic de poudre de chocolat chaud… Quand on a ça dans le sang, l’escroquerie.

Que peut-on ajouter au fait que dix pour cent de la population du globe vit avec moins de deux dollars par jour… La richesse de quelques puissants se nourrit toujours de la pauvreté de milliards d’hommes, de femmes et d’enfants.

Tout entiers occupés à trouver les comptables complaisants pour transférer leurs milliards de dollars dans les paradis fiscaux, déchirant ensuite en public leur robe prétexte pour dénoncer ceux qui militent en faveur d’un salaire minimum de 15 $ l’heure, un salaire qui mettrait en danger, c’est bien connu, l’équilibre économique,

Il y a quelques années, l’écrivain Gilles Archambault rappelait ces mots d’un auteur portugais au 19e siècle : « Et je demande aux économistes politiques, aux moralistes s’ils ont déjà calculé le nombre d’individus qu’il est nécessaire de condamner à la misère, à un travail disproportionné, au découragement, à l’infantilisation, à une ignorance crapuleuse, à une détresse invincible, à la pénurie absolue pour produire un riche ».

À moins que ce ne soit Rambo Gauthier qui ait raison ? Les filles vont « jaser de leur linge pis de leurs patentes » pendant que les hommes vont régler les questions politiques, les vraies affaires !