À propos de la poursuite de Ressources Strateco de 200 millions $ contre le gouvernement du Québec

2017/01/18 | Par Artistes pour la paix

L’article d’Alain Dubuc (La Presse[1]) ignore les nombreuses présentations scientifiques, en particulier de quatre personnalités du MSQN[2], qui ont dénoncé les dangers du nucléaire :

Gordon Edwards, président du Regroupement pour la surveillance du nucléaire, conférencier internationalement[3] en demande, écrit sur ccnr.org des présentations scientifiques qui ont notamment convaincu les Cris de rejeter le projet Matoush mentionné.

Le docteur Éric Notebaert (+ Bruno Imbeault et Isabelle Gingras porte-parole de 20 médecins de Sept-Îles) membre de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement s’est principalement attaché aux dangers du tritium, avec l’aide du docteur Ian Fairlie (GB), en présentant des conférences à l’ACFAS et dans la région de Gentilly.

Michel Duguay, PhD en physique nucléaire de Yale University, professeur à l’Université Laval et conférencier pour Science for Peace (Toronto), a été porte-parole du MSQN jusqu’à la réunion de l’Assemblée Nationale de décembre 2012 où, avec Christian Simard de Nature Québec, il a conseillé à la Première ministre Pauline Marois de tirer sagement la plogue sur les projets irréalistes et coûteux de réfection de la centrale de Gentilly[4].

Pierre Jasmin, professeur honoraire à l’UQAM, a rédigé en 2010 avec Amir Khadir la pétition à l’Assemblée Nationale qui a persuadé le gouvernement Charest de renoncer à l’achat de la centrale néo-brunswickoise Pointe-Lepreau[5]. Membre de l’exécutif de Pugwash Canada[6], partisan de l’ICANW.org[7], il vante les plus de 7000 Maires pour la Paix (y compris le Maire de Montréal), les prêches contre « les industries de mort» du pape François et de Jean Vanier, ainsi que de trois autres représentants des 917 membres de l’Ordre du Canada rassemblés par le membre émérite de Pugwash, Murray Thomson, ancien pilote de la Seconde guerre mondiale, pour réclamer une convention nucléaire.

Pourquoi sommes-nous tous et toutes contre le nucléaire? À cause des nombreux risques à la santé bien documentés :

- ceux des centrales nucléaires qui n’ont pas résolu en près de 70 ans d’opérations le problème des résidus nucléaires, toxiques pour des centaines de milliers d’années;

- ceux émanant des déchets des mines d’uranium contenant les éléments radioactifs les plus nocifs au monde : radium, polonium et radon;

- ceux liés aux armes atomiques drainant un budget de plus de cent milliards de $ annuels dans le monde et représentant un danger terroriste permanent. Les médias nord-américains, qui se targuent de démocratie, accordent zéro ligne au vote à l’ONU le 23 décembre dernier pour éliminer les armes nucléaires par 113 (+ 21) pays qui, avec les abstentions de l’Inde, du Pakistan et de la Chine, représentent plus des 4/5e de l’humanité; ce chiffre ne comptabilise même pas la grande majorité, selon les sondages, des citoyens malheureux du vote négatif enregistré par 35 pays délinquants, dont le Canada de M. Trudeau[8].

M. Dubuc se réfère aux opinions du président de la Commission canadienne de sécurité nucléaire. Qu’il sache que ce dernier a enlevé la présidence de l’organisme à la prudente Linda Keen, suite à une manœuvre politique douteuse en 2007. Une liste de scientifiques de renom a demandé en octobre dernier la démission de M. Binder, suite au rapport dévastateur sur sa gestion irresponsable par Julie Gelfand, commissaire à l'environnement et au développement durable, qui relève du Parlement fédéral[9].

M. Dubuc et La Presse ignorent la demande déposée cette semaine, simultanément aux audiences du procès de la minière Strateco contre le gouvernement du Québec, par une large coalition de médecins, citoyens, organismes environnementaux et syndicats rassemblée par Ugo Lapointe, responsable de Québec meilleure mine et organisateur du Symposium international de Québec sur l’uranium[10].  

En rappelant la recommandation de moratoire par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE, juillet 2015) selon nos vœux exprimés[11], nous appelons le Québec à interdire, comme d’autres États en Amérique du Nord[12], l’exploitation de l’uranium, tant qu’une solution n’aura pas été trouvée pour neutraliser ses déchets.

En conclusion, c’est la censure pratiquée par La Presse dans ce dossier nucléaire que M. Dubuc devrait trouver « marquée par l’improvisation et l’émotion, dominée par un concept flou et tentaculaire». Quant à l’acceptabilité sociale, nous lui suggérons de se rendre à Fukushima et à Tchernobyl rencontrer les centaines de milliers de citoyens, femmes et enfants, qui ont dû fuir leurs habitations, afin de les interroger sur leurs émotions, suite à l’improvisation de leurs gouvernements face aux catastrophes nucléaires passées et à venir.

 

CHRONIQUE URANIUM LE CAFOUILLAGE QUÉBÉCOIS
ALAIN DUBUC, La Presse, 12 janvier, 2017

Un procès inusité s’est ouvert à Québec au début de cette semaine. Ressources Strateco, une entreprise minière qui était une vedette du Plan Nord avec son projet de mine d’uranium, réclame 200 millions du gouvernement du Québec.

Le moratoire imposé par Québec sur le développement de la filière uranifère a en effet tué le projet de l’entreprise dans les monts Otish après que celle-ci a englouti des sommes importantes dans des travaux d’exploration. Ressources Strateco estime que cette façon de dire non, après lui avoir donné tous les permis, est une forme d’expropriation pour laquelle elle doit être compensée. On verra où mènera ce procès. Mais en attendant, le simple fait que ce dossier se retrouve devant les tribunaux nous montre ce qu’un gouvernement ne doit pas faire.

Ce dossier a été marqué par l’improvisation, l’émotion, il a été dominé par un concept flou et tentaculaire, celui de l’acceptabilité sociale. Voici pourquoi il n’est pas inutile de retourner en arrière pour voir comment on en est arrivé là.

À partir de 2006, la société Strateco entreprend l’exploration du potentiel uranifère des monts Otish, au nord de Chibougamau, le projet Matoush, pour lequel elle obtient les permis nécessaires, notamment ceux du Conseil canadien de la sécurité nucléaire.

En 2009, un autre projet, tout près de Sept-Îles, suscite un vif mouvement d’opposition, déclenché par les médecins de la région, qui interviennent par conviction personnelle plutôt qu’en vertu de leurs connaissances scientifiques. Ils menacent de quitter la région si les travaux d’exploration ont lieu. Ce chantage, indéfendable, a provoqué une panique chez les élus et déclenché un mouvement même si la Santé publique de la Côte-Nord, sur la foi de l’expérience de la Saskatchewan, concluait à l’absence de risques sérieux. Sous la pression, l’organisme de santé entreprendra une autre étude.

En 2011, Jean Charest lance le Plan Nord. Le projet Matoush est l’un des investissements qui permet au premier ministre d’illustrer le potentiel minier de ce territoire.

Deux ans plus tard, en mars 2015, répondant à la pression provenant de Sept-Îles et aussi à celle des autochtones, le gouvernement Marois, sans outils analytiques additionnels, décrète un moratoire sur l’uranium et commande au BAPE une enquête générique sur la filière uranifère.

En septembre 2013, l’Institut national de santé publique (INSPQ) publie un rapport sur la question. Cette revue des connaissances, 374 pages fouillées, conclut entre autres : « En résumé, les résultats des analyses effectuées ne permettent pas d’affirmer que le fait de résider à proximité d’une mine d’uranium entraîne des problèmes de santé. » L’étude ajoute qu’on ne peut pas conclure pour autant à l’absence de risques et que d’autres études seraient nécessaires.

C’est évidemment ce potentiel de risque que retiendront les organismes environnementaux et les médias.

Le rapport, qui ne recommande absolument pas l’abandon de cette filière, parle plutôt du besoin d’études et d’encadrement et se penche sur les impacts psychosociaux, le stress et les tensions que provoquerait le développement de cette activité.

Presque un an plus tard, en août 2014, la Santé publique de la Côte-Nord publie sa propre étude, qui reprend les conclusions de celle de l’INSPQ, en y ajoutant une touche émotive.

En mai 2015, le BAPE remet son rapport qui ne recommande pas clairement de fermer la porte à cette filière, mais presque, en suggérant un processus d’encadrement très contraignant, notamment pour répondre à cet problème d’acceptabilité sociale. Un rapport qui fait, entre autres, bondir ceux qui sont une autorité en la matière, la Commission canadienne de sûreté nucléaire, dont le président écrit : « Il est évident que la recommandation du BAPE d’étouffer les projets d’exploitation est fondée sur la perception du manque d’acceptabilité sociale, et non sur des principes scientifiques éprouvés.»

En ce début d’année 2017, silence radio du gouvernement Couillard qui n’a toujours pas pris de décision. Et poursuite de Strateco.

Trois choses me frappent. D’abord, s’il y a un problème d’acceptabilité sociale, c’est en bonne partie parce qu’on a fait peur au monde. On assiste à une dynamique parfaitement circulaire, où ceux qui ont nourri cette peur, les organismes militants et une partie du monde de la santé, évoquent cette même peur pour bloquer les projets.

Ensuite, le Canada, le deuxième producteur d’uranium au monde, grâce à la Saskatchewan, a une grande expérience de ce minerai et de la façon sécuritaire de l’exploiter. Le BAPE en a très peu tenu compte et a voulu, comme le Québec aime le faire, réinventer la roue.

Enfin, si les émotions ont leur place dans le débat public et la prise de décisions, les faits ont aussi la leur. Le Québec, avec les gouvernements Marois et Couillard, s’est écarté de la rigueur scientifique et factuelle dans ce dossier.

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LES FAITS PÈSENT EN FAVEUR D'UNE INTERDICTION DE L'EXPLOITATION DE L'URANIUM AU QUÉBEC - 14 janvier 2017 par Gordon Edwards, ccnr

Monsieur Dubuc veut des faits plutôt que des émotions concernant
l'uranium. En voici quelques-uns :

(1) À toute fin pratique, l'uranium ne sert qu'à deux choses : les armes atomiques et le combustible nucléaire. Le Québec n'a besoin ni de l'un, ni de l'autre.

(2) L'Assemblée nationale a voté à l'unanimité l'interdiction du stockage au Québec de déchets nucléaires hautement radioactifs (combustible irradié) en provenance d'autres juridictions. Tout uranium qui serait exporté du Québec créerait inévitablement de tels déchets ailleurs dans le monde. Il y a donc là, à mon avis, une contradiction logique et morale.

(3) L'exploitation minière de l'uranium produit ses propres déchets sous forme de sables radioactifs, qui restent dangereux pour des centaines de milliers d'années. On ne sait pas comment éliminer ou neutraliser ce très encombrant matériel radioactif.

(4) Les déchets produits par l'exploitation minière de l'uranium
contiennent 85 pour cent de la radioactivité du minerai original; ils contiennent certains des éléments radioactifs les plus mortels jamais découverts par l'homme, dont le radium, le polonium et le gaz radon, tous des sous-produits de l'uranium.

(5) Le radium a tué tant de gens au début du 20e siècle que le prix de cette matière est passé de 100 000$ le gramme à presque rien; il fait maintenant partie des déchets provenant de l'exploitation de l'uranium.

(6) Aux États-Unis, le gaz radon tue annuellement entre 20 000 et 30 000 personnes. Chaque atome de radon provient d'un atome d'uranium. Les déchets résultant de l'exploitation de l'uranium continueront à générer du gaz radon pour des millénaires suivant la fermeture des mines.

(7) Le polonium, substance responsable de l'empoisonnement et la mort d'Alexandre Litvinenko, est probablement responsable de 90 pour cent des décès attribuables au tabagisme, selon la US Health Physics Society -- soit 200 000 décès annuellement. On laisse donc le soin aux générations futures de payer le coût, quel qu'il soit, de la surveillance de cesméléments, radium, polonium et radon, abandonnés dans les déchets miniers.

(8) À Port Hope, en Ontario, on procède en ce moment à un nettoyage, au coût de 2 milliards de dollars, de déchets provenant du traitement de l'uranium; à Chalk River, sur la rivière des Outaouais, le nettoyage d'un autre type de déchets nucléaires, s'élevant à 10 milliards, vient de débuter. Face à de tels coûts, les 200 millions réclamés par Strateco semblent bien peu, dans le cas ou elle gagnerait son procès, ce qui semble
peu probable.

Les arguments contre l'exploitation de l'uranium sont encore plus forts que ceux contre l'exploitation de l'amiante. Ayant commis cette malencontreuse erreur dans le passé, le gouvernement du Québec serait bien mal avisé de s'embarquer dans une autre aventure semblable.

 


[1] Lire son article, publié le 12 janvier 2017, suite au présent article

[2] Mouvement Sortons le Québec du Nucléaire, actif de 2008 à 2013

[3] Sa réponse au texte de M. Dubuc suit ce dernier; notons que G. Edwards a inspiré le Deuxième Forum social mondial thématique pour un monde sans fission nucléaire qui s’est tenu à Montréal du 8 au 12 août 2016, avec sa déclaration sur les dangers du nucléaire à http://www.artistespourlapaix.org/?p=11362

[4] Guylaine Maroist a co-réalisé le film Gentilly or not to be dont la recherche scénaristique avait gagné un Gémeau en 2012 : ce documentaire a été l’élément-déclencheur qui a convaincu mesdames Martine Ouellet et Pauline Marois, à qui M. Dubuc reproche avec sous-entendu macho l’absence d’outils analytiques

[5] Article faisant état des économies réalisées  publié par le Journal de Montréal mais non par La Presse: http://www.journaldemontreal.com/2014/10/08/gentilly-2-plus-de-9-milliards-deconomie

[6] Mouvement gagnant du Prix Nobel de la Paix (1995) fondé par le docteur en physique nucléaire, Joseph Rotblat, seul des 600 savants du Projet Manhattan (Los Alamos) à démissionner avant les deux explosions de Hiroshima et de Nagasaki. Pionnier de la médecine nucléaire, il a fondé Pugwash avec Bertrand Russell suite au manifeste Einstein-Russell de 1955. Il a dénoncé les effets des radiations des essais atomiques.

[7] Responsable avec l’organisme anglo-hollandais PAX de la publication de www.dontbankonthebomb.com 

qui révèle que Financial Power Corporation a investi depuis janvier 2012 avec Scotia Bank et surtout Sun Life Financial plus de dix milliards de $ en des usines américaines fabriquant des bombes nucléaires

[10] Lire le manifeste anti-nucléaire du Symposium adopté en mai 2015 par militants environnementaux et scientifiques venus des cinq continents sur http://www.artistespourlapaix.org/?p=7114

[12] Notamment la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse, ainsi que la région du Grand Canyon et l’État de Virginie aux États-Unis