Mise au point au sujet d’un texte de M. William Johnson

2017/05/09 | Par Charles Castonguay

Dans mon article mis en ligne par l’aut’journal le 22 février dernier, j’ai qualifié de désinformation délibérée la citation d’une phrase de La politique québécoise de la langue française, ou livre blanc de Camille Laurin, faite par William Johnson dans le Devoir du 25 janvier. Je m’étais fondé sur le document qui fait autorité en la matière, publié par l’Éditeur officiel du Québec au printemps 1977 et actuellement mis en ligne par le Secrétariat à la politique linguistique.

Johnson a protesté depuis de sa bonne foi dans un message à l’aut’journal, avec copie au Devoir. Il nous a appris qu’il avait tiré sa citation d’une version antérieure du livre blanc que Laurin avait distribuée à sa conférence de presse du 1er avril 1977. Il a ajouté que le gouvernement Lévesque avait corrigé la phrase en question la semaine suivante.

Cette version défectueuse du livre blanc a été reproduite en entier dans le Devoir du lendemain, 2 avril. À un détail près, on y retrouve effectivement la phrase citée par Johnson : « L’anglais prédomine nettement dans les communications générales de travail : 82 % du total des communications se font en anglais dans l’ensemble du Québec, 84 % [sic : 85 % selon la citation de Johnson] à Montréal et 70 % en province. »

Dans le Devoir du 4 avril 1977, Claude Ryan n’avait pas manqué de pointer du doigt cette même phrase pour mieux accuser, comme l’a fait Johnson, le gouvernement Lévesque d’induire délibérément la population en erreur au sujet de la situation du français : « [C]ombien peut être forte chez des gouvernants qui veulent à tout prix prouver une thèse, la tentation de déformer les chiffres […] L’affirmation [dans la phrase en question] est générale. Elle est censée embrasser et résumer fidèlement l’ensemble de l’activité économique. Or, [c]es pourcentages sont même carrément faux. »

Dans son article « M. Ryan et le livre blanc sur la langue française » paru dans le Devoir du 9 avril 1977, Camille Laurin a reconnu que même si la phrase incriminée par Ryan se trouve dans une section qui concerne pour l’essentiel les comportements linguistiques des anglophones, il demeure possible de l’interpréter comme si elle s’appliquait à l’ensemble des travailleurs. Il assure que « cette ambiguïté sera corrigée dans l’édition imprimée du Livre blanc qui paraîtra bientôt ». Ce qui fut fait : voir ma citation du livre blanc dans mon article du 22 février.

La phrase incriminée est devenue aussitôt caduque.

Pourquoi M. Johnson s’entête-t-il, 40 ans plus tard, à resservir aux lecteurs du Devoir ce passage fautif d’une version antérieure du livre blanc, sans les informer de sa caducité ? Sans doute pour continuer à prétendre démontrer, comme il l’a fait dans le Devoir du 25 janvier, que le gouvernement Lévesque a voulu délibérément tromper la population sur la situation linguistique au Québec.

Cette tentative de désinformation de la part de Johnson est pourtant absurde en soi. Sans se couvrir de ridicule, comment le gouvernement Lévesque pouvait-il sérieusement vouloir soutenir que parmi la totalité des travailleurs, 82 % des communications se font en anglais dans l’ensemble du Québec, 84 % à Montréal et 70 % en province, alors que son même livre blanc souligne avec raison que la population du Québec était, à l’époque, à 61 % unilingue française ?

La simple arithmétique d’une telle interprétation ne tient même pas l’eau. Pour que les pourcentages en cause soient de 82 % dans l’ensemble du Québec, 84 % à Montréal et 70 % en province, il aurait fallu que le Québec compte quatre travailleurs à Montréal pour un en région.

Or, Montréal représentait à la même époque moins de la moitié du Québec. Par contre, les travailleurs anglophones, auxquels renvoie explicitement la phrase corrigée dans l’édition officielle du livre blanc, s’y trouvaient bel et bien fortement concentrés.

Il faut ajouter que dans le même paragraphe du livre blanc version 1er avril 1977 qui contient la phrase incriminée par Ryan, il y a une autre erreur évidente. Il y est question de la langue de travail dans « l’industrie primaire », où le degré d’usage du français dont le texte fait ensuite état serait, toutefois, étonnamment faible.

Dans le livre blanc imprimé, il s’agit plutôt de « l’industrie secondaire », ce qui rend les pourcentages rapportés nettement plus vraisemblables. Cette seconde correction confirme que dans sa version antérieure, ce paragraphe avait été mal rédigé et qu’indépendamment de la critique de Ryan, sa révision s’imposait.

En ce qui concerne la phrase incriminée par Ryan, il s’agit donc, en somme, d’une simple erreur dans le texte du 1er avril 1977, et non d’une tentative délibérée de tromper la population. C’est à se demander comment un intellectuel de haut vol comme M. Ryan a pu s’abaisser à monter en épingle une pareille peccadille.

Quant à M. Johnson, il a induit les lecteurs du Devoir en erreur en omettant de raconter toute l’histoire concernant la phrase qu’il a, lui aussi, incriminée.

 

Photo : Gordon Karam