Québec et la paix sociale …après le 20 août 2017

2017/08/25 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est vice-président des Artistes pour la paix (Artistespourlapaix.org)

La banderole mordante ci-dessus (photo HuffPost) reprend les mots incisifs de Claude Péloquin gravés dans la pierre du Grand Théâtre de Québec : on se souviendra que la murale magnifique du grand Jordi Bonet, immigré catalan, avec l’inscription Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves; c’est assez! avait provoqué, il y a près d’un demi-siècle, l’ire des bourgeois bien-pensants de la capitale qui auraient voulu la cimenter[1]. On sait que Pélo a hélas récemment réinterprété ses mots avec une intention contraire à celle de Bonet, en livrant un navrant plaidoyer raciste contre l’immigration.

Bravo, donc, aux porteurs et concepteurs de cette banderole qui ont bien réactualisé l’expression controversée en l’érigeant en muet reproche (c’eut été suffisant) en opposition à la Meute (avec sa manif muette) et à l’Atalante-Québec (ou fédération des Québécois de souche) : jouissant de l’attention des médias traumatisés avec raison par les suprémacistes blancs de Charlottesville, ces deux groupes en profitent honteusement pour faire le plein d’adeptes aux tendances racistes d’extrême-droite et aux uniformes d’inspiration militaire. Car pour eux, les milliers d'immigrants «illégaux[2]» représentent une grave menace pour l'identité québécoise. Comme l’a bien dénoncé Herman Deparice-Okomba, directeur du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, les militants des deux groupes inondent les réseaux sociaux de messages haineux et ont collé des affiches anti-immigration dans plusieurs endroits de la ville de Québec (voir photo suivante) et même au Stade Olympique de Montréal.

Tout en dénonçant vivement le racisme, il ne s’agit pas d’exclure tout débat sur les questions soulevées et malgré son fond indécrottable de populisme (on l’a vu encourager toutes les parades militaires dans sa ville), le maire de Québec Régis Labeaume a exprimé certaines opinions qu’on ne peut toutes rejeter du revers de la main.

Il a en effet, selon Radio-Canada, livré une véritable charge à fond de train mercredi contre « le discours bienpensant » et « l’aveuglement » des élites dirigeantes. «Pendant qu'on détourne les yeux, pendant qu'on est politiquement correct, pendant qu'on suit les propos et les opinions de la bien-pensance, l'extrême droite progresse, et beaucoup plus vite qu'on le pense », a-t-il soutenu lors d’une mêlée de presse.

Régis Labeaume reproche aux dirigeants de ne pas être à l’écoute d’une partie de la population qui a, selon lui, des préoccupations légitimes sur les enjeux liés à l’identité et à la laïcité, notamment.

Un de ces enjeux est la francisation des immigrés insuffisamment favorisée par nos gouvernements et nous saluons le beau débat auquel l’éditeur de l’aut’journal, Pierre Dubuc, a pris part à l’émission Médium large de Catherine Perrin à Radio-Canada le 22 août, sur les 40 ans de la loi 101 avec les passionnantes Québécoises Ruba Ghazal et Anita Aloisio.

 

Garnotte, brillant caricaturiste au Devoir, résume ainsi l’action à Québec:

Amir Khadir s’est jadis interposé pour calmer Jaggi Singh dans une discussion animée avec l’APLP Pierre Jasmin qui lui reprochait en 2012 son agitation et son comportement délinquant : cet individu discrédite ainsi les causes souvent très nobles auxquelles il s’attache.

L’émission du midi du 21 août de Radio-Canada, animée par Michel C. Auger, a en quelque sorte publicisé son appel à « la violence nécessaire contre les néo-nazis » : Les médias, surtout les tribunes radiophoniques, adorent les extrémistes qui leur fournissent du matériel très simple à comprendre et évitent comme la peste l’expression nuancée de groupes comme le nôtre.

Quant aux Black Blocs[3], les grandes manifestations du Printemps érable avaient eu la sagesse exemplaire de les huer et de les écarter de leurs rangs. À Québec, le 20, on les a vus en deux rôles divergents, soit armés de bâtons contre les policiers, soit soignant les victimes des gaz lacrimogènes, ce qui rendait l’intervention des policiers très délicate et circonstanciée et c’est trop demander à un groupe armé dans le feu de l’action. C’est la même contradiction à laquelle s’exposent nos militaires quand en Syrie ou en Irak, ils prétendent aussi jouer un rôle humanitaire. Seuls des Casques bleus bien entraînés (pas ceux du Népal en Haïti) peuvent échapper à cette ambiguïté.

Laissons le dernier mot au sage Dominique Boisvert, membre des Artistes pour la Paix, qui nous écrit :

« Non, la violence n’est jamais acceptable!

Que ce soit les groupes antiracistes opposés à La Meute, les organisations contre la brutalité policière ou les étudiants du printemps érable, tous veulent convaincre la majorité de l’opinion publique de la justesse de leur cause. C’est pour cela qu’ils manifestent.

Alors, il faut le dire clairement : la violence n’est jamais acceptable. Ni contre les personnes, ni contre les biens. Car elle est toujours contre-productive et enlève toute sympathie et crédibilité à la cause qu’on prétend défendre.

C’est un vieux débat : celui du «respect de la diversité des tactiques». Les groupes (souvent anarchistes) qui acceptent (et parfois prônent) l’usage de la violence exigent des groupes non-violents qu’ils respectent leur droit à penser et agir différemment. Avec le résultat inévitable qu’un petit groupe violent attire beaucoup plus la couverture des médias qu’une grosse manifestation pacifique. Et que la cause du plus grand nombre est discréditée par l’action («respectée» ou tolérée) d’une petite minorité.

C’est pourquoi il faut toujours dire NON, clairement et fermement, à tout usage de la violence, de droite comme de gauche, de nos amis comme de nos adversaires. D’autant plus que nous ne gagnerons jamais rien par les affrontements violents : nous avons tout à perdre et rien à gagner.

Il ne s’agit pas ici d’un plaidoyer pour la vertu mais d’une simple analyse rigoureuse du combat social. Si nous voulons gagner (quoi que ce soit), nous devons mettre la majorité (bruyante ou silencieuse) de notre côté. Et la violence va toujours l’éloigner de notre cause. Toujours.

Dominique Boisvert, Scotstown, le 22 août 2017

 

[1] Roger Lemelin, qui deviendra éditorialiste populiste à La Presse, dénonce alors la phrase de Péloquin qui lui semblait dégrader un haut lieu de culture et aussi vulgaire que l’œuvre naissante du génial Réjean Ducharme (dont on pleurait hier la mort). Souhaitant la faire effacer, il sera à l’origine d’une pétition de 8000 noms, remise au ministre des Affaires culturelles, qui provoquera un salutaire débat sur la liberté artistique qui va passionner le Québec tout entier.

[2] Le Premier ministre Philippe Couillard a justement dénoncé cet amalgame, alors qu’une portion seulement des demandeurs d’asile ne seront déclarés illégaux qu’après enquête sur leurs motifs de se réfugier au Canada. Quant au Premier ministre Justin Trudeau, il a réajusté le tir de sa grande naïveté initiale en avertissant les victimes haïtiennes de Donald Trump qu’elles devaient d’abord mieux réfléchir aux conséquences, avant de franchir clandestinement la frontière du Canada.

[3] Selon Wikipédia, ces agitateurs se forment généralement au point de rendez-vous des manifestations loin du regard des policiers, derrière des bannières ou cachés dans la foule, ou pendant les manifestations quand une intervention policière ou une action directe se prépare. Les activistes s'habillent et se masquent de noir pour symboliser l'unité, leur solidarité et l'égalité des hommes et femmes au sein d'un Black Bloc et créer un effet de masse, mais surtout pour se protéger des caméras de vidéo-surveillance et pour éviter d’être identifiés par les forces policières. Ils portent souvent des blousons de cuir et des protections de fortune adaptées à la guérilla urbaine (équipement sportif, lunettes de ski ou de plongée et cagoules).