Négocier l’ALÉNA en préservant la capacité de légiférer pour le bien commun

2017/09/25 | Par Stephen Léger

L’auteur est vice-président de l’Alliance du personnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS)

Soucieux avant tout de son image d’instance qui consulte ses citoyens, le gouvernement de Justin Trudeau invite tout un chacun à se prononcer sur les enjeux de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) avec les États-Unis et le Mexique, en cours de renégociation depuis le début août 2017 à la demande – non négociable – du gouvernement de Donald Trump. Notre organisation syndicale, active dans le secteur de la santé et des services sociaux, entend bien profiter de l’occasion pour faire valoir ses préoccupations, avec l’espoir qu’à cet exercice de consultation soit associée une réelle volonté de transparence et de suivi.

Le Canada n’a pas caché son désir de préserver la gestion de l’offre en agriculture et l’exception culturelle, entre autres. Les négociateurs canadiens veulent également rendre explicite la possibilité pour les gouvernements de légiférer et d’imposer des règlements dans l’intérêt public, indépendamment de l’effet de ces politiques sur les profits des entreprises. Ils devront être fermes sur cette option s’ils veulent conserver l’appui des Canadien·ne·s.

Pourquoi ces questions concernent-elles les soins de santé et les services sociaux offerts par les membres de notre syndicat? Parce que les résultats de cette renégociation auront un impact majeur sur les finances de l’État, dont dépend notre secteur, notamment à cause de leurs répercussions sur le prix des médicaments.

Le Canada est le seul pays au monde à avoir un système de soins de santé universel qui n’est pas doublé d’une assurance médicaments publique et universelle. On y paie les médicaments 30 % plus cher qu’ailleurs dans les pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). Et c’est au Québec que le coût des médicaments est le plus élevé au pays. Le gouvernement dispose en effet d’un pouvoir réduit de négociation avec les entreprises pharmaceutiques puisque le marché est partagé entre le régime gouvernemental d’assurance médicaments − auquel 43 % de la population est inscrite − et les régimes privés d’assurance collective − auxquels souscrivent 57 % des Québécois.

Avec un système de santé et de services sociaux étouffé par les compressions budgétaires et en besoin urgent de réinvestissements, le Québec doit impérativement reprendre le contrôle de ses dépenses en matière de médicaments. Or le prix des médicaments y est encadré en partie par la Politique du médicament adoptée par Québec en 2007 mais aussi par le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB), mis en place au moment de la négociation de l’ALÉNA en 1994. Ce conseil est censé protéger les intérêts des consommateurs et contribuer aux soins de santé de la population canadienne en s’assurant que les prix des médicaments brevetés ne soient pas excessifs. L’ennui, c’est qu’il établit les prix en se basant sur sept pays… dont les médicaments sont les plus chers au monde. Pas étonnant que depuis 2000, les dépenses en médicaments du Canada aient augmenté de 184 % en comparaison avec le PIB. Malgré cette « performance », le CEPMB est dans la mire des compagnies pharmaceutiques, qui aimeraient bien le voir disparaître. On peut s’attendre à ce qu’un lobbying intense soit fait en ce sens auprès de l’équipe de négociation américaine.

Voilà pourquoi il importe de négocier un mécanisme pour établir le prix des médicaments, dans le cadre de l’ALÉNA, qui devra être plus efficace que celui utilisé actuellement par le CEPMB. Une chose est sûre, on ne peut laisser le libre marché décider des prix.

La meilleure façon de limiter la croissance des coûts serait d’instaurer un régime d’assurance médicament universel 100 % public. Si le Québec se décide enfin à aller dans cette voie, assurons-nous qu’il ne sera pas menacé de poursuites sous prétexte qu’il réduirait ainsi les profits des multinationales du médicament.

Pour ce faire, le Canada doit préserver sa capacité de légiférer pour améliorer le sort de ses citoyen·ne·s. Répétant que le nouvel accord doit tenir compte des droits sociaux et de l'environnement, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, s’est engagée à être déterminée, tout en négociant de manière intelligente et raisonnable. À la bonne heure! Du point de vue d’un syndicat préoccupé par la défense des services publics, choisir ce qu’on met sur la table en réclamant des exclusions a priori, notamment pour tout ce qui concerne les services publics (santé, éducation, sécurité sociale, énergie, eau, marchés publics), serait une position intelligente et raisonnable, en plus d’être en droite ligne avec les intérêts de la population québécoise et canadienne.