Entrevue avec Régine Laurent

2017/11/23 | Par Pierre Dubuc

Régine Laurent revenait d’une entrevue avec Bernard Drainville à son émission du 98,5 sur les ondes de Cogeco lorsqu’elle m’a reçu dans les bureaux de la Fédération interprofessionnelle de la Santé (FIQ), sur l'avenue Papineau à Montréal. Bien entendu, Drainville l’avait interrogée à propos de ses déclarations chocs sur l’exercice de la grève dans le secteur public et l’avait encouragée avec insistance à faire le saut en politique. Avant d’aborder ces sujets, nous avons voulu qu’elle nous parle des principaux gains qu’elle pouvait afficher au tableau syndical, après neuf années à la présidence de la FIQ.

« Sous ma présidence, il y a eu deux négociations. Lors de la première, nous avons obtenu la reconnaissance du chevauchement. Quand une infirmière termine son quart de travail à 15h30, elle doit transmettre à celle qui la remplace des informations sur les patients. Ce temps de travail n’avait jamais été payé. Nous avons obtenu que 15 minutes soient reconnues et intégrées au salaire », raconte-t-elle.

« À la négo suivante, nous avons réglé des plaintes sur l’équité salariale, qui traînaient depuis 2010. À tous les cinq ans, il faut revoir le classement pour le maintien de l’équité salariale. Certaines de nos membres avaient plus de responsabilités et un repositionnement salarial s’imposait. Le gouvernement ne voulait pas négocier avec le syndicat. Nous l’avons obligé à le faire. Nous avons aussi obtenu une lettre d’entente sur une autre de nos priorités : les ratios de patients par infirmière. Actuellement, il n’y en a pas. Par exemple, dans un CHSLD, il peut n’y avoir qu’une ou deux infirmières pour 175 personnes, sans qu’on tienne compte des caractéristiques de la clientèle. Nous irons voir ce qui se fait ailleurs, dans d’autres provinces et d’autres pays, et revenir avec des propositions. »

Régine Laurent se montre également fière de deux autres projets pour améliorer les soins de santé, adoptés lors du dernier congrès de la FIQ. La Fédération soutient financièrement la Coopérative de solidarité SABSA à Québec, une clinique de proximité sans rendez-vous où les usagers rencontrent, non pas un médecin, mais une infirmière praticienne en soins de première ligne, qui est autorisée à prescrire certains examens diagnostiques et des médicaments, appliquer des traitements médicaux, etc.  « Nous avons fait la preuve de son efficacité. 95 % des cas sont réglés sur place. Seulement 5 % sont référés à un autre établissement. Deux chercheurs,  Damien Contandriopoulos de l’Université de Montréal et Bernard Roy de l’Université Laval assurent un suivi et en ont validé l’efficacité. Des cliniques de ce type, il y en a des centaines en Ontario. C’est pas vrai qu’il faut financer à coups de millions des super-cliniques. »

Prenant toujours exemple sur l’Ontario, la FIQ propose aussi la construction de petites maisons de retraite, « à échelle humaine, où les gens pourraient rester jusqu’à leur mort », précise-t-elle.

C’est ce syndicalisme de projets pour améliorer le réseau de la santé, cette volonté de « faire autrement » qui explique, selon Régine Laurent, le ralliement à la FIQ de 13 000 nouveaux membres lors de la dernière campagne de maraudage, portant le nombre total de ses membres à 75 000.

Dans certains milieux syndicaux, on a taxé de corporatisme une publicité de la FIQ, diffusée à la télévision au cours de cette campagne de maraudage, où l’on voyait à l’étage d’un hôpital s’ouvrir deux portes d’ascenseurs où on était invité à pénétrer, l’un avec des passagers de tous les corps de métier et de toutes les professions, l’autre avec uniquement des professionnelles de la santé. Le choix se portait tout naturellement sur ces dernières. Régine écarte du revers de la main cette critique. « Je ne sais pas pourquoi on ne l’a pas aimée. Notre syndicalisme est axé sur ce que nous sommes : des professionnels en soin. Mais, au Québec, c’est : hors des centrales, point de salut. »

C’est la même logique qui a amené la FIQ à se retirer du Front commun lors des négociations  du secteur public. « Nos gens nous ont dit : Toi, ma présidente, il faut que tu sois à la table des négociations pour défendre nos priorités. Ce n’était pas le cas avec le Front commun. La dernière fois, on a fait alliance avec la FAE (Fédération autonome de l’enseignement), mais on négociait directement avec le Conseil du trésor. »

La présidente de la FIQ a lancé un autre pavé dans la mare avec des déclarations sur l’exercice du droit de grève dans le secteur public.  « Grève dans le secteur public, les syndicats doivent changer, dit Régine Laurent », titrait La Presse du 5 novembre pour coiffer l’entrevue qu’elle avait accordée à la journaliste Lia Lévesque. Trois jours plus tard, Régine précisait sa pensée dans son blogue, sur le site de la FIQ.

Son message est simple. Le droit de grève est légitime et reconnu par les chartes. Mais, dans plusieurs secteurs du réseau de la santé, il est limité, voire inexistant dans certains cas. Face au gouvernement, c’est le rapport de force qui compte. Pour cela, il faut avoir l’appui et le soutien de ses propres membres, mais aussi celui de la population. Pas d’appui de la population, pas d’impact sur le gouvernement.

« Il faut, avant tout, nous dit-elle, tenir compte de la conjoncture. En 1995, nous avons bloqué l’autoroute 15. J’en étais. Les gens ne nous en tenaient pas rigueur. Aujourd’hui, c’est différent. Les gens travaillent plus, ils sont plus à la course, cela les rend moins tolérants. L’élastique est plus court. Peut-être que, dans dix ans, ce sera une autre conjoncture. »

Elle invite donc les syndicats du secteur public à faire preuve d’imagination dans le choix de leurs stratégies de communications et de leurs moyens de pression pour se gagner l’appui de la population et faire pression sur le gouvernement.

« Lors de la dernière négo, nous avons, par exemple, bloqué les limousines des ministres pendant plus d’une heure. Ça ciblait les élus et évitait des désagréments à la population. Il faut continuer d’innover. Il faut faire preuve d’imagination. »

Lorsqu’on l’invite à commenter le climat politique actuel, Régine déplore la dominance d’un discours économique et individualiste et n’aime pas non plus le climat social ambiant. Lorsqu’on lui demande si, dans ce contexte, son organisation réitérerait le même appui à la laïcité que lors du débat sur la Charte des valeurs du Parti Québécois, elle rappelle, d’abord, que cette prise de position découlait d’un vaste sondage mené auprès des membres de la FIQ. « Nos membres disaient : Comme soignante, je m’impose un devoir de réserve. Je n’affiche pas de signes religieux. Ce serait la même position aujourd’hui. »

Elle ajoute : « Mais il y a un problème actuellement. On ne peut pas mener de débat. Quand le Premier ministre déclare que ce serait ‘‘souffler sur les braises de l’intolérance’’, il n’y a plus de nuances possibles ». Elle met en garde : « C’est dangereux de faire taire un débat. Les gens n’en pensent pas moins. Et ça risque de sortir tout croche », avant de s’exclamer : « On ne va toujours bien pas me traiter de raciste!!! »

Régine s’en prend également à l’attitude du gouvernement qui laisse croire que « tout est tellement compliqué ».  Pour elle, « il n’y a rien qui ne s’explique pas. Il s’agit de décortiquer et de rendre accessible. Que ce soit pour les budgets du gouvernement, les grands accords internationaux de libre-échange, il faut être capable de lier ces décisions à leur effet sur l’unité de soins, sur le lieu de travail ».

Son enthousiasme, sa simplicité, sa bonne humeur et ses talents de communicatrice hors-pair lui ont valu la cohésion de son organisation et la confiance de ses membres – « Mon principal legs », affirme-t-elle – , tout comme le respect de ses opposants et une indéniable popularité auprès des citoyennes et des citoyens. De là à la voir faire le saut en politique… mais, non, elle nous assure que son programme, à court terme, est de vivre sans obligations, sans agenda. À court terme…

 

Photo : CP/Graham Hughes