Le rôle joué par Fleury Mesplet dans la percée de la démocratie au Québec

2018/02/21 | Par Claude G. Charron

Ce texte est le troisième d’une série de plusieurs rédigés à partir de ma perception des aléas qui ont jalonné l’histoire du Québec depuis que la France a préféré, lors du traité de Paris de 1763, conserver ses iles à sucre, et aux esclaves des Caraïbes, et laisser aux Anglais la gérance de « ces quelques arpents de neige » que constituait alors l’immense espace continental appelé « Nouvelle-France ».   

Dans le premier de ces textes, j’y décris comment la guerre d’indépendance américaine avait suscité l’engouement des Canadiens envers les Lumières.

Mon second texte n’est certainement pas le meilleur que j’ai produit et était à réviser. Tâche accompli dans ce présent troisième texte où je signale que l’objectif que ciblait Mesplet dans La Gazette littéraire de Montréal, soit diminuer l’influence de l’Église catholique en sol laurentien, a été poursuivi quand, après avoir démêlé ses problèmes financiers dû à son emprisonnement, l’imprimeur lyonnais a pu, le 25  août 1785, enfin fonder La Gazette de Montréal/The Montreal Gazette

Ce qui fait que, connaissant maintenant mieux le personnage, je me rétracte et affirme que la direction du journal a raison de chaque jour signaler dans sa page éditoriale que notre Montreal Gazette actuelle a été fondée le 3 juin 1778 par Fleury Mesplet. 

Il apparait cependant que de signaler cette première apparition d’un journal dans le ciel de Montréal, la direction actuelle de la Gazette a raison, mais tort à la fois, car il ne s’est pas écoulé bien des années après le décès de Fleury Mesplet pour que les différents proprios lui succédant à la barre du journal ont tous œuvré à l’encontre du comment, au delà de son allergie à l’Église catholique, le regretté imprimeur-éditeur voyait le développement d’une saine démocratie au Québec.  Ce faisant, tous ces proprios passés lui tournèrent effectivement le dos. Idem pour l’administration actuelle.   

 

Les objectifs de Fleury Mesplet tant dans la première que dans la seconde mouture de son journal

Il faut dire que le Mesplet de cet été 1778 était tout empreint de la philosophie des Lumières car se sentant encore investi par le Congrès de Philadelphie afin qu’il la propage par un journal au Canada. Ce fut donc la raison qui l’a motivé à fonder La Gazette littéraire de Montréal.

Dès les premiers numéros, Fleury Mesplet et t Valentin Jautard, son collaborateur, sentirent qu’ils devinrent d’implacables adversaires de l’évêque de Québec, celui-ci voyant trop bien leur objectif : diminuer sa trop grande influence sur ses ouailles.

Jean-Olivier Briand avait beau se plaindre au gouverneur Haldimand, lui rappelant qu’en tant qu’évêque, il avait durement sermonné les fidèles ayant collaboré avec les milices américaines pendant l’invasion de 1775 et de 1776, lui rappelant également que Mesplet et Jautard furent les plus intenses de ces collaborateurs, rien n’y fit.

Le gouverneur devait tenir compte que, si son prédécesseur Carleton avait été l’architecte de l’Acte de Québec redonnant un nouveau souffle au catholicisme, Londres gardait cependant toujours comme objectif d’anglicaniser les Canadiens, au pire de les protestantiser, question de diminuer l’influence politique de Rome sur ses nouveaux sujets. Or, les textes anticléricaux des Mesplet et Jautard ne pouvaient qu’aider à atteindre cet objectif.  Tout change à l’été 1779 quand la rumeur court voulant que les Américains projettent une seconde invasion du territoire.     

 

Fin juin 1779,  deux Français devenus persona non grata           

Il faut comprendre que si, en début d’été 1779, Fleury Mesplet et Valentin Jautard sont jetés en prison, c’est qu’ils avaient tous deux eu la malchance d’être nés en France, un pays qui, depuis le 6 février 1778, avait pris officiellement partie pour les insurgés américains.

D’autant plus que le gouverneur Haldimand ne pouvait maintenant plus faire abstraction du fait qu’en plus d’avoir imprimé les trois Lettres aux Canadiens, Mesplet avait, souventes fois été vu à Montréal et à Québec avant l’invasion où il faisait l’éloge du républicanisme.  Ajouté à cela, un Jautard qui était allé jusqu’à rédiger le discours de bienvenue au général Montgomery lors de sa triomphale entrée montréalaise du 13 novembre 1775.   

En juillet 1778, de tels « dérapages » avaient été pardonnés ce qui avait permis à Mesplet de fonder un journal dont rien ne tient déjà plus douze mois plus tard tenant compte du fait que circulait la rumeur d’une seconde invasion de la province. Faisons un bref survol des évènements l’ayant suscité.   

Janvier 1778 : le marquis de Lafayette se joint aux insurgés. Il est sitôt nommé à la tête de l’Armée du Nord « ayant comme mission de libérer le Québec ». Mais la neige tout autant que le manque de ressources ont vite fait que l’expédition ne se soit pas rendue plus loin qu’Albany.

Il n’empêche. Le 28 octobre alors qu’une seconde expédition est en préparation, le comte D’Estaing signe au nom de Louis XVI une Déclaration « à l’adresse de tous les Français d’Amérique septentrionale ».

« Vous êtes Français, pouvait-on y lire, vous n’avez jamais cessé de l’être. (…) Les Canadiens qui ont vu tomber pour leur défense le brave Monsieur Montcalm pourraient-ils être les ennemis de ses neveux, combattre contre leurs anciens chefs, s’armer contre leurs parents? »

Le 5 décembre 1778, le Congrès vote la diffusion de quelques milliers d’exemplaires de la Proclamation et se rendent entre autres disponibles pour en assurer clandestinement la distribution au Canada, Thomas Walker et François Cazeau, ces mêmes négociants qui, cinq ans plus tôt, s’étaient offerts pour distribuer les trois Lettres du Congrès aux Canadiens.

En début de mai 1779, la Proclamation D’Estaing est clandestinement placardée à la porte des églises. C’était quelques semaines avant la cessation de La Gazette littéraire et l’emprisonnement de Mesplet et de Jautard.

Le gouverneur Haldimand n’avait aucunement besoin des pressions de Jean-Olivier Briand, le vénérable évêque de Québec, afin de coffrer ces trop grands propagateurs de la philosophie des Lumières.

 

La guerre terminée, un imprimeur ruiné                                                                   

Le 19 octobre 1781, l’issue de la bataille de Yorktown démontre bien qu’ont porté fruits les conseils de Lafayette à Louis XVI. La flotte française a en effet joué un rôle déterminant dans la victoire des insurgés contre l’Angleterre.

Dans les mois qui suivirent, la France se positionna en arbitre dans les nombreux conflits opposant les puissances européennes. Ce qui n’empêcha point que, lors des négociations menant à la reconnaissance des États-Unis d’Amérique comme pays indépendant, les Canadiens ont été une seconde fois sacrifiés. En seulement vingt ans de distance.

 Il reste qu’à l’été 1782, ce danger d’invasion franco-américaine n’existant plus, Frederik Haldimand relaxa Mesplet et Jautard.  L’imprimeur eut hâte de retourner à ses fonctions, mais il n’en avait plus les moyens car son séjour en prison l’avait ruiné.

Il écrivit au Congrès afin qu’on l’indemnise pour les peines qu’il eut à subir en remplissant son mandat de fonder un journal à Montréal. Ne recevant aucune réponse, il décida de se rendre lui-même à Philadelphie afin de mieux négocier avec ses anciens amis philosophes. Malheureusement, ceux-ci ont été remplacés au Congrès par des élus… disons moins épris des Lumières.

L’imprimeur tenta alors sa chance auprès d’influents contacts qu’à l’époque il avait su développer dans la capitale. Parmi ceux-ci se trouvait John Jacob Astor, un riche trafiquant de fourrures lui offrant de le représenter au Congrès, l’imprimeur n’ayant qu’à s’engager à lui verser la moitié du montant récupéré. Le début du lobbyisme, quoi!

Ces contacts sans trop de résultats probants ont quand même donné l’idée aux amis de l’imprimeur d’aller cogner à la porte de trafiquants œuvrant cette fois de ce côté-ci de la frontière, tel un Benjamin Frobisher se désespérant de constater qu’il n’y ait point de journal à Montréal alors que depuis 1764, la ville de Québec possédait La Gazette de Québec/The Quebec Gazette.   

 

Une Gazette bilingue à Montréal, le tout début de nos ambiguïtés

C’est en effet le tout début des ambigüités, car dès lors que le journal cible deux lectorats différents, on ne sait plus toujours à qui s’adresse tel texte ou tel autre, d’autant plus que dans la biographie de Mesplet qu’a signé Jean-Paul de Lagrave, l’auteur  ne facilite pas la tâche en ne mentionnant jamais en quelle langue est écrit tel ou tel  article dans les références qu’il a placées en chacun des bas de page de son livre.

Il semble par contre que l’éditorial que Mesplet signe le 5 janvier 1786 s’adresse d’abord à son lectorat de langue française.  « La presse ou l’art de l’imprimerie, y écrit-il, est la source, l’étal et le soutien de toutes les connaissances utiles. Par elle, le génie est éclairé dans la jeunesse, et fortifié à mesure que l’homme fait des progrès dans les sciences. »

Mesplet semble ici avoir été fortement inspiré par l’essai de Pierre du Calvet.  Deux ans plus tôt, son ami avait publié Appel à la justice de l’État, un recueil de lettres, dont quelques-unes avaient des destinataires prestigieux, telle celle directement adressée au roi, une autre au prince de Galles. Et quelques autres à d’importants ministres.

Le regroupement de cette correspondance se terminait par une lettre aux Canadiens afin qu’ils sachent comment les trois ans de prison qu’il avait eu à subir lui avait fait constater l’urgence d’une réforme des institutions.    

Rappelons les faits. Dans une série de textes que Mesplet avait publiés à l’hiver 1779 dans la Gazette littéraire, du Calvet s’en était durement pris aux dérives du système judiciaire. À cette époque, cas évident de lèse-majesté. 

Haldimand avait hésité avant de sévir. Il avait dû tenir compte que l’homme était un marchand prospère et qu’il exerçait la très honorable fonction de juge de paix. Mais, être un intello français dans une colonie britannique en 1780… À l’instar de Mespet et de Jautard, la guerre l’avait rattrapé et en avril de cette année-là, le gouverneur s’était senti obligé.

Du Calvet avait en vain exigé un procès avec jurés. À sa sortie de prison en 1783, il s’embarqua pour l’Europe, se rendant d’abord à Paris pour y rencontrer Benjamin Franklin devenu ambassadeur des États-Unis en France. 

Autre grand coup de sa part, atterrirent alors sur les tablettes des librairies londoniennes, de nombreux exemplaires de l’essai The Case of Peter Calvet, un factum préparant son auteur à affronter Haldimand en justice.   

De ce côté-ci de l’Atlantique, ce fut plutôt la publication de son Appel à la justice de l’État qui fit grand bruit.  Au moment même où le gouverneur était rappelé à Londres.

La Gazette d’octobre 1785 fait état des deux évènements. Les lecteurs réagissent si fortement qu’une pétition circule pour que la quatrième revendication de l’Appel soit entendue par les autorités. Elle exige l’instauration d’une chambre d’assemblée.

   

Un grand engouement pour une Chambre d’assemblée                                                         

Se trouvent parmi les 2300 signataires de la pétition, Joseph Papineau, grand seigneur de son état, ainsi que Joseph-François Perrault dont nous reparlerons, mais il y a surtout le baron Francis Masères.

Huguenot né en France en 1731, Masères a été procureur général de la province entre 1766 et 1769. Et c’est depuis 1773, donc avant même l’Acte de Québec, qu’il avait tenté de convaincre Londres de la nécessité d’une telle chambre pour la province.  

Le 25 juin 1785, sachant que Masères en propagera la teneur, l’ambassadeur Franklin adresse de Paris une lettre à son ami où il lui écrit que « ne peut être tyrannique tout gouvernement dont les membres sont choisis librement chaque année par les gouvernés, et peuvent être rappelés du moment que leur conduite déplaît aux commettants. ».

Le vent tourne. À l’automne 1786, quatre numéros de la Gazette rapportent les vifs débats qui ont eu lieu au printemps à la Chambre des communes de Londres, tous concernant l’instauration d’une chambre d’assemblée pour la Province of Quebec.     

C’est dans la Gazette du 14 septembre 1786 que Mesplet fait connaître Thomas Powys à ses lecteurs. Ce simple député de l’opposition avait annoncé à la Chambre qu’il se donnait « la liberté de faire un bill pour changer le gouvernement du Québec ».   C’est en effet un grand changement que Powys propose dans son projet de loi privé puisqu’à cette Chambre, il y arrime la révocation de l’Acte de Québec.

 

Haro sur l’Acte de Québec

Mesplet accorde grande importance à Powys, allant même jusqu’à citer mot à mot ce qu’il a dit sur l’Acte de Québec. Il aurait « établi un système complet de despotisme et d’esclavage ». À noter ici le degré de complaisance envers ce simple député que Jean-Paul de Lagrave manifeste en page 262 de son livre.

Commentant le numéro du 14 septembre 1786 de la Gazette, le biographe nous décrit un Mesplet encensant Powys, « un membre distingué de l’opposition agissant de concert avec Fox, Courtenay et autres de ce groupe ». Il en ajoute : les idées «de ce député étaient en concordance avec celles de du Calvet (de Mesplet et de…de Lagrave, peut-on également présumer).

Notons que, le 15 mars de cette année 1786, du Calvet avait péri en mer lors du naufrage du navire le menant en Europe. On peut présumer que c’est au début d’avril que Powys avait présenté son bill privé, donc quelques jours avant ce décès puisque n’avait pas encore été divulgué qui allait remplacer Haldimand comme gouverneur de la province.

Il faut faire ici un temps d’arrêt pour bien décerner ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas pour les Canadiens dans le projet Powys. Il est certain que le député vise juste quand il considérait que le gouverneur général détenait trop de pouvoir en nommant lui-même les membres du conseil législatif. Et qu’à l’instar de du Calvet, il réclamait la nomination de juges plus indépendants du pouvoir politique tout en souhaitant l’établissement du procès par jury et le refus de l’emprisonnement arbitraire. Mais Powys allait un peu trop loin en déclarant que la révocation de l’Acte de Québec « allait inaugurer pour la province une époque de bonheur et de liberté ». 

Dans cette même Gazette du 14 septembre 1786, on pouvait y lire que le gouvernement se refusait à voter le bill Powys parce que disait-on, déchirer l’Acte de Québec voulait dire restituer de grands pans de la Proclamation royale de 1763. Le gouvernement n’y était pas prêt et William Pitt le Jeune d’expliquer « qu’un changement de constitution ne paraissait pas représenter le souhait de la majorité des habitants du Québec : la faveur de la liberté ne doit pas être donnée par force à un peuple contre son inclination ». En tant que chancelier de l’Échiquier, Pitt ajouta qu’il « avait reçu de nombreuses requêtes le priant de ne rien faire et qu’il valait mieux plutôt attendre l’avis du nouveau gouverneur ».

William Pitt a raison ici car il semble bien que ce que l’on puisse conserver le plus de cette Gazette de Montréal du 14 septembre 1786, c’est que la ligne éditoriale de l’ensemble de ce numéro correspondait plus aux vœux des « anciens sujets » de sa majesté plutôt qu’à ceux des nouveaux. Et on est en droit d’y détecter une certaine complaisance de la part du biographe. 

Les choses se corsent davantage quand dans la Gazette du 25 septembre, on rapporte le discours du député Courtenay faisant  l’éloge « du climat régnant au Québec avant le Quebec Bill ». Et Mesplet de laisser ce pourfendeur de l’Acte de Québec clamer qu’avant « ce fatal événement les habitants canadiens jouissaient de l’esprit de la liberté, et avait senti le bénéfice et l’influence de la loi britannique et de sa liberté (…) ».  

Courtenay est même d’avis « que le mécontentement du peuple contre le Bill de Québec s’était clairement manifesté quand le général Montgomery envahit la province. (…)  Les habitants furent irrités par le bill oppresseur (et donnèrent donc) tous les degrés d’assistance aux ennemis qu’ils regardèrent comme leurs libérateurs. »  

On peut peut-être comprendre que Mesplet ne réagisse pas plus aux outrances du député whig. Durant l’invasion américaine de 1774-1775, n’avait-il point été un acteur plutôt que témoin de l’événement?      

Mais la question se pose :  l’Acte de Québec était-il aussi néfaste pour les Canadiens que les Powys, Courtenay et autres Fox l’avaient affirmé en plein Parlement de Londres?

 

Les Canadiens de 1775  ont-ils à ce point détesté le tout naissant Acte de Québec?

 De Lagrave raconte que nombreux ont été les membres du Congrès de Philadelphie qui ont été révulsés d’apprendre la sanction de l’Acte de Québec du 22 juin 1774. Datée du 26 octobre de cette même année, la première Lettre en fait directement mention. On y comprend que l’Acte maudit aurait engendré « le sacrifice de la liberté et du bonheur de tous en faveur de quelques privilégiés ».  Il faut bien voir là que, pour les rebelles américains, ces dits privilégiés sont tous ces seigneurs qui ont été réhabilités dans leur ancien statut par l’Acte de Québec.   

Étrange situation que les Canadiens d’alors ont eu à vivre.  La révolution dont les rebelles Américains les invitaient à s’engager était, en quelques sortes, une réplique de la pensée libérale, protestante et individualiste qui s’était lentement implantée en Angleterre avant même les Lumières. Avant même la Grande Révolution de 1689.

Avant toute autre chose, l’élément déclencheur de la guerre d’indépendance fut la colère des marchands bostonnait et new-yorkais contre une métropole ayant décidé de leur imposer une taxe de guerre sans leur consentement, et sans les bénéfices surtout qu’ils pouvaient tirer de leur participation au conflit.  

Les bourgeois des onze autres colonies de la Nouvelle-Angleterre se sont vite ralliés au choix de ces marchands, mais fallait-il encore rallier à leur cause cette toute nouvelle colonie appelée « Province of Quebec ».

Mais dans ce territoire rabougri de la Nouvelle-France que celle-ci était devenue après 1763, ce ne fut pas à la bourgeoisie canadienne que le Congrès de Philadelphie pouvait faire appel car sachant que, suite au Traité de Paris, les commerçants d’allégeance britannique se substitueront à eux dans le lucratif commerce des fourrures avec les autochtones de l’Ouest, la plupart de ces grands traiteurs avaient préféré plié bagages et prendre le large « vers des cieux plus bleus ».  

Dans l’approche d’une guerre avec Londres, il fallait donc convaincre « le p’tit peuple », c’est à dire le grand ensemble du monde rural de « tout ce qu’il avait perdu en liberté » avec cet Acte de Québec de 1774 ayant réinstaller le régime seigneurial et réhabiliter le catholicisme, les obligeant ainsi à repayer une redevance à leur seigneur. Et la dime à leur curé.   

 

Le « p’tit peuple » n’a jamais été dupe 

Dans son ouvrage Le Canada et la Révolution américaine, (Beauchemin, 1965), l’historien Gustave Lanctôt démontre qu’il y eut deux phases très différenciées dans la collaboration des Canadiens avec les occupants, deux phases séparées par la défaite des milices américaines du 31 décembre 1775 à Québec.  

Lanctôt avance que, dès les premiers jours de janvier 1776, la façon pour les Canadiens de voir l’Envahisseur change du tout au tout suite à l’humiliante défaite de celui-ci au pied du Cap-Diamant et à la mort de Montgomery qui en a résulté.  

À l’automne 1775, la marche triomphale des milices américaines et de leur chef, tant le long du Richelieu que sur les deux rives du Saint-Laurent, avait donné l’image d’un rapport de force qui s’était établi en leur faveur, et donc en défaveur des autorités britanniques dont les forces militaires avaient été refoulées jusque sur les hauteurs de Québec.

Tout comme de Lagrave, Lanctôt témoigne de l’enthousiasme envers l’Envahisseur qui s’était traduit par une tangible collaboration dans un grand nombre de paroisses, souvent malgré les admonestations du curé.

Il faut par contre noter une différence d’appréciation des deux auteurs quand il s’agit de traiter de comment les villageois ont reçu les Lettres du Congrès de Philadelphie. Si, pour de Lagrave, elles constituent de salutaires messages, Lanctôt considère qu’elles étaient le fruit d’une pernicieuse propagande.      

Je me permets ici d’émettre mon opinion sur ce qui est alors passé dans la tête des Canadiens de l’époque. Devant une avancée aussi rapide des milices américaines, il s’est alors souvent constitué une majorité de paroissiens dans chacun des villages ayant cru que l’heure de la libération était venue, que la province vivait un automne de velours, question de penser comme de nos jours. 

Il faut bien saisir ici qu’à l’arrivée des milices américaines en ce mois d’octobre 1775, cela ne faisait que seize ans qu’à l’été 1759, des mercenaires allemands avaient ravagé la côte de Beaupré. Et que, nuit et jour, de sa flotte ancrée au large de Lévis, Wolfe avait fait pilonner la ville de Québec, y semant mort et désolation.

Cela ne faisait également que douze ans que le peuple avait eu à vivre avec la Proclamation royale. Pour bien connaître ce que cette charte comportait comme effets sur les gens, il suffit de lire les instructions secrètes qui avaient été adressées au gouverneur Murray en marge de ce très officiel papier.

Il y était d’abord spécifié que toutes ses clauses devaient servir un objectif commun : assimiler les Canadiens aux Anglais. Il fallait donc favoriser une immigration anglaise massive, implanter une nouvelle religion d'État (l’anglicanisme) et imposer les cantons comme mode de distribution des terres afin de mettre fin au régime seigneurial.

Afin de convaincre les Canadiens d'adopter plus rapidement la langue, la religion et la culture anglaises, il y était spécifié que ceux-ci ne pourront accéder à aucun poste de quelque importance sans qu’il prête au préalable le Serment du Test. Il doit donc jurer qu'il a adopté la religion anglicane, renié sa foi catholique et refusé le pouvoir du pape.

Le gouverneur Murray se rendit bien vite compte qu’en ce qui concerne particulièrement le domaine de la justice, la chose était devenue impraticable et qu’il était impossible de changer d’un coup de baguette les lois qui avaient pris des siècles à gérer la vie d’une société.

Remplaçant officieusement Murray en 1766, Guy Carleton fit le même constat. Ce fut même dès 1770 que le nouveau gouverneur aurait voulu que Londres rétablisse les lois françaises dans la province. Il regretta amèrement que les autorités britanniques n’édictèrent l’Acte de Québec qu’en 1774.

 

À propos de la motivation des Canadiens, qui dit vrai ? Carleton ou Courtenay ?   

Lors des débats au Parlement de Londres du printemps 1786, Carleton était convaincu d’avoir bien conseillé les autorités britanniques en 1774. 

À contrario de ce que pensait Courtenay, l’ex-gouverneur affirma que, sans l’abolition de la Proclamation royale, le retour des lois françaises et la possibilité d’accorder à tout Canadien de pratiquer la religion catholique, les milices américaines auraient davantage été considérées comme des libérateurs.

Carleton a toujours pensé que ce ne fut point le fait d’avoir à repayer la dime au curé et les redevances au seigneur qui aurait motivé un grand nombre de Canadiens à fraterniser avec l’Occupant.

Il faut signaler ici que le régime seigneurial, qui avait surtout été instauré par Louis XIII et Louis XIV en Nouvelle-France, n’a jamais eu le degré de prédation que, de tous temps, les censitaires de France avaient eu à subir. Et qu’au contraire de ce qui existait partout dans l’Europe catholique, le seigneur avait ici des devoirs étant tenu à rendre certains services à ses censitaires. Comme de l’usage à faible coût du moulin pour y moudre leurs grains.  

Et pourquoi ne pas croire qu’il y eut en 1775 un grand nombre de Canadiens voulant se libérer du joug britannique comme cela semble avoir été la façon de penser des habitants des trois faubourgs de Montréal lisant la lettre qu’ils ont adressée à Montgomery, et qui avait été rédigée par Valentin Jautard.  On pouvait y lire : « Le jour luit, nos chaînes sont brisées, une heureuse liberté nous rend à nous-mêmes ».  

Le temps prêtait à l’écoute de la philosophie des Lumières et les ordres d’obéissance aux autorités britanniques de l’évêque de Québec étaient en concurrence directe avec la parole d’émancipation collective entendue au sortir des messes en cet automne de 1775.  

Il reste que cet éclairci dans la libération de la parole ne dura qu’une grosse saison. Au printemps 1776, tout était redevenu « à la normale ».

 

Un éphémère éclairci

En cet automne de 1775, la libération de la parole avait donc été possible parce que les Canadiens avaient perçu les milices américaines comme étant aptes à les libérer du joug britannique qui, depuis 1763, pesait lourdement sur eux.

La population laurentienne y a vu un éclairci en vue d’une éventuelle libération. Elle a alors, et pour la toute première fois de sa brève histoire de nation conquise, possédé un véritable rapport de force afin d’envisager une certaine forme d’émancipation collective. Suivront d’autres soudaines éclaircies dans notre histoire en dents de scie. En 1837, 1968 et 1995 notamment. Elles seront soulignées dans l’un ou l’autre de mes prochains textes. 

Pour le moment, penchons-nous sur le fait que l’éclairci a été éphémère : moins d’une année.  C’est en fait dès que le général Montgomery a été trop pressé d’en découdre avec un Carleton assiégé dans les hauteurs de Québec que la situation avait changé.

Tout se passe la veille du jour de l’an 1776. Dans la nuit du 31 décembre, voulant prendre d’assaut par surprise le Cap Diamant, le général rebelle a voulu refaire le coup de maître d’un certain James Wolfe. Mal lui en prit car l’histoire ne s’est pas répétée et le preux général a en perdu littéralement le souffle. Les troupes britanniques l’attendaient de pied ferme du haut de nos très historiques Plaines d’Abraham.     

La défaite des troupes rebelles, ajoutée à la mort de Montgomery, ont fait que, dès les premiers jours de 1776, Gustave Lanctôt, en cela plus que de Lagrave, démontre que l’enthousiasme envers les « libérateurs » avait alors baissé de plusieurs crans.

 

Un enthousiasme envers les « libérateurs » moins grand dans les campagnes

Si. dans le Montréal des premiers jours de 1776, les Jautard, Walker, Cazeau et du Calvet avaient su garder à vif l’élan révolutionnaire, l’enthousiasme s’était cependant grandement amoindri dans les campagnes et Lanctôt l’a très bien décrit.

Il vaut la peine de lire le début du chapitre 9 du Canada et la Révolution américaine. « Depuis l’échec devant Québec, y écrit Lanctôt, la situation des envahisseurs subit l’influence défavorable du climat militaire. La sagesse d’une plus stricte neutralité s’impose bientôt à l’esprit pratique de la population, en face d’un avenir incertain et même quelque peu menaçant. »

La sagesse de la population rurale est d’avoir, bien avant le citadin Jautard, compris que le rapport de force de la nation risquait de s’effriter durant ces longs mois de l’hiver de l’année 1776. Alors qu’à l’automne, bien des habitants ont su économiquement profiter de la manne du ravitaillement des troupes, l’argent venant de Philadelphie se fit de plus en plus rarissime. Tout autant d’ailleurs que les nouveaux renforts militaires.  

Et, le ravitaillement par mer étant plus facile que par terre, il arriva que ce fut l’Angleterre qui gagna au change sur les milices américaines. Le 7 mai 1776, on a pu compter 10 000 militaires britanniques et mercenaires allemands foulant l’Anse aux Foulons. 

 

Le retour de Carleton, un mauvais augure pour les whigs

Lors du débat d’avril 1786 sur le bill privé de Powys, celui-ci tout autant que Courtenay et Fox n’avaient prévu le retour en force de celui qui avait été l’architecte de « l’Acte de Québec maudit ». Après tout, suite à l’arrivée de la flotte britannique du 7 mai 1776 le libérant de sa situation fâcheuse, Carleton ne s’était-il pas montré un peu trop magnanime envers les Canadiens ayant fraternisé avec l’Occupant? C’était d’ailleurs la raison, pensait-on chez les whigs, pourquoi l’intransigeant Haldimand lui avait succédé comme gouverneur.

Mais voilà que William Pitt Junior invite George III à ennoblir celui que l’on devra dorénavant appeler Lord Dorchester et qui, de surcroit, est nommé gouverneur de l’ensemble des colonies britanniques en Amérique du Nord.

Ce ne fut que le 5 octobre 1786 que les lecteurs de la Gazette apprirent que le bill Powys avait été battu aux Communes. Concernant ce quarantième numéro du journal, le biographe de Mesplet insiste pour saluer l’argumentaire des Masères, du Calvet et autres patriotes si politiquement apparentés à ceux des députés britanniques Powys, Fox et Courtenay.

Commentant davantage ce numéro du 5 octobre, de Lagrave place dos contre dos le chancelier William Pitt avec le chef de l’opposition James Fox. Du premier, il fait dire « que l’on ne peut donner plus de liberté à des Canadiens dont la majorité ne semble pas en vouloir ». Le second lui aurait répliqué qu’il faut « accorder aux Canadiens les libertés démocratiques, car ils seront capables de les apprécier à leur juste valeur. »

Mais le débat ne s’arrêta pas là. Le 18 décembre 1788, La Gazette de Mesplet publie le mémoire de « marchands et autres citoyens » qui se voulait une réplique à celui du clan des seigneurs ayant été publié deux mois auparavant.

Ce qui importe de saisir c’est qu’en ce début d’hiver 1788-1789, ce débat survint au moment même où il y a grande effervescence contre les privilégiés en France allant jusqu’à aboutir à la prise de la Bastille du 14 juillet. Mais ce qu’il faut également savoir, c’est que ce fut le peu connu Quebec Herald (QH) qui en brassera le plus fortement ici les cartes. Davantage que la Gazette de Mesplet.    

 

1789 : une Gazette de Montréal à la traine du Quebec Herald dans sa campagne anti-seigneurs

Pendant plus d’un mois, du 1er janvier au 5 février 1789, la GdM/TMG publia des textes provenant tous du Quebec Herald, tous signés sous des pseudonymes dont la plupart avait une couleur latine, comme Amicus libertatis et Scriberus, textes revendiquant tous la révocation de l’Acte de Québec, une question qui semblait pourtant réglée avec le retour de Carleton comme gouverneur.

Dans les numéros du 15 et du 29 janvier, Mesplet tient à démontrer qu’il se devait de présenter un certain équilibre dans les opinions en publiant la requête des seigneurs et de leurs alliés qui s’élevèrent contre toute nouvelle constitution. Contre toute abrogation de l’Acte de Québec.  

« Notre religion, nos lois de propriété, notre sûreté personnelle, peut-on y lire, voilà ce qui nous intéresse et ce dont nous pouvons jouir le plus amplement par le Bill de Québec ».

Mais qu’est-ce qui fit qu’en si peu de temps, autant de textes anti-seigneurs aient été publiés par le QH et furent tant appréciés par Mesplet pour qu’il en vienne à presque tous les publier ?  La réponse se trouve dans le bref séjour à Québec d’un certain écrivain, comédien et imprimeur anglais appelé William Moore.

Il importe ici de connaître tous les courants de pensée qui circulent dans la province à cette année fatidique de 1789. C’est pourquoi je prends le temps d’illustrer ce qu’était William Moore et l’influence qu’il a eu sur le jeune Joseph-François Perrault tout autant bourlingueur que celui qui a un peu été son mentor pendant son court séjour au Québec. 

Moore a d’abord été un homme de théâtre dont la carrière d’acteur débute en 1779 à Liverpool.  En 1781, il se retrouve faisant partie d’une troupe américaine s’étant réfugiée en Jamaïque parce que se refusant d’adhérer à la révolution en cours.  La guerre terminée, il se présente seul en scène dans un théâtre d’Halifax.

À l’été 1785, il retrouve ses amis comédiens de la Jamaïque et réintègre leur troupe qui part en tournée au travers les principales villes américaines. Le 16 mars 1786, la troupe est à Montréal et y joue une pièce intitulée She Stood for Conqueer.  Le 21, la troupe se transporte à Québec.  La pièce est vilipendée par la critique de The Quebec Gazette, laquelle semble avoir tenu compte de la puritaine réaction des loyalistes nouvellement installés dans la ville.

Il reste que c’est en tant que journaliste et imprimeur que Moore fit sa marque en date du 24 novembre 1788 alors qu’il publie le premier numéro du Quebec Herald and Universal  Miscellany.   

 

Les atomes crochus entre Moore, Mesplet et Joseph-François Perrault                                                                         

Ce qui rassemble le plus les deux hommes est le fait que Moore est tout autant un ardent défenseur de l’école pour tous et de la lecture des grandes œuvres des Lumières.

Et l’homme de théâtre qu’il était ne pouvait que plaire au jeune Joseph-François Perrault, le fils de Louis, un prospère marchand de fourrures parti comme bien d’autres en 1763 faire fortune en des cieux plus bleus.  

À la fin de ses études collégiales, le jeune Perrault, orphelin de sa mère, était allé rejoindre son père faisant des affaires en Louisiane. Dix ans plus tard, il prit Ursule McCarthy comme épouse, la fille d’un riche traiteur de Détroit.   

Homme instruit, bilingue, descendant des anciens fortunés du commerce des fourrures, Joseph-François Perrault sentit très vite l’urgence qu’il y avait pour ses compatriotes et se doter d’un système d'instruction publique de bonne qualité et gratuit.  En 1789, très motivé par l’audace de Moore, il décide de fonder le Théâtre de Société.

 

Automne 1789, saison de toutes les audaces

En cet automne 1789 alors qu’on commence à peine à saisir l’ampleur du vent de révolte contre les privilèges qui s’est levé en France, c’est à Montréal qu’on commence à y détecter un certain écho avec l’avènement d’un théâtre engagé.   

En décembre, Joseph-François Perrault fonda le Théâtre de Société qui présenta d’abord Le Médecin malgré lui de Molière, pour enchaîner ensuite avec Colas et Colinette, ou le Bailli dupé de Joseph Quesnel, et enfin finir avec trois pièces de Jean-François Regnard, ces dernières suscitant l’ire du curé Brassier de la paroisse Notre-Dame.

 C’est dans ce climat de petite révolution tranquille qu’en cet automne 1789 circule une pétition demandant aux autorités britanniques l’instauration d’une chambre d’assemblée pour la province, une seconde en l’espace de cinq ans où on y retrouve encore les noms de Joseph Papineau et de Joseph-François Perrault comme signataires.

Leur espoir d’y arriver est d’autant plus grand que le débat sur la révocation de l’Acte de Québec n’a plus cours à Londres. Le débat semble cette fois s’être déplacé sur une question de territorialité. En début d’année 1790, s’élève en effet la rumeur voulant que William Grenville ait en tête une constitution qui territorialement diviserait la Province of Quebec en deux.

 

Un plan Grenville indigeste pour les marchants anglais  de Québec et de Montréal

Notons qu’il y eut avalanche de pétitions exigeant une révision de la constitution. Il s’en trouva surtout une provenant d’un groupe de loyalistes y réclamant que les quatre districts situés à l’ouest de Rivière Baudet ne soient plus assujettis au régime des lois françaises.

Par une telle requête, ces « anciens sujets » exigeaient que l’on divise le territoire de la province afin d’en créer une nouvelle où se développerait rapidement une forte majorité anglo-protestante.  

Dès que, de ce côté-ci de l’Atlantique, cette suggestion fut connue, elle provoqua l’ire des marchands anglais de Montréal contre ce qu’il avait été convenu d’appeler « le plan Grenville ».

Pour ces marchands, Montréal était le point d’arrivée de toutes les fourrures provenant de l’Ouest canadien. Il l’avait été du temps de Champlain, il l’était encore en cette fin du 18e siècle. Toujours pour la même raison : à partir des lacs Saint-Louis et Saint-François, la constante montée en altitude des terres faisait en sorte que les grandes artères d’eau ayant de fréquents et puissants rapides obligeaient les traiteurs et leurs hommes à effectuer de pénibles portages.

Du point de vue de Londres, Montréal faisait intrinsèquement partie de la section des eaux calmes de la vallée laurentienne. Or, se sont dit les autorités britanniques, si on veut ne pas obliger nos anciens sujets à être astreints à vivre sous des lois et des coutumes françaises, laissons-les s’établir en cet immense territoire que constitue la partie ouest de la Province of Quebec.

Il faut savoir que, depuis l’Acte de Québec de 1774, le territoire de cette dite province s’était considérablement agrandi, ce que les pourfendeurs de la charte n’osaient point trop admettre. 

La Proclamation royale de 1763 avait statué que le territoire de la Province of Québec ne serait confiné qu’à deux étroit corridors de moins de cent kilomètres de part et d’autre des deux rives du fleuve. Avait été également statué comme « Indians Territories » tout le reste de l’immense territoire qu’avait constitué la Nouvelle-France.  

On se rappelle que ce blocage territorial avait été un motif suffisant pour qu’au Sud, les anciens sujets songent à casser leur lien avec Londres, mais il avait déplu tout autant à de riches marchands montréalais d’ascendance écossaise ayant hâte de prendre le relais des Canadiens dans la traite des fourrures avec les autochtones.  Fut donc bénéfique pour ces futurs millionnaires un Acte de Québec élargissant le territoire jusqu’à intégrer tous les bassins versants des Grands Lacs. Et même au-delà vers l’Ouest.    

Mais fut tout d’autant plus inacceptable pour eux l’application d’un régime de lois françaises ré-établie par la charte de 1774 sur l’ensemble du territoire de cette immense Province of Québec

Au début de 1790, il y eut donc rumeur que le plan Grenville donnerait raison aux loyalistes résidant à l’ouest de Rivière Beaudet. Ils pourront donc vivre dans une nouvelle province avec la Commune law comme régime de lois gérant les rapports de civilité des sujets en ce spécifique endroit.  

Dès qu’a couru la rumeur du plan Grenville, ont été grandement irritées ces richissimes familles écossaises que constituaient déjà les Frobisher, McGill et autres McTavish. Elles eurent l’impression que Londres les avait lâchées.

Ces marchands voulurent surtout être en mesure de concurrencer leurs homologues américains. Depuis le traité de Versailles de 1783, ceux-ci ont accès à tous les bassins versants sud des Grands Lacs. Avec le lac Michigan comme prime ultime. Chose également dérangeante, il y a rumeur que repose déjà sur des tables à dessins le schéma d’un canal Érié qui, pour les traiteurs américains, faciliterait le transport des marchandises entre la rivière Hudson et le lac Ontario.  

Dès le début de 1790, les marchands montréalais cherchent donc à trouver la personne la plus apte à défendre leur point de vue au Parlement de Londres. Ils l’ont trouvé en la personne d’Adam Lymburner.

 

Adam Lymburner, un porte-parole pas mal caméléon

À ce personnage entré de façon impromptue dans l’histoire du Québec, je me permets d’affubler ce qualificatif tellement furent différenciées les deux interventions qu’en seulement quelques mois il a faites à Londres.

Le 26 novembre 1787, un comité de notables canadiens avait mandaté ce marchand écossais spécialisé dans la pêches en haute-mer afin qu’il devienne leur porte-parole auprès des autorités britanniques.

Comme de Lagrave n’en parle pas dans sa biographie de Mesplet, il faut ici se référer à l’Histoire populaire du Québec (HPdQ) - tome 1 (Lacoursière 1996). C’est à la page 462, qu’on peut y lire  le libellé de la résolution du comité établissant le mandat de Lymbernur,        

« Nous vous prions, recommandons et autorisons, y est-il écrit, de soutenir qu’une assemblée du peuple en cette province ne peut être autrement établie et acceptée que sur le pied d’une liberté absolue et indéfinie quant à la représentation et à l’élection, que celle que nous avons demandée doit être accordée indistinctement composée d’anciens et de nouveaux sujets, librement élu par les habitants des villes et des campagnes de cette province. »   

Formulation on ne peut plus claire de ce que ces notables voulurent que Lymburner insiste auprès des autorités britanniques. Et il n’est pas du tout question de révocation de l’Acte de Québec dans le mandat qu’il donne à leur porte-parole attitré.

Or, devenu « l’agent des colons britanniques de la province de Québec » dixit de Lagrave, le Lymburner des marchands montréalais tint un tout autre discours en pleine Chambre des communes, le 23 mars 1790.  Il est bon de savoir ici que c’est Thomas Powys qui le présenta à ses pairs.      

Lymburner avait débuté en réclamant la révocation de l’Acte de Québec, un point qui, faut-il le rappeler, n’était dans les cartons des notables canadiens en 1787.  D’autant plus que le retour en grâce d’un Carleton devenu Dorchester, la question du régime seigneurial semblait pour eux réglée. Tout autant que pour le premier ministre Pitt.    

Lymburner aborda ensuite sur ce pourquoi les marchands anglais de Montréal avaient sollicité son aide : leur total refus de ces « projets extravagants d’une poignée de monde répandue çà et là dans la partie supérieure de la province ».

Contrairement à « cette poignée de monde », les marchands s’objectaient à ce que Londres découpe cet immense territoire dont, pour quelques mois encore, il était encore convenu d’appeler « The Province of Quebec ».

Depuis qu’en 1783, la section sud des Grands Lacs avait été rétrocédée aux Américains, il était ardu de peupler cette partie ouest de la province de sujets exclusivement britanniques.  En tout cas, ceux qui s’y étaient installés, se sentirent pris en souricière. Dans la partie-est de la province, on dénombre 115 000 habitants. Les Canadiens sont cinq fois nombreux que les loyalistes et les marchands anglais dénombrés sur la totalité du territoire.   

Le problème, c’est que les loyalistes qui se sont récemment installés à l’ouest de Pointe Beaudet refusent très majoritairement de vivre sous un régime de lois françaises. Londres a donc cherché une solution de rechange afin d’instaurer une Chambre d’assemblée sachant trop bien que, si on exclut les résidents de Québec et de Montréal, il y a quarante fois plus de Canadiens que de Loyalistes dans le grand espace restant. Exclusivement rural. 

Les loyalistes à l’ouest de Rivière Beaudet considèrent également comme inquiétantes le grand nombre de parlants français catholiques dans leur district le plus à l’ouest, celui de Hess. Ils y sont en effet trois fois plus nombreux qu’eux, conséquence de l’importance économique qu’avait Détroit pour l’ex-Nouvelle-France. Sans compter tous les Autochtones et Métis que l’ancien régime avait réussi à franciser. Et à catholiciser.

Lymburner avait donc d’abord signifié le mécontentement des marchands montréalais au fractionnement du territoire, pour ensuite proposer une forme de constitution dont il pense qu’elle pourrait rallier anciens comme nouveaux sujets. La quadrature du cercle, quoi!

 

Une ébauche de constitution passablement alambiquée

Va quand Lymburner déclare que sa constitution « impose comme lois fondamentales, outre les lois commerciales anglaises, les lois criminelles anglaises pour toute la province ».

Il signale l’importance de « l’Habeas Corpus (..,) et les autres actes qui ont rapport à la liberté personnelle ». De son discourt, on peut déduire que les marchands de Montréal et de Québec, s’étaient avec le temps assez bien accommodés des « anciennes lois et coutumes du Canada, concernant les biens-fonds, les conventions matrimoniales, l’héritage et le douaire ».

Lymburner en était donc venu à proposer le compromis suivant : « conserver certaines lois françaises pour les districts de Québec et de Montréal tels qu’ils sont présentement bornés, avec une réserve qui autorise les propriétaires d’aliéner par testament (tout en se dirigeant vers) le droit coutumier d’Angleterre pour les districts de Lunenburg, Machlenburg, Nasseau, Hess et Gaspé ». (HPduQ, tome II de 1791 à 1841, page 11)

On aura compris que les deux premiers districts énumérés se confondent avec la vallée laurentienne tandis que les quatre autres sont situés à l’ouest de Rivière Beaudet, et alors que le district Gaspé est à l’extrême-est de la Province of Quebec. Un district à cette époque passablement anglo-protestant.    

Devant les élus britanniques, Lymburner insiste. Selon lui, il est inapproprié de diviser la province puisqu’à plus ou moins long terme, les élus des districts périphériques, vu l’important contingent d’Anglo-protestants qui, chaque année, y immigrent, finiront par changer les lois à leur convenance dans une unique chambre d’assemblée.   

En conclusion de sa longue intervention, Lymburner soulève le danger d’une mise en minorité de l’élément anglophone de la colonie dans un Bas-Canada majoritairement francophone.  

On sait que le gouvernement de William Pitt n’a pas retenu la solution Lymburner.  Ni ses inquiétudes. Mais, au fond, en était-il si éloigné? En fait, les deux partis souhaitèrent une assimilation progressive des Canadiens.

 

Whigs et tories d’accord sur la fin, mais aucunement sur les moyens

Suite à l’intervention de Lymburner, le débat se poursuit aux Communes. Le 8 avril, la division du territoire de la Province of Quebec agace fortement Fox. « Il serait davantage souhaitable, a-t-il alors déclaré, que les habitants anglais et français du Canada se combinent comme en un seul corps et que les distinctions nationales disparaissent pour toujours. » Entendre de tels propos avant même que la question nationale ne se pose pas encore vraiment dans le monde? Est-ce que notre Justin « post-national » serait la réincarnation de ce Fox?

C’est avec un optimisme sans bornes qu’en tant que premier ministre, William Pitt fit un discours hautement lénifiant. Qu’on en juge :

« Les sujets français se convaincront ainsi, que le gouvernement britannique n’a aucune intention de leur imposer les lois anglaises. Et alors, ils considèreront d’un esprit plus libre et les effets des leurs. Ainsi avec le temps, ils adopteront peut-être les nôtres par conviction. »

Le 10 juin 1791, le territoire de la Province of Quebec a donc été très heureusement divisé. Je dis bien « très heureusement », parce que si le plan Grenville n’avait pas été maintenu, il n’y aurait peut-être aucunement eu, dans notre monde tiraillé, cette société très distincte qu’est le Québec d’aujourd’hui. On l’a donc…

 

On l’a donc échappé belle !

On l’a échappé belle parce que, compte tenu de la position politique des whigs à propos des franco-catholiques en cette fin du 18e siècle, il était plus que probable qu’un gouvernement dirigé par Charles-James Fox n’aurait aucunement mis en application le plan Grenville de division de la Province of Quebec. Il n’y aurait donc pas eu l’importante étape Bas-Canada dans notre histoire.

Considérant ensuite que Powys et Courtenay auraient eu d’importants rôles au sein d’un gouvernement Fox, il y avait fort risque d’une révocation de l’Acte de Québec. Et donc, d’un plus ou moins grand retour à la Proclamation royale de 1763.

Mais où donc se trouve notre chance qui fit qu’à partir de l’année 1784, il arriva que ce fut William Pitt le Jeune et non Charles-James Fox qui fut premier ministre en Grande Bretagne? Encore ici, la guerre d’indépendance américaine y a joué un rôle majeur.

 

Notre grande chance dans l’Albion des années 1784 à 1791, un William Pitt le Jeune comme PM                                                                                                                                                             

Il faut d’abord comprendre que George III était en grande inimitié avec le chef des whigs. Ce roi d’une grande frugalité était allergique aux comportements relâchés de Fox. Mais il était surtout irrité par l’appui que celui-ci accorda aux rebelles américains durant les dernières années du conflit. Et pendant les négociations de paix à Versailles.

Le 2 avril de cette année 1783, Fox fini par prendre le pouvoir grâce à la coalition qu’il fit avec Lord North, ce qui déplu au plus haut point à George III qui faillit abdiquer en faveur de son fils. Un an, plus tard le projet de réforme de la British East India company fit sauter le gouvernement Fox-North.  Un George III ravi a pu donc alors inviter le très jeune William Pitt à former le gouvernement. Avec le résultat que l’on connait sur notre destin collectif.

Ainsi donc, la guerre d’indépendance américaine ajoutée à quelques autres imbroglios politiques, a énormément joué sur l’arrivée au pouvoir de William Pitt, ce qui entraîna la décision de 1786 de ne pas révoquer l’Acte de Québec et celle de 1790 de couper le territoire de la Province of Québec en deux.   

Il faut comprendre ici qu’au départ, Lord Dorchester avait des réserves quant à la division du territoire et que ce fut William Grenville qui lui donna le pourquoi d’une telle décision. Elle relevait de la situation politique en France.  

 

Une Prise de la Bastille poussant Grenville à la précipitation

En tant que gouverneur général, Dorchester appréhendait un manque d’organisation administrative pour le futur Haut-Canada. « En fait, avait-il écrit à Grenville, il serait encore, il me semble, prématuré d’accorder aux postes de l’Ouest une organisation supérieure à celle d’un comté. »

La réponse que, dans une lettre « secrète et personnelle » lui donne le secrétaire d’État à l’Intérieur, lettre en date du 20 octobre 1789, est reliée à ce qui s’est passé en France le 14 juillet de la même année.

« Votre Seigneurie, lui écrit-il, verra, par les diverses nouvelles qu’elle recevra d’Europe, que l’état de la France est tel qu’il nous inspire peu de crainte de ce côté. »  C’est comme si le ministère Pitt voulait profiter d’une France en désorganisation pour mieux faire passer sa réforme.

 

La réception du document en sol laurentien

Le 26 mai 1791, c’est uniquement en anglais que la Gazette publie une première partie du document avec suite le lendemain en édition spéciale. La traduction française fut publiée les 2 et 9 juin.

Le 9 juin, c’est tout juste la veille de la sanction du roi. On aura donc compris qu’à ces dates citées, le document officiel n’a pas encore franchi l’Atlantique. Ce ne sera donc que les 8, 15, 22 et 29 décembre 1791 que les lecteurs de la Gazette pourront en lire la version définitive.

Mais ce qui me semble révélateur ici, est le fait qu’il n’y ait eu que les commentaires d’un certain Solon parus dans la Gazette des 15 et 22 décembre 1791 puis dans celle du 22 mars 1792   concernant la nouvelle constitution. C’est du moins ce qui se dégage en pages 284 et 285 de la biographie de Lagrave.

Un Solon en grande contradiction

Comment ne pas voir de contradiction dans ses propos quand, dans la Gazette du 15 décembre, il écrit « qu’il eut mieux valu supprimer l’Acte de Québec et ne pas diviser le territoire » pour se réjouir ensuite que la liberté religieuse a été maintenue?   

En 1774, l’Acte de Québec avait justement été conçu afin de redonner la liberté religieuse aux Canadiens qui leur avait été enlevée par la Proclamation royale de 1763.  Comment donc Solon peut-il, dans un même texte, se féliciter du maintien de la liberté religieuse et déplorer que Londres n’en soit pas revenu aux articles liberticides de la Proclamation royale?   

Quand on connait comment le voltairien Mesplet ressent le catholicisme comme une religion oppressante entravant la liberté de penser par eux-mêmes des fidèles, il est aisé de déduire que ce put être Mesplet qui se cachait sous le pseudonyme de Solon.  La chose est incertaine tellement le Mesplet de cette fin d’année 1791 est surtout emporté par le vent révolutionnaire qui souffle alors sur sa France natale.

L’imprimeur a d’abord été admiratif devant la constitution américaine ratifiée quatre ans plus tôt et qui garantit la liberté religieuse des citoyens.  Mais voilà qu’en France, tout bouge à cet effet. Si des exactions inacceptables envers les prêtres ont eu lieu, cette anicroche importe moins que cette Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a enfin permis de diminuer les pouvoirs exorbitants que l’Église détenait sur la population.   

En cette fin d’année 1791, un Mesplet autant enthousiaste de ce qui se passe en France n’avait aucun intérêt à se cacher sous ce pseudonyme de Solon et manifester sa déception que le nouvel acte constitutionnel n’ait pas révoqué l’Acte de Québec.  Il semble bien que ce soit plutôt encore un représentant des marchands anglais et des loyalistes qui s’exprime dans cette Gazette du 15 décembre.

Dans un second texte publié dans la Gazette du 22 mars 1792, Solon se désolait d’un régime seigneurial « qui a fait son temps du fait même que la tenure des bienfonds tient le peuple dans une dépendance continuelle des seigneurs ».  Au travers de ces propos, se profile la crainte d’une continuelle minorisation de l’élément anglo-protestant qu’avait manifesté Lymbernur le 23 mars 1791 devant le Parlement de Londres.

Du moins pour ce qui était des Canadiens, une crainte d’une éventuelle minorisation ne fut pas dans les recommandations qu’au printemps 1788, un comité de notables avait données à Lymbernur pour qu’ils les défendent auprès des autorités britanniques. 

On se rappellera que Joseph Papineau faisait partie de ce comité. Or, comment Mesplet aurait pu être le Solon du 22 mars 1792   maugréant contre une encore trop grande influence des seigneurs dans la nouvelle constitution et encourager les lecteurs de La Gazette à voter pour Joseph Papineau aux élections de juin? Ce qu’il fit le 24 mai de cette année 1792.       

 

La conversion aux Lumières de Papineau

 Dans mon premier texte, j’avais noté que ce notaire s’était rangé du côté des autorités britanniques du temps de l’occupation américaine. Il devint même leur agent de communication par les périples risqués qu’il avait entrepris entre Montréal et Québec, devant souvent hébergé dans les presbytères de curés anti-rebelles afin de ne pas être retracé.

 À ces toutes premières élections de juin 1792, le candidat Papineau est devenu un tout autre homme. Dans un texte publié dans la Gazette du 24 mai, le père de Louis-Joseph s’inspire de Jean-Jacques Rousseau en déclarant « que la science politique ne trouvait pas son fondement dans la théologie, mais dans la seule considération de la nature de l’homme ». 

Avec de tels propos, Papineau rompait avec la position du clergé canadien toujours à la remorque de la pensée de Bossuet. Cela avait également créé un certain froid avec ses amis sulpiciens, ces grands seigneurs qui avaient souvent sollicité ses services notariaux, ce qui avaient grandement favorisé l’acquisition de la seigneurie de la Petite Nation.

Papineau fut élu. De fait, la moitié des membres de la première Chambre était des seigneurs, une situation qui ne pouvait qu’horripiler Solon qui, dans son texte dans la Gazette du 22 mars écrivait que ces derniers avaient « peu d’égards et d’attention à la liberté particulière et à l’indépendance personnelles des individus. » 

À partir de deux visions de penser la vie en société, lesquelles s’étaient largement affrontées entre 1786 à 1790 au parlement de Londres, on était en droit de croire qu’elles avaient traversé l’Atlantique avec la nouvelle constitution et qu’elles seraient l’objet des premiers accrochages aux toutes premières heures de ce premier parlement.

On aurait pu croire en effet que, même s’ils étaient minoritaires en cette assemblée, les marchands anglais nouvellement élus allaient tout de go traiter de l’oppressante place que, selon eux, les seigneurs risquaient encore d’exercer dans cette Province of Quebec au territoire réduit et maintenant désigné comme « Bas-Canada ».  

Cela sera pour une autre occasion, car, en cette fin de décembre 1792, la question identitaire préoccupe davantage les élus anglophones que « the excessive oppression of the lords on the population ».

 

1793, l’année où les masques tombent   

Ce fut par le choix du président de la Chambre que tout débute le 18 décembre 1792.  Jean-Antoine Panet fut élu plutôt que William Grant proposé par James McGill.

Le débat sur la langue reprendra le 21 janvier 1793 et il deviendra acrimonieux suite à la présentation de la motion du député John Richardson proposant en quelque sorte qu’afin de préserver cette unité de langue légale dans l’empire (…), l’anglais sera considéré le texte légal. »  Chartier de Lotbinière lui répliqua que « ce n’est point l’uniformité de langage qui contient et assure la fidélité d’un peuple ».   

Grande similarité entre ce qui se passe aujourd’hui et ce qui se passait déjà en cette période des premiers balbutiements de notre vie démocratique.  Hier comme aujourd’hui, quand il est question de langue au Québec, il y a forte unanimité du vote anglophone. Ce 21 janvier 1793, les onze députés de langue anglaise présents en chambre votèrent tous en faveur de la motion Richardson. Parmi les vingt-huit autres appelés à voter, Pierre-Louis Panet et François de Dambourgès votèrent avec les anglophones. 

Quelques jours plus tôt, ce même Pierre-Louis Panet avait préféré voter pour Grant plutôt que pour son frère dans le choix du président de la Chambre. « Il y a nécessité absolue d’adopter avec le temps la langue anglaise » avait-il invoqué pour justifier son choix. Dans un temps où le français et non l’anglais était la lingua franca dans le monde.

 Rappelons-nous que c’est Lynburner lui-même qui, devant les députés britanniques le 23 mars 1790, avaient admis que la minorité anglaise risquait d’être un jour engloutie si Londres ne révoquait pas l’Acte de Québec et si on divisait le territoire.  En cette année 1790, se manifesta donc pour la première fois dans le monde un nationalisme que, de nos jours certains qualifient d’ethnique, et ce fut le porte-parole des marchands anglais à Londres qui en fut le premier ténor.  Et Richardson comme second, trois ans plus tard.  

Mais revenons à cette journée du 21 janvier 1793, où les élus anglophones de la chambre ont tenté d’imposer l’anglais comme langue des débats.  Ce jour-là, quelque chose de bien plus signifiant s’était passé à Paris. Louis XVI avait en effet été décapité. Un tel geste provoqua la guerre entre l’Angleterre et la France révolutionnaire.  

Si l’événement risquait de bousculer l’échiquier politique en Europe, il risquait également de causer d’énormes soubresauts de ce côté-ci de l’Atlantique.  Il en eut un de très significatif avec l’épisode Mézière-Genêt.

 

Les péripéties du jeune Mézière

Avant de m’intéresser à Mesplet, je n’avais jamais entendu parler d’Henri-Antoine Mézière. C’est donc grâce à ce biographe que j’ai appris l’existence de ce jeune homme âgé d’à peine vingt ans quand, en avril 1793, apprenant l’exécution du roi de France, quitta Montréal pour se rendre à Philadelphie et y souhaiter rencontrer le nouvel ambassadeur français, voulant avec lui élaborer un plan d’invasion du Canada.

Ce n’était que quelques mois plus tôt que la Convention avait nommé Edmond-Charles Genêt en tant que ministre plénipotentiaire « devant convaincre les États-Unis que leurs intérêts étaient de s’unir à la France afin de libérer la Canada et la Nouvelle-Écosse du joug britannique ».   

La population américaine avait accueilli avec enthousiasme le représentant officiel d’une France qui avait tant fait pour que la liberté s’installe en Amérique.  Mais, realpolitik oblige, la ferveur était beaucoup moins grande du côté du président Washington qui tenait à observer une certaine neutralité devant un conflit européen s’amorçant.

C’est avec enthousiasme que Genêt reçoit Mézière. Il l’associe à son projet de reconquête.  Il lui fait lire la lettre aux Canadiens qu’il vient de rédiger.  Mézière dit connaître un certain Jacques Rous capable de distribuer, sans que les autorités aient quelques soupçons, les quelque 350 exemplaires de cet opuscule intitulé : Les Français libres à leurs frères les Canadiens.

L’association Genêt-Mézière ne s’arrête pas là puisque l’ambassadeur l’invite à devenir son second à bord du vaisseau amiral de sa flotte de quelques centaines de voiles devant bientôt libérer le Canada du joug britannique.

Il reste qu’en août 1793, Genêt avait dû se rendre compte que tout n’allait pas aussi bien qu’en début d’été quand la population l’avait ovationné lors du mouillage de sa flotte dans le petit port de Charleston.

 

Rapide déconfiture d’Edmond-Charles Genêt

Il avait d’abord grandement irrité le président Washington en ne se rendant pas immédiatement à Philadelphie afin de lui présenter ses lettres de créances. Autre irritation : l’engagement sur place de mercenaires pour ses futures attaques contre les colonies d’Espagne et de l’Angleterre en Amérique.  Ce faisant, Genêt venait de perdre l’appui de son ami Jefferson qui ne fit rien quand le président réclama de Paris le rappel de son ambassadeur. Ce qui ne put que plaire à un Robespierre venant tout juste de renverser les girondins.

Mais c’est surtout l’intervention de Genêt à Saint-Domingue qui fit que l’invasion du Canada n’eut point lieu. Dans ce qui s’appelle aujourd’hui Haïti, Genêt avait utilisé les marins de sa flotte afin d’aider Sonthonax et Polverel dans leur mandat « de confier la colonie aux gens de couleur. »    

La lutte avait été chaude entre pros et anti-esclavagistes. C’est finalement les deux commissaires qui l’ont emporté contre le gouverneur Galbaud qui dû se constituer prisonnier de Genêt.

Il reste qu’une bonne partie de l’équipage n’avait pas été si favorable à l’idéal des Lumières de leur commandant et aidée par la capacité de persuasion du prisonnier Galbaud, on décida majoritairement de laisser tomber l’invasion du Canada et de mettre plutôt le cap sur Brest. 

Pendant tout ce temps, en terre laurentienne, la rumeur d’invasion n’avait pas été la seule raison qui fit que Dorchester s’en prenne à Mesplet, un Mesplet grandement émoustillé par les persistants et assourdissants bruits de la Révolution française.

 

Un Mesplet frappé de plein fouet par la prise de la Bastille

En page 397, de Lagrave souligne que « l’événement du siècle, la Révolution française, occupa une place prépondérante dans la Gazette de Montréal. De 1788 à 1794, ajoute-t-il, « il n’y a pratiquement aucun numéro qui ne traite de ce qui se passe en France ».

À l’automne 1790, Montréal était inondé de périodiques européens que Mesplet fit circuler. À tel point que Gabriel-Jean Brassier, le nouveau directeur des sulpiciens s’en aie ému à son évêque à Québec. « Les gazettes d’Europe influencent sur l’esprit des citoyens de Montréal » écrit-il à Jean-François Hubert. « Elles prêchent partout la liberté et l’indépendance. »

Mesplet ne semble pas avoir été indifférant à la Société des patriotes qui se crée alors puisque dans la Gazette du 16 décembre 1790, on y relate en détails le banquet d’ouverture inaugurant l’organisme.  

« Après un dîner frugal, pouvait-on lire, les santés suivantes avaient été « levées » : « Au généreux Lafayette! »; « Au patriotique Mirabeau! »; « À l’abolition des abbés! »; « À la destruction des Récollets! »; « À la félicité du peuple! »; « À la Chambre d’assemblée dans cette province! ».

Nous sommes alors en décembre 1790. Un tel discours ne semble pas trop inquiéter Grenville parce que le ministre, comme nous l’avons vu, ne croit pas qu’une France empêtrée dans le désordre puisse aider la colonie comme elle avait tenté de le faire avec Lafayette en 1779. Quant au discours anticlérical qui pointe dans ces « santés », Londres n’avait pas encore perçu que la hiérarchie catholique était sa meilleure alliée pour contenir toute possibilité de révolte parmi les conquis. Tout changera trois ans plus tard.       

 

1793 : l’année de la débandade pour Mesplet

Annus horribilis est en effet 1793 pour le patron de la Gazette et ce n’est pas tant la rumeur qui court voulant qu’une flotte française se prépare à libérer le Bas-Canada du joug britannique. La raison était d’autant suffisante pour le gouverneur Dorchester maintenant qu’il sait que Mézière était journaliste à la Gazette avant de partir rejoindre Genêt à Philadelphie.

En juin, ce n’est pas tant la distribution de la lettre de Genêt qui va nuire le plus à Mesplet. Celle-ci est pourtant suffisamment efficace puisque le document a été souvent appelé « le p’tit catéchisse ». Ce qui choqua plutôt Dorchester fut un article qui au premier abord, semblait quelque peu simplet. 

Le texte indisposa tant le gouverneur pour qu’il en vienne à donner ordre à la poste de ne plus distribuer la Gazette. Le texte incriminé fut publié le 27 juin. Son titre était court : Les origines des gouvernements. Son auteur y établissait un lien entre mensonge, religion et gouvernance. « Dès que les vérités les blessent, pouvait-on lire, ils interposent habilement le voile de la religion entre eux et leurs sujets, ils échauffent les peuples contre la vérité. »  

Enhardi par la Révolution française, Mesplet venait d’aller trop loin dans une année où flottait une rumeur d’invasion par la France des sans-culottes.  

Ce faisant, l’imprimeur avait fortement poussé l’évêque de Québec à user de la même tactique que Briand, son prédécesseur lors de l’invasion américaine. Le 9 novembre, sans un « Circulaire à Messieurs les curés à l’occasion des rumeurs de guerre », Jean-François Hubert écrivait : « Les Canadiens ne sauraient violer leur serment de fidélité au roi d’Angleterre sans se rendre grièvement coupables envers Dieu lui-même. » Traitant de ce qui se passe en France, l’évêque ajouta que « le plus grand malheur qui pût arriver au Canada serait de tomber aux mains de ces révolutionnaires ».

En ce début d’hiver 1793, Mesplet a dû avoir l’impression d’être revenu à la case départ avec un évêque de Québec qui reprend de l’ascendant sur « ses ouailles ». La poste refusant de distribuer son hebdo, il doit donc à nouveau faire preuve de retenu face au pouvoir.

Il décède le 24 janvier 1794, soit dix jours après que ses proches eurent célébrer ses soixante années de vie. Il n’a jamais plus revu le jeune Mézière car celui-ci ne sera autorisé à rentrer au pays que le 3 septembre 1816. Seulement après avoir signé une lettre de repentir.   

Si, en mai 1793, Mézière n’était pas parti rencontrer Genêt à Philadelphie, il aurait peut-être pu faire suffisamment de pression sur son patron pour qu’il ne publie point son texte de ce 27 juin qui a tant déplu à Dorchester. D’autant plus qu’un Mézière resté aurait peut-être empêché l’évêque de Québec de manifester sa fidélité au Conquérant.

Dans un texte de son cru qui avait paru dans la Gazette du 12 mai 1791, Mézière avait bravement affronté son patron, trouvant qu’il s’était un peu trop glorifié d’avoir réussi à diminuer le nombre de fêtes religieuses obligatoirement chômées.

Dans son texte, le jeune journaliste avait écrit que « la religion est une institution sacrée référée chez tous les peuples ». Il alla jusqu’à écrire « qu’il serait plus à propos que la Gazette de Montréal ne renfermât que des sujets étrangers à la religion ».

C’est ce jeune freluquet de moins de vingt ans, sorti du collège Saint-Raphaël, qui ose ainsi relancer son patron. Un jeune homme qui, même si on l’a gavé de thomisme, est tellement gagné à une grande variété de la pensée des Lumières qu’il a décidé d’aller s’enrôler dans la guerre qui sévit entre une Angleterre des têtes couronnées et une France révolutionnaire.

Ce que, au crépuscule de sa vie Mesplet ne sait peut-être pas assez, c’est qu’il a joué un rôle majeur dans la formation de centaines de Mézière un peu partout en sol laurentien.

Et ce qui est proprement paradoxal ici c’est   justement grâce aux structures éducationnelles que ses ennemis de toujours, les évêques de Québec Briand et Hubert, ont mis en place qu’il a réussi ce grand exploit de propager la philosophie des Lumières partout en sol laurentien. En cela, c’est le libraire en lui qui a gagné plutôt que l’imprimeur et éditeur de la Gazette.

 

La victoire du libraire sur l’imprimeur-éditeur de La Gazette de Montréal  

L’explication de ce renversement s’explique par la crainte de Londres de toujours sentir une trop grande influence de Rome sur les nouveaux sujets que sont devenus les Canadiens. Ce n’est pas pour rien qu’avant même que l’encre ne fut encore sèche sur le Traité de Paris, la Proclamation royale dictait déjà ses directives pour la nouvelle colonie.

Dorénavant, toute personne voulant exercer une fonction administrative dans la province devait apostasier sa foi catholique. Mais il arriva que deux gouverneurs successifs aient vite compris que cela rendait presqu’impraticable la gestion de la vie publique. Dès 1770, Carleton avait pressé Londres d’agir, compte tenu du danger que faisait courir le bouillonnement des idées révolutionnaires dans les anciennes colonies du Sud.

En juin 1774, l’Acte de Québec entra donc en vigueur. La société laurentienne était ainsi devenue plus gérable mais, Londres se rendit vite compte que Rome conservait encore beaucoup trop d’influence sur les Canadiens, ce qui nuisait à l’objectif de leur anglicanisation progressive. La seule solution alors envisagée a été d’interdire toute arrivée de prêtres provenant de France. 

On peut croire que, afin de neutraliser une telle politique, l’évêque Briand accentua la formation de candidats à la prêtrise dans les collèges existants. Avec projet d’en créer d’autres dans les villes ayant suffisamment de population pour aller de l’avant.

L’évêque se devait cependant de tenir compte que ces « manufactures de prêtres » étaient également fréquentées par des fils de notables et de petits négociants et que ces jeunes adolescents entreprenaient leur cours classique avec l’espoir qu’un jour ils prendront la relève d’un père notaire, avocat. Ou bien médecin.

L’évêque de Québec prit alors sur lui d’inviter ses curés à ce que, dans leur prêche du dimanche, ils traitent des « vocations ». Si furent courants une si forte incitation dans ma prime jeunesse alors que l’Église québécoise était triomphante, il est certain que les Briand et Hubert ne se gênèrent aucunement de procéder ainsi suite à l’interdiction formelle de recruter des prêtres en France.  

À cette époque, tout curé se devait de détecter, parmi les jeunes fidèles d’origine modeste, celui qui avait une grande propension à la dévotion.  Le pasteur se faisait alors un point d’honneur de faire des pressions sur les parents afin qu’ils laissent leur rejeton fréquenter l’école.  

Comme ce fut une pratique qui est restée assez courante dans le Québec d’avant la Révolution tranquille, certains curés ont, durant cette douloureuse époque, pris l’habitude de se priver d’une partie de leurs émoluments afin de défrayer les dépenses du collège classique pour un jeune homme dont ils avaient choisi d’aider, espérant qu’à la fin de philo 2, leur protégé fasse un saut vers le grand séminaire.

Ce que, ni Briand ni Hubert n’avaient prévu, c’est que le loup était déjà dans la bergerie. Et qu’il s’appelait Fleury Mesplet.

Il faut bien voir que bien avant même le Traité de Versailles, les personnes et les marchandises circulaient aisément entre les anciennes colonies britanniques et la nouvelle.  Furent là pour le prouver la vitesse avec laquelle les trois lettres des dirigeants rebelles se sont propagées avant et pendant l’invasion américaine de 1775.

Mais il n’y eut point uniquement ces trois lettres et la Proclamation D’Estaing qui, grâce à des négociants ont atterri en un terrain fertile durant la guerre d’indépendance américaine, il y eut également une entrée imposante de livres écrits par des hommes comme Jean-Jacques Rousseau, Voltaire et Diderot, mais également par bien d’autres philosophes des Lumières tels l’Anglais Thomas Paine ou l’Italien Cesare Beccaria. 

 Si, à la fin de sa vie, Mesplet a peut-être vécu un sentiment d’échec face à la décision des postes de ne plus distribuer sa Gazette, il reste que c’est le libraire en lui qui fit que ces innombrables œuvres firent irruption dans les maisons de notables et qu’au grand désarroi de certain profs tentant de n’abreuver leurs étudiants que de littérature thomiste, ces livres ont été avidement lus par les fils fréquentant les cours classiques. Et qu’ils les ont ensuite souvent prêtés à leurs camarades moins fortunés. 

 Mesplet a ainsi ouvert la voie à d’excellents rhéteurs qui ont essaimé les quelques quarante années de vie parlementaire qu’a duré l’expérience patriote dans le Bas-Canada.

Avec eux, a bien passé prêt de se réaliser, le rêve de Mesplet de voir enfin percer en son plus bel éclat la démocratie en terre laurentienne.  Cela a floppé parce que la minorité anglaise montréalaise a tout fait pour que cet objectif ne soit jamais atteint. Violence et provocations sont d’abord venus d’organisations paramilitaires, comme le Doric Club d’Adam Thom, afin qu’échoue toute tentative de dialogue. Avec chaque fois, la complicité tacite de ceux qui, avec les années, sont devenus les propriétaires de la Gazette of Montreal.  

 

Le rêve brisé de Mesplet   

Si Dieu me prête vie, ce sera dans le quatrième de cette série de textes coiffés du titre Les quelque occasion ratées de notre décolonisation que j’analyserai les événements qui nous ont mené à la catastrophe des années 1837 à 1840.

Qu’il me suffise ici de rapidement signaler ici comment nos élus de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada ont été coriaces dans leurs efforts pour plus de démocratie en sol laurentien.

Comme au temps de l’invasion américaine, ces élus d’antan avaient réussi à convaincre le p’tit peuple des « non-instruits » de la véracité de leurs arguments. Une véritable démocratie était en marche. Nombreux ont été les gouverneurs généraux qui ont dissout la Chambre pour en appeler au peuple, nombreuses ont été leurs défaites car les mêmes députés se faisaient aisément réélire.

On ne sait pas suffisamment qu’en plus des énormes talents de poète qu’il possédait, Henri-Antoine Mézière avait été secrétaire d’un groupe de discussion formé à majorité d’Écossais presbytériens.

 

La guerre d’indépendance américaine a effectivement joué un grand apport sur notre destin collectif

 Et Fleury Mesplet y a joué un grand rôle. Cet homme était avant tout voltairien. Selon lui, tous les retards de notre peuple à s’engager vers la philosophie des Lumières étaient dûs à la trop grande influence de l’Église catholique sur lui.

Son combat, à travers les deux Gazettes qu’il a fondées, lui valurent plus de rétorsions que d’autres choses de la part d’un gouverneur chaque fois appuyé par un évêque de Québec exhortant ses fidèles à rester fidèles au roi d’Angleterre.   

Suite au second hebdo que Mesplet a fondé en août 1785, les alliés « progressistes » avec qui il a combattu, les Powys, Courtenay, Fox et autres Lymbernur, furent moins portés à faire progresser la philosophie des Lumières en terre laurentienne qu’à souhaiter une rapide dissolution d’une société à leur avis trop empreinte de civilité française en ce chasse-gardé anglo-saxon qu’à leurs yeux se devait de devenir l’Amérique du Nord. 

Avec la défaite des Patriotes, ces « progressistes » avaient bien pensé qu’avec l’union du Haut et du Bas-Canada en 1840, puis du pacte fédératif de 1867, ils allaient y parvenir.

Leur grand espoir reposait sur le fait que Londres avaient enfin compris que les évêques étaient leurs meilleurs alliés afin de maintenir le peuple canadien sous l’égide du pouvoir britannique.  Delà, les vannes qui étaient maintenant grandes ouvertes à l’arrivée de prêtres dans cette maintenant très souhaitée priest ridden society.  

De nombreuses communautés religieuses, chassées de France par la montée du républicanisme et de la laïcité, se sont alors engouffrées en terre laurentienne. Paradoxalement, c’est elles qui ont sauvé nos écoles en pleine décrépitude à cause de l’iniquité qu’apportait la répartition des revenus provenant des taxes entre commissions scolaires catholiques et protestantes.

Tout autant que la Guerre d’indépendance américaine, la Révolution française a donc, par la bande cette fois, joué un rôle majeur dans notre destin collectif.

Et la chatte Mesplet en perdrait aujourd’hui ses petits si elle apprenait que ce furent grâce à de nombreux religieux et des laïcs épris de la philosophie personnaliste issu d’un catholicisme progressiste qu’au milieu du siècle dernier, la Révolution tranquille s’est amorcée au Québec. 

Et un Mesplet revenant à la vie serait outré d’apprendre que le journal qu’il a fondé ressente une certaine gêne à user du mot « patriote ». Et de l’expression « fils de la liberté ».

L’histoire fait quelques fois de ces détours! Nous en reparlerons.