Visage découvert plutôt que tête découverte

2018/03/13 | Par Collectif

Nous vous écrivons parce qu’il nous est difficile de détecter la cohérence des députés de l’Assemblée nationale, tous partis confondus, à propos de la décision récente du Directeur général des élections du Québec (DGEQ) de changer les exigences d’authentification pour la photo de mise en candidature aux fins d’une élection. En 2013, lors des audiences sur le projet de loi 60, les députés de toute allégeance expliquaient qu’il fallait leur laisser le soin de trancher sur la question du port de signes religieux par les élus, députés et ministres. On nous expliquait qu’il appartiendrait au Bureau de l’Assemblée nationale de statuer sur cette question, le ministre responsable du gouvernement du Parti québécois se disant alors en faveur de l’interdiction de ces signes. Où logent maintenant les différents partis de l’Assemblée nationale? Nous sommes préoccupés. 

Le 20 février dernier, le DGEQ a annoncé en commission parlementaire qu’il avait annulé dans la réglementation électorale l’obligation de fournir une photographie à « tête découverte » dans le Règlement sur la déclaration de candidature, comme stipulé depuis 1989. Désormais, on n’exigera que l’obligation d’avoir « le visage découvert ». La nouvelle mesure, s’inspirant de la loi 62, interdit le seul voile intégral (le niqab ou la burqa en l’occurrence), mais autorise en retour le port de signes religieux tels que le hijab, le turban sikh ou la kippa juive. On est pourtant ici dans un processus formel du système électoral. Une mise en candidature dans une élection n’est pas une promenade dans un parc! Selon nous, cette nouvelle directive mine, d’un trait de plume, le long cheminement vers la laïcité de l’État et des institutions politiques au Québec, dont son système électoral et sa gouvernance.

Nous nous adressons à vous, députés(es) de l’Assemblée nationale, puisque aucune et aucun d’entre vous ne s’est offusqué ni opposé à cette modification. Nous sommes étonnés, consternés et extrêmement déçus que vous cédiez devant les réclamations de certaines franges religieuses intégristes. Car c’est bien de ça qu'il s’agit. Le port de signes religieux ostentatoires n’est pas en soi la manifestation d’une plus grande piété ni d’un plus grand recueillement. Il est l’expression d’un prosélytisme social et politique et agit comme de véritables panneaux publicitaires. Ce sont d’ailleurs les mouvances intégristes de différentes religions qui se positionnent à l’avant-poste de demandes incessantes d’accommodements religieux dans les organismes publics et qui sapent, par le fait même, le principe d’universalité dans l’exercice des droits et responsabilités citoyennes. Ces mêmes mouvements, en réclamant le droit des agents de l'État d’arborer des signes religieux ostentatoires, heurtent la liberté de conscience des citoyens qui se font imposer ces marqueurs idéologiques.

Cette décision du DGEQ est tout à fait contraire à celle prise à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 2011 interdisant aux sikhs d’entrer dans l’enceinte de l’Assemblée nationale en arborant leur kirpan, décision prise au nom de la sécurité, mais aussi pour le maintien du caractère de neutralité de l’État. Elle fut d’abord avalisée par la Cour supérieure en 2015 et subséquemment par la Cour d’appel du Québec, le 19 février dernier. Aujourd’hui, votre acceptation sans mot dire de la décision du DGEQ équivaut à une autorisation du port de signes religieux par des députés et ministres au Québec. Elle est contraire à la préservation du caractère laïque de l’État. Une fois le hijab, le turban ou la kippa autorisés sur une photo de candidature, comment pourrait-on ensuite interdire à quiconque, une fois élu, d’afficher ses signes religieux, même une grosse croix catholique? Comment le gouvernement pourra-t-il, dans le processus officiel de sélection des immigrants, continuer à faire signer par les nouveaux arrivants la Déclaration sur les valeurs communes qui les somme de reconnaître que « l’État et les institutions sont laïques », alors même que les députés ne sont pas capables de protéger le caractère laïque de l’Assemblée nationale? Comment se fait-il qu’il n’y ait eu aucun débat sérieux sur ce changement dans le Règlement de déclaration de candidature, en apparence anodin, mais fondamental par essence?

Le multiculturalisme, vecteur de l’incursion de pratiques et de signes religieux dans les institutions publiques, est néfaste pour la démocratie, l’intégration des immigrants, ainsi que l’égalité entre les hommes et les femmes. Le hijab reste un symbole de ségrégation envers les femmes, tout comme le niqab et la burqa. Ce qui distingue ces voiles, c’est la longueur du tissu et leur degré d’envahissement de la dignité des femmes. La présence du hijab parmi les députés-es d’une assemblée nationale qui se veut laïque n’est pas souhaitable. Pas plus que le crucifix juché en haut de la chaise du président.

L’interculturalisme québécois se métamorphose immanquablement en une forme hybride du multiculturalisme s’il n’est pas rattaché à une ferme laïcité. Une diversité saine et enrichissante ne sera possible que dans le respect d’une laïcité.

Nous, signataires, demandons donc que la question du port de signes religieux par les députés de l’Assemblée nationale soit l’objet d’un débat en commission parlementaire, avec tenue d'audiences publiques. Nous refusons que ce litige soit tranché par le seul Bureau de l’Assemblée nationale, lui-même soumis aux aléas de la lutte partisane et des alternances de gouvernement. Nous demandons qu’un considérant soit ajouté à la Loi sur l’Assemblée nationale, dans son préambule, spécifiant que celle-ci est une assemblée laïque dénuée de tous signes ou symboles religieux, et que la section traitant de la déclaration de candidature stipule l’obligation de fournir une photographie « à tête découverte ». 

 

Signataires :

André Lamoureux, politologue-UQAM, Rassemblement pour la laïcité
Nadia El Mabrouk, professeure, Université de Montréal
Djemila Benhabib, Prix international de la laïcité 2012
Diane Guilbault, présidente, Pour les droits des femmes du Québec (PDFQ)
Leila Lesbet, Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité (AQNAL)
Michèle Sirois, anthropologue, conseillère PDF Québec
Zahra Boukersi, enseignante
Yves Laframboise et Francine Lavoie, Laïcité capitale nationale
Lise Boivin, coordonnatrice, Collectif Laïcité de Québec solidaire
Léon Ouaknine, essayiste
Jacques Beauchemin, professeur émérite / sociologie, UQAM
David Rand, président, Libres penseurs athées
Simon-Pierre Savard-Tremblay, essayiste
Ali Kaidi, membre fondateur d’AQNAL
Ferid Chikhi, membre fondateur d’AQNAL
Leila Bensalem, enseignante
Jean-Paul Lahaie, Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ-L)
René Tinawi, professeur émérite, Polytechnique Montréal
Mohand Abdelli, ingénieur à la retraite,
Dr Andrée Yanacopoulo, membre de PDF Québec