La vraie nature du docteur Couillard

2018/03/14 | Par Jacques B. Gélinas

Dans la crise que traverse le système de santé – crise exacerbée par l’avarice d’une majorité de médecins –, on s’en prend non sans raison au ministre de la Santé, le docteur Gaétan Barrette. Mais pour comprendre le fin fond de l’affaire, il faut remonter au sommet : le Premier ministre. C’est lui le patron. À cet égard, il importe de se rappeler le mot de Jean Cournoyer, ancien ministre de Robert Bourassa : dans notre système de gouvernement britannique, il n’y a qu’un seul ministre, c’est le premier.

Pour comprendre les orientations politiques de Philippe Couillard, regardons ce qu’il a fait et ce qu’il fait et non pas ce qu’il dit. Vue d’ensemble sur son parcours :

 

Un surdoué

Philippe Couillard naît en 1957, dans un milieu favorisé. Son éducation suivra la voie réservée aux fils de bonne famille : études dans un établissement privé, prestigieux et catholique. Garçon surdoué, il s’inscrit à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal à l’âge de 16 ans. Docteur en médecine à 22 ans. Diplômé en neurochirurgie en 1985.

De 1985 à 1992, il exerce sa profession à l’hôpital Sant-Luc. En 1989, il devient chef du Service de neurochirurgie de cet établissement, en même temps qu’il enseigne à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.

 

Philippe d’Arabie (1992-1996)

En 1992, le Dr Couillard bifurque. À 35 ans, au sommet de son art, il part pour l’Arabie Saoudite. Il y fonde et dirige le Service de neurochirurgie au Centre médical de la pétrolière Saudi Aramco, une société d’État. Combien gagne-t-il ? Impossible de le savoir, précisément parce que c’est considérable. Sûrement plus d’un demi million annuellement. Sans compter les avantages sociaux : frais de représentation, chauffeurs et serviteurs mis à la disposition du docteur et de sa famille. Il avoue y avoir épargné un petit 600 000 dollars. Des journalistes fouineurs ont découvert qu’il avait placé ce magot dans l’île de Jersey, un paradis fiscal.

 

Neurochirurgien et professeur (1996-2002)

En 1996, il revient au pays. On le retrouve chef du département de neurochirurgie de Centre hospitalier universitaire de l’Université de Sherbrooke et professeur à la Faculté de médecine de la même université.

À cette époque, il se déclare haut et fort en faveur d’un système de santé public.

 

Ministre de la Santé et des Services sociaux (2003-2008)

En 2003, à l’invitation du premier ministre Jean Charest, il se lance en politique, avec l’assurance de se voir attribuer le poste de ministre de la Santé. Les soins de santé constituent l’enjeu principal de la campagne électorale. Le docteur promet des réformes en profondeur dans tout le réseau.

Aussitôt nommé ministre de la Santé et des Services sociaux, il engage une profonde réorganisation du système de santé. Fusions et regroupements réduisent de 43% le nombre d’établissements publics et de 39% le nombre de postes de directeur général. Objectif déclaré : diminuer les coûts et la bureaucratie.

Il donne le coup d’envoi pour la construction de deux méga-hôpitaux en mode partenariat public-privé : le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et le Centre universitaire de l’Université McGill (CUSM).

Il négocie avec le Dr Barrette, alors président de l’Association des médecins spécialistes, une augmentation faramineuse de la rémunération des médecins spécialistes. Il fallait rattraper le niveau de rémunération ailleurs au pays, particulièrement en Ontario. Or, malgré les sommes investies en salaires et bonus, on ne constate aucune amélioration dans le fonctionnement du réseau à la fin du premier mandat du Dr Couillard comme ministre de la Santé.

Le 20 mars 2007, il est réélu député, mais le gouvernement du PLQ, sort minoritaire de cette élection. On spécule sur la démission possible de Jean Charest. Couillard avoue avoir pensé secrètement à le remplacer. Mais Charest s’accroche. C’est alors que le docteur, qui vient d’être reconduit comme ministre de la Santé, va commencer à loucher vers autre chose.

 

Partenaire d’un fonds d’investissements en médecine privée (2008-2013)

Le 25 juin 2008, le ministre remet abruptement sa démission. Motif : un pressant besoin de relever de nouveaux défis. Il déclare ne pas avoir de nouvel emploi. Mensonge! Il a déjà en poche un contrat négocié et signé avec une compagnie spécialisée dans les services privés en soins de santé : Persistence Capital Partners (PCP). De fait, il avait commencé, dès le mois de mai 2008, à se chercher un emploi dans ce domaine. Il entre au service de PCP le 18 août, comme partenaire et conseiller stratégique de la compagnie. Il ne voit aucun problème «à mettre ses connaissances au service de ses partenaires du fonds». (Le Devoir, le 19 août 2008)

Âpre au gain, il empoche sans vergogne «l’indemnisation de transition» destinée à aider un député qui quitte la vie politique à se trouver un emploi… que lui a déjà trouvé.

Ne reculant devant aucun conflit d’intérêts, il modifie, une semaine avant sa démission, soit le 18 juin, un règlement autorisant la réalisation par le secteur privé d’une cinquantaine de chirurgies, en plus des trois – genoux, hanches, cataractes – déjà autorisées.

En décembre 2008, à sa première sortie publique depuis son départ du ministère, le docteur Couillard livre, devant une assemblée d’assureurs réunis à Montréal, un vibrant plaidoyer en faveur du privé en santé. «Il n’y a rien de scandaleux à ce qu’on fasse des profits dans le secteur de la santé», martèle-t-il.  (La Presse, le 10 décembre 2008)

 

Un incroyable cumul de postes très lucratifs

Son emploi comme conseiller stratégique de PCP, lui laisse apparemment beaucoup de temps libre pour vaquer à d’autres occupations non moins lucratives :

- en janvier 2009, l’Université McGill l’embauche, à raison de deux jours/semaine, comme chercheur principal en droit de la santé et professeur en gouvernance des systèmes de santé ;

- en 2009, le ministre de la Santé d’Arabie saoudite le nomme membre du Conseil consultatif international qu’il a créé; en cette qualité, l’ancien ministre québécois se rend en Arabie quelques fois par année pour y prodiguer ses conseils et percevoir ses émoluments ;

- en 2010, il crée une entreprise de consultants avec le Dr Arthur Porter, ancien pdg du CUSM qui, dans l’octroi d’un contrat de 1,3 milliard de dollars en a détourné quelque 500 000 à son profit ; l’escroc sera accusé de fraude et détournement de fonds publics.

- le 24 juin 2010, lorsque le Dr Porter est nommé président du Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité (CSARS) du Canada, il amène avec lui le Dr Couillard qui siégera à ses côtés au sein du même comité ;

- de 2011 à 2012, il est conseiller stratégique en santé et sciences de la vie chez Secor, une firme spécialisée en gestion d’entreprises ;

- autres fonctions : membre du CA de deux sociétés canadiennes de biotechnologie, Amorfix Life Sciences et Thallion Pharmaceuticals ; président du CA de la Fondation de recherche en santé des compagnies de recherche pharmaceutique du Canada ; membre du CA du Comité des affaires publiques et politiques de la santé du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada.

Tout cela lui rapporte beaucoup d’argent, d’informations, de prestige et de pouvoir.

 

Un premier ministre qui s’occupe des vraies affaires (2014-2018)

Le 4 septembre 2012, défaite du gouvernement de Jean Charest. Celui-ci démissionne sur-le-champ. Attiré par l’odeur du pouvoir, Couillard revient en politique. Cette fois, c’est pour le poste de Premier ministre.

Pendant la campagne électorale, le candidat Couillard réussit à faire oublier son passé tortueux : placements dans un paradis fiscal, affaire Porter, conflits d’intérêt, éloge du privé en soins de santé et le reste.

Il remporte l’élection du 7 avril 2014 en brandissant le slogan : ENSEMBLE ON S’OCCUPE DES VRAIES AFFAIRES. Un slogan axé sur l’économie, mais paravent d’un agenda caché. Bon nombre d’électrices et électeurs ont cru que les vraies affaires, c’était bien sûr l’économie, mais aussi l’environnement, le climat, les droits des femmes, la santé publique, l’éducation, le développement des régions et autre questions brûlantes.

Détrompez-vous. Quelques mois après son accession au pouvoir, Philippe Couillard réunit les hauts fonctionnaires de son gouvernement et les patrons des grandes sociétés d’État pour leur indiquer quelles sont les vraies affaires. Le nouveau Premier ministre vient de lire un livre inspirant qui résume sa pensée sur ce point : The Forth Revolution – The Global Race to reinvent the State. Un livre «que vous devriez tous lire», insiste-t-il. Que dit ce bouquin ? Il reprend la vieille rengaine néolibérale, à savoir que l’État moderne est trop gros, trop dépensier, trop socialisant. Il faut le réinventer, c’est-à-dire le rapetisser, pour laisser place au secteur privé, plus efficace et plus rationnel. Bref, les vraies affaires, c’est la création de conditions optimales permettant aux entreprises privées de générer un maximum de profits.

La quatrième révolution, c’est en fait la révolution néolibérale lancée par le tandem Thatcher-Reagan, au début des années 1980. Une révolution jugée inachevée. Philippe Couillard propose de la pousser à ses extrêmes limites. Concrètement, il faudra amputer le budget de plus de 4 milliards de dollars, en effectuant des coupes dans tous les domaines. Donc l’austérité tous azimuts.

Ainsi, le gouvernement Couillard fonce droit vers son vrai but : la démantèlement de l’État social. La révolution Couillard se révèle en fait une contre-révolution qui consiste à renverser une fois pour toutes l’esprit et les institutions de la Révolution tranquille. Au cœur de cet héritage : un réseau de santé public, un système d’éducation pour tous, le développement des régions, la démocratisation des institutions politiques.

Le Dr Barrette, ministre de la Santé et des Services sociaux, va se charger de la privatisation en douce du système de santé. «Le concept initial des CLSC, n’a pas réussi, ça été un échec», décrète le ministre (Le Devoir, le 4 mars 2016). Il va donc les supplanter subrepticement en créant un réseau de super-cliniques privées. Il instaure l’hospitalo-centrisme, au détriment de la première ligne. L’autocrate ministre abolit le poste de Commissaire à la santé et au bien-être. Les rémunérations obscènes consenties aux médecins «malades de l’argent» vont gruger le budget du ministère. Il ne reste que les miettes pour les infirmières à bout de souffle, mal payées et surchargées. Des miettes aussi pour les autres intervenants dans le réseau de la santé. Les cadres qui n’ont pas été congédiés dépriment, démotivés par la désorganisation du réseau.

En éducation, c’est la famine. Les écoles publiques tombent en ruine. Le réseau des garderies se privatise au détriment des Centres de la petite enfance (CPE).

Le même gouvernement néolibéral s’attaque aux institutions qui permettent un certain développement régional : disparition des Conférences régionales des élus (CRÉ) ; fin du financement de Solidarité rurale ; coupes dans le programme Accés-Logis ; financement à la baisse des Centre locaux de développement (CLD), des corporations de développement économique communautaire (CDEC) et des tables régionales de développement social. Les Carrefours jeunesse-emploi se voient réduits à la sous-traitance.

 

«Tu penses que je m’en aperçois pas»

2018 : élection à l’horizon. Aujourd’hui, croyant faire oublier les dégâts qu’il a causés en trois ans d’austérité néolibérale, le gouvernement Couillard se reprend et fait pleuvoir des sous sur le réseau de la santé, sur les écoles, sur les centres pour femmes victimes de violences, sur les Centres de la petite enfance et un peu partout.

Aujourd’hui, comme le Ti-cul Lachance de Gilles Vigneault, on découvre dans le parcours sinueux de notre Premier ministre les deux faces de Philippe Couillard. L’une révèle «un homme calme et idéaliste[1]», le bon père de famille placide et compatissant. L’autre laisse voir le docteur âpre au gain, doublé d’un fervent idéologue néolibéral et d’un politicien implacablement voué à la destruction de l’État social et des institutions de la Révolution tranquille.

Peut-être qu’à l’automne, les Ti-cul Lachance et autres défavorisés du système Couillard n’auront pas oublié les fourberies de Philippe :

Dans tes menteries télévisées
Des fois tu oublies de te déguiser
Pis on voit tes deux faces
Tu vends mon chemin, tu vends mon pas
Tu vends mon temps pis mon espace
Tu penses que je m’en aperçois pas
.

Jacquesbgelinas.com

 

[1] Alec Castonguay, Philippe Couillard : La naissance d’un chef, Les Éditions Rogers Ltée, 2014, p. 9. Les aveux de Couillard sur  le 600 000 dollars placés dans un paradis fiscal se trouvent aussi dans cet ouvrage «à la limite de la complaisance» (dixit le critique littéraire Louis Cornellier).