Le colonialisme est-il de retour en République démocratique du Congo?

2018/04/16 | Par Michel Gourd

Lors d’une conférence à Genève le 13 avril dernier, plusieurs pays où se situent des sièges sociaux de grosses compagnies minières œuvrant dans la République démocratique du Congo ont décidé d’aider sa population en passant par-dessus la tête de son gouvernement.

L’Union européenne, les Pays-Bas et l'ONU ont organisé le vendredi 13 avril une conférence des donateurs pour la République démocratique du Congo (RDC) avec un objectif de plus de 1,5 milliard de dollars pour, soi-disant, venir en aide à sa population. Parmi les contributions promises, l'Union européenne s’est engagée à fournir 77 millions d’euros, la Belgique 25 millions et la Suisse 12,5 millions de francs. Le gros problème avec cette conférence est que le gouvernement du pays qui était le premier concerné, soit le Congo, a refusé d'y participer. Selon lui, les affirmations qui ont été faites à cette conférence sont une grossière exagération de ce qui se passe dans la réalité. Il accuse même les organisateurs de cette conférence de donner une mauvaise image de son pays qui allait chasser les investisseurs.

Cette situation est d’autant plus problématique que le Congo vient de passer une réforme de son code minier qui fait trembler les compagnies internationales dont plusieurs ont des sièges sociaux dans les pays qui étaient à cette conférence. La nouvelle réforme minière augmente de 2 % à 3,5 % les redevances payées par les opérateurs du secteur extractif pour les minerais qui ne sont pas stratégiques et jusqu’à 10 % pour ceux qui le sont.

Comme ce pays fournit plus de la moitié de la production mondiale de cobalt, ce minerai devrait être avec le coltan et possiblement d’autres terres rares, mis dans la catégorie stratégique. La raison de cette réforme est qu’actuellement le Congo ne retire pas grand-chose de l’augmentation de 13 % des cours de l'or en 2017 et encore moins de celles d’autres métaux qui ont bondi de 13,3 % pour le cuivre, de 59 % pour le coltan et de 127 % pour le cobalt. Or, même avec ces hausses, les prix payés en RDC pour l’extraction des minéraux devraient rester parmi les plus bas au monde. Il est question ici de milliards de dollars qui quittent le Congo au lieu de servir à son développement économique.

Le patron de la société nationale minière la Gécamines, Albert Yuma, prépare de plus d’autres réformes pour le second semestre 2018. Il vise des concessions minières qui ont été cédées à vil prix à des compagnies étrangères qui exportent leurs profits plutôt que de les réinvestir en Afrique. Chose encore plus dérangeante pour les grandes minières internationales, cette réforme est regardée de près par d’autres pays africains dont elles exploitent les ressources. La Tanzanie réclame donc 190 milliards de dollars à l’entreprise Acacia Mining et la Zambie veut 8,07 milliards de dollars en taxes impayées de la compagnie First Quantum Minerals. Face à cette situation, les responsables des groupes miniers les plus puissants du Congo ont tenté le 7 mars de convaincre Joseph Kabila de faire baisser les redevances exigées dans le nouveau Code minier. Il y avait dans ce groupe la Canadienne Ivanhoe associée au Congo avec la compagnie chinoise Zijin, AngloGold Ashanti d’Afrique du Sud, Glencore de Suisse, Randgold de Jersey une dépendance de la Couronne britannique et China Molybdenum.

Il y a en fait une quantité impressionnante de compagnies minières européenne et canadienne qui sont actuellement actives au Congo. Des minières comme Tenke Mining Corp et Consolidated Trillion Resources Ltd basées à Vancouver, American Mineral Fields de la Colombie-Britannique, Banro Resource Corporation et Barrick Gold Corporation de Toronto, Ashanti Goldfields cotée à la Bourse de Toronto, Melkior Resource Inc basée à Ottawa, Ivanhoe de Montréal et de nombreuses autres sont, ou y ont été, des joueurs importants au fil des dernières décennies.

Peut-on lier ce fait au passage au Canada en début avril d’une délégation de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO)? Elle était conduite par l’archevêque de Kisangani et son vice-président, Monseigneur Marcel Utembi et Monseigneur Fridolin Ambongo. Il faut savoir que l'Église catholique qui s’est imposée au Congo au XVI siècle avec les conquérants européens est resté une force au pays. Elle continue à y appuyer les minières descendantes des compagnies à charte qui étaient des sociétés privées qui prélevaient des impôts et détenaient des concessions minières. Les évêques catholiques jouent en fait un rôle politique important au Congo. C’est donc avec un certain cynisme que l’on peut maintenant entendre le CENCO et sa commission Justice et paix dénoncer le pillage des ressources naturelles et en mettre la faute sur le gouvernement actuel. Ce pillage a en fait commencé au moment même de l’arrivée des premiers missionnaires au Congo. C’est le présent gouvernement du Congo qu’ils dénoncent qui tente actuellement de le faire cesser ou du moins d’en diminuer l’intensité.

Nous voyons donc maintenant des gouvernements de pays qui sont habitués d’avoir comme amis les dictateurs les plus sanguinaires, dénoncer sur la place publique le président Kabila, comparer la situation au Congo à celle de la Syrie ou du Yémen, ce qui est fortement exagéré, et y injecter de l’argent en passant par-dessus la tête de son gouvernement. Peut-on y voir un retour à une forme de colonialisme qui serait, au mieux, condescendant?

Photo : dw.com