Phénix : Un fiasco financier, mais surtout un fiasco humain

2018/04/18 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée fédérale, membre du Groupe parlementaire québécois

J’aime beaucoup recevoir des citoyennes et des citoyens dans mon bureau de circonscription. Ils me permettent souvent de mieux connaître les enjeux auxquels ils sont confrontés quotidiennement. Il va sans dire que nous recevons beaucoup de membres de la fonction publique canadienne, qui peinent à subvenir à leurs besoins à cause du système Phénix et qui ne savent plus où donner de la tête. Pendant que, dans sa tour d’ivoire, M. Trudeau affirme que tout est réglé, j’entends que certains fonctionnaires ont même envisagé de s’enlever la vie. On parle ici d’honnêtes travailleurs pour lesquels il faut mettre rapidement en place des solutions.

Le système de paye Phénix, lancé en mars 2010, devait au départ coûter 309 millions aux contribuables. Les coûts s'élèvent maintenant à 1,192 milliard de dollars ! Un véritable gâchis ! À titre de députés, toutes circonscriptions confondues, nous nous faisons régulièrement interpeller à propos de ce système de rémunération et de ses graves répercussions sur la vie des fonctionnaires fédéraux. Ainsi, le 11 avril dernier, un sondage réalisé pour le compte de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) nous apprenait que les ratés du système de paye ont touché directement 82 % des 313 734 employés de l’État canadien.

Avant l’implantation de Phénix, les ministères s’occupaient eux-mêmes de la rémunération de leurs employés, ce qui incluait les avantages sociaux, les pensions, les accidents du travail, les congés de maternité, etc. En 2010, le gouvernement Harper a décidé de concentrer l’ensemble du traitement de la paye à Miramichi au Nouveau-Brunswick. Première conséquence de cette centralisation, la perte de 1 650 emplois. Des 2 000 personnes, qui travaillaient au service de la paye à travers le Canada afin de rémunérer les 300 000 employés de la fonction publique réparties dans 100 ministères et organismes fédéraux, nous sommes passés à 350 fonctionnaires à Miramichi. De plus, ces employés n’ont visiblement pas eu la formation et le soutien nécessaires pour se familiariser avec le nouveau système de paye et la prise en charge d’une centaine de conventions collectives.

En 2016, malgré les nombreuses mises en garde de l’AFPC, à la ministre fédérale de l’époque, Mme Judy Foote, de ne pas précipiter la mise en place de la phase 2 du système Phénix avant d’avoir corrigé les problèmes existants, les libéraux de Justin Trudeau ont décidé d’aller de l’avant avec le déploiement complet du système créé par IBM. L’AFPC dénonçait également le manque de transparence du gouvernement Trudeau dans ce dossier. Les libéraux ont prétendu que tout était réglé ou encore que la responsabilité des difficultés incombait au gouvernement précédent. Comme à l’habitude, lorsqu’un syndicat sonne l’alerte, l’employeur ignore ses cris d’alarme.

Tout est réglé ! Ah oui !

  • Lors du renouvellement d’une convention collective de 2 400 personnes, Phénix a surchauffé;
  • Le système est incapable de suivre chaque rentrée ou sortie d’une personne retraitée :
  • Les employés de Miramichi dénoncent leurs conditions de travail. Par exemple, on leur demande de fermer 100 cas par jour, alors que normalement un employé en fermait trois. Donc, les employés sont jugés sur leur performance et non pas sur la qualité du travail accompli;
  • Il est impossible de suivre un talon de paye : il n’y a pas de dates;
  • Les francophones sont moins bien servis parce que le système ne permet pas d’identifier les employés parlant cette langue;
  • Les employés saisonniers sont payés très tard. Par exemple, les étudiants engagés en avril 2016 ont été payés en octobre 2016;
  • Des employés sont payés en trop, alors que d’autres ne sont pas payés. En 2017, au moins 27 fonctionnaires fédéraux disaient avoir reçu plus de 50 000 $ par erreur. Un ex-chercheur avait même reçu une somme de 662 777 $, à laquelle il n'avait pas droit. Qui plus est, 600 directeurs, avocats-conseils, gestionnaires, chercheurs et ex-employés de divers ministères ont été payés plus de 20 000 $ en trop; une somme de 20 millions de dollars a aussi été versée sans raison à des employés ayant terminé leur contrat, pris leur retraite, démissionné ou pris un congé sans solde.

Les exemples sont nombreux, mais les conséquences sont incalculables. Des étudiants n’ont pas été en mesure de payer leurs frais de scolarité. Des employés n’ont pu toucher l’assurance-emploi à laquelle ils avaient droit. D’autres n’ont pu rembourser leur prêt hypothécaire ou automobile, ou encore des frais sur une carte de crédit ou des intérêts élevés d’un prêt personnel ayant temporairement servi à payer une hypothèque. Toute modification à la paye, comme changer de poste de travail, partir en congé maladie, etc., engendre son lot de complications.

Des employés sous-payés, surpayés ou pas payés, c’est toute leur famille qui est touchée par ces bouleversements. La personne venue me rencontrer pour m’expliquer l’ampleur du problème me racontait les cas d’employés ayant sérieusement songé au suicide. C’est l’entraide des collègues qui permet en ce moment d’éviter des drames. On en est rendu là!

Le comble, c’est que les cadres travaillant sur le système de paye Phénix ont reçu cinq millions en primes ! Trudeau doit bouger, car les travailleuses et les travailleurs de la fonction publique ont droit au respect et à vivre dans la dignité. Imaginez le tollé s’il s’agissait d’une entreprise privée et non du gouvernement du Canada.