Espoir de paix et politique–spectacle

2018/06/14 | Par Pierre Jasmin

Deux artisans de paix dans l’ombre du sommet du 12 juin, Kim Yo-jong sœur du président nord-coréen, bien présente à la signature, et Moon Jae-in, président de la Corée du Sud, plus en retrait

 

Espoir de paix historique

Après sept décennies de guerre réelle et larvée entre leurs deux pays, Kim Jong-un et Donald J. Trump se serrent la main et signent un début de traité de paix à Sentora island à Singapour le 12 juin 2018 à 9 heures (du matin, le 11 au soir chez nous). Saluons cet événement historique inimaginable AVANT les Jeux Olympiques à qui on devrait accorder le prix Nobel de la Paix! Mais le grand artisan de cette paix demeure le président Moon Jae-in, fils de réfugiés nord-coréens comme nous en a informé la journaliste Marie-Ève Bédard de Radio-Canada. À la tête du parti de gauche de la Corée du Sud, Moon Jae-in, après avoir succédé l’an dernier à la présidente Park démise de ses fonctions pour corruption aggravée, a invité les Coréens du Nord à participer aux Jeux, malgré les protestations de la droite conservatrice. Sa poignée de mains historique avec Kim Jong-un à la frontière des deux Corées, il y a un mois et demi, voulait tirer un trait sur une guerre qui avait causé près de trois millions de morts au début des années 50. À Singapour, la Chine, qui a assuré le transport par avion du leader nord-coréen, a mystérieusement choisi de rester en retrait, alors que le Premier ministre et ancien général Lee Hsien Loong, tout sourires, aurait dépensé pour la sécurité de son sommet hypermédiatisé environ cent fois moins que Trudeau pour le sien!


En vedettes, deux « caractères »

Deux (sales) caractères (characters = personnages, en anglais) ont réussi là où tous leurs prédécesseurs avaient échoué : cela prend, semble-t-il, autant de caractère borderline pour réussir une paix que pour entreprendre une guerre, ce qui ne surprend guère les artistes. Dans le coin gauche (!), Kim Jong-un, celui qui a fait assassiner son oncle pour affirmer son pouvoir absolu, est sacré grand gagnant selon une majorité d’observateurs de cet événement de politique-spectacle. Fidèlement accompagné de sa sœur Kim Yo-jong, directrice du département de la Propagande et de l'Agitation du Parti du Travail (première de la dynastie Kim depuis 1953 à se rendre en Corée du Sud lors des Jeux), Kim Jong-un, âgé de 34 ans, au pouvoir depuis six ans, a déclaré: « les vieux préjugés et les habitudes anciennes ont été autant d’obstacles, mais nous les avons surmontés pour nous retrouver ici aujourd’hui ». Dans le coin droit, Donald Trump, celui qui a poignardé le G-7 dans le dos (formule inversée de l’attaque contre Trudeau par le conseiller économique Larry Kudlow ayant souffert d’une crise cardiaque le lendemain), a bousculé les règles de la diplomatie pour signer une paix sans garanties, affirmant que son instinct lui dictait la marche à suivre, au bout d’une minute en compagnie de son vis-à-vis nord-coréen (résurgence du Coderre-o-mètre?).


Et la suite?

L’ancien ambassadeur canadien en Corée, Marius Grinius, croit peu en la diplomatie de façade d’une rencontre en tête à tête de 45 minutes entre deux leaders et leurs traducteurs. Mais les quatre heures de rencontres à plusieurs qui ont suivi l’auront peut-être convaincu. Quelle est la valeur d’une signature de Trump, après la mascarade du G-7? Comment ne pas être sceptique devant le manque de confiance de Trump envers les institutions de l’ONU ayant seules l’expertise de vérifier la dénucléarisation? Les Américains qui ont promis de cesser les manœuvres militaires hostiles à la Corée du Nord retireront-ils une partie de leurs 28 000 soldats en poste en Corée du Sud? Difficile de répondre puisque leur Secrétaire à la défense, James Mattis, n’accompagnait pas son président. Les Nord-Coréens laisseront-ils tomber leurs résolutions, comme ils l’avaient fait lors de deux précédentes tentatives de traités de paix et surtout en se retirant du Traité de non-prolifération? Le méfiant Premier ministre du Japon déclare pourtant à Tokyo : "A travers ce sommet USA-Corée du Nord, l'intention du président Kim Jong-un de voir une dénucléarisation complète de la péninsule coréenne a été confirmée par écrit. Je soutiens ce premier pas vers une résolution d'ensemble des questions concernant la Corée du Nord".

Ce n’est que la veille du sommet que les médias nord-coréens ont révélé que leur leader se trouvait à Singapour pour une rencontre au sommet avec le président américain… Comme ce dernier aimerait avoir une presse aussi disciplinée et alignée sur ses décisions!

Pendant que les médias du monde entier glorifient ces symboles de paix, Orlando vit une autre tuerie deux ans après celle de son bar Pulse (49 morts, 50 blessés par armes à feu).

Chut! Surtout ne pas parler cette semaine des centaines de morts au Yémen, où l’alliée des Américains et des Canadiens (!), l’Arabie Saoudite, continue sa guerre sale.