Nous sommes tous propriétaires d’un pipeline

2018/06/15 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée fédérale, membre de Québec Debout

Dorénavant, lorsqu’on verra les changements climatiques se multiplier, on pourra dire qu’il y a une petite partie de nous là-dedans. En effet, nous serons désormais actionnaires à hauteur de 4,5 milliards de dollars dans Trans Mountain, qui va permettre de faire exploser le commerce du pétrole bitumineux.

Nous risquons également de devenir les heureux proprios d’un nouveau tronçon de pipeline à être construit pour relier le tuyau actuel à l’océan Pacifique et dont le fédéral refuse de dévoiler les coûts potentiels. En effet, le gouvernement Trudeau s’est engagé à construire à nos frais ce nouveau segment s’il ne trouve pas de partenaire du privé, en plus de s’engager à assumer tous les risques financiers à la place de cet hypothétique partenaire. Bref, sans consulter quiconque et sans notre consentement, Ottawa s’improvise promoteur pétrolier sur le bras des contribuables.

Et tout cela pour quoi ? Pour « l’intérêt national » du Canada !

Il faut comprendre que l’environnement, pour le gouvernement Trudeau, ce n’est certainement pas « d’intérêt national ».

Trans Mountain permettra de tripler la quantité de pétrole issu des sables bitumineux albertains acheminé vers les marchés de la zone pacifique. Le nombre de navires pétroliers sur les eaux de la côte ouest passera de 60 par année à plus de 400. Ce projet entraîne donc inévitablement une hausse des émissions de gaz à effet de serre en plus d’accroître les risques immédiats de catastrophe environnementale.

Le premier ministre Trudeau s’est pourtant fait élire en promettant d’abolir les subventions à la production de combustibles fossiles. Aujourd’hui, il va encore plus loin : il la nationalise partiellement.

Les électeurs ne sont pas les seuls à qui il a menti. À la Conférence de Paris sur les changements climatiques, en 2015, tous les États reconnaissaient qu’il fallait cesser de subventionner les énergies fossiles. Les partenaires du Canada avaleront sans doute de travers en voyant M. Trudeau passer de troubadour en gougounes de l’environnement à cowboy du bitume.

Le fédéral s’est également engagé à respecter des objectifs clairs de réduction des émissions de gaz à effet de serre lors de cette conférence. À la fin avril, la commissaire à l’environnement a, sans surprise, constaté que les libéraux n’ont rien fait depuis. Même sans des centaines de pages de documents que le ministère a refusé de produire, la commissaire a pu dresser un constat sans appel : « En l’absence d’un leadership clair, d’un plan de mise en œuvre et de mesures de surveillance exactes et soutenues des résultats, le Canada ne sera pas en mesure de respecter les engagements qu’il a pris envers les Canadiens et Canadiennes, et envers les Nations Unies ». Un peu plus et le rapport était accompagné de coups de règle sur les doigts.

Et ça, c’était AVANT que M. Trudeau se mette à acheter des pipelines aux frais des contribuables.

 

Et le Québec là-dedans ?

Évidemment, les changements climatiques se soucient bien peu des frontières et ne font pas de distinction entre les bons États et les États voyous. Mais la nationalisation de Trans Mountain doit plus spécifiquement inquiéter le Québec.

L’encre n’avait pas eu le temps de sécher sur le chèque que M. Trudeau a signé à Kinder Morgan que les partisans du pipeline Énergie Est ressortaient de l’ombre pour exiger que le projet soit ressuscité. Conservateurs comme libéraux font actuellement pression en public et en coulisse sur le Premier ministre, maintenant qu’il a créé un dangereux précédent avec Trans Mountain. C’est pourquoi le consensus québécois contre Énergie Est doit demeurer fort et doit se méfier d’Ottawa.Il nous faudra continuer d’expliquer à ce gouvernement ce qui est véritablement dans « l’intérêt national ».

« L’intérêt national », c’est de sortir du pétrole sale le plus rapidement possible, pas d’en financer l’essor.

« L’intérêt national », c’est de s’engager résolument dans l’économie verte. L’Organisation internationale du travail estime que la lutte aux changements climatiques créera 18 millions d’emplois dans le monde. Les énergies renouvelables représentent 60 % de la nouvelle production d’énergie en 2014. La décision s’impose d’elle-même.

« L’intérêt national », c’est de protéger notre eau. L’océan, bien sûr, dans ce cas-ci. C’est proprement scandaleux de voir le gouvernement prêcher contre la pollution des eaux avec ses partenaires du G7, tout en finançant une hausse exponentielle des risques de déversement dans le Pacifique. Mais la protection de l’eau potable aussi, dont quatre litres et demi sont nécessaires pour extraire un seul litre de pétrole des sables bitumineux.

« L’intérêt national », c’est de protéger la santé et la sécurité de la population, de la faune et de la flore. Et c’est de consulter la population avant de balancer notre argent dans des entreprises dispendieuses, risquées et odieuses comme l’achat d’un pipeline.

Et si M. Trudeau n’y voit pas là l’« intérêt national », c’est que nous ne sommes tout simplement pas de la même nation.