La précarité des humanités

2018/09/17 | Par Gabriel Laverdière

Une récente étude de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) annonçait la détresse des chargés de cours. Dans les médias, on a mis l’accent sur les difficultés morales vécues par ces enseignants essentiels au système universitaire, qu’ils ont en commun avec d’autres travailleurs précaires. La gravité du problème de fond, qui a été faiblement évoqué, mérite qu’on y revienne.

Dans certains domaines, surtout ceux qui font partie des humanités (langues, philosophie, histoire, géographie, arts, etc.), le nombre de professeurs décroît continûment alors même que les universités veulent augmenter les cohortes et que les associations étudiantes appellent à une meilleure accessibilité.

Un article du journal étudiant Impact Campus (Université Laval) paru en avril déplorait la détresse des étudiants de cycles supérieurs, à qui les professeurs n’accorderaient pas assez de temps. La solution annoncée par l’université ? Mise à jour de la politique d’encadrement des étudiants, formation des professeurs (pas encore assez instruits, apparemment). La vraie solution n’a pas été mentionnée ni retenue : embaucher des professeurs.

Moins il y a de professeurs pour diriger thèses et mémoires, et plus on accroît le nombre des dirigés par professeur, moins ces derniers auront de temps à leur consacrer. Or, dans le cadre de la campagne électorale, l’association lavalloise des étudiants aux études supérieures propose 13 revendications dont aucune ne concerne l’embauche de professeurs. Aveuglement volontaire ?

À l’heure actuelle, les départements vulnérables peinent à maintenir à flot leurs programmes. Certaines facultés déficitaires préfèrent annuler les cours de professeurs retraités qui en étaient les titulaires plutôt que de les offrir à des chargés de cours. Pour ce qui est des humanités, on note que, du Japon aux États-Unis, les programmes passent à la trappe, à la faveur de cheminements orientés vers la technique, la haute finance et l’industrie.

Le gouvernement japonais a voulu fermer les programmes lettres et sciences humaines dans une cinquantaine d’universités. Chez notre voisin du Sud, plusieurs universités (Wisconsin, Claremont...) ont récemment fermé de ces programmes et départements, en licenciant tout de go les professeurs, même titularisés.

Le Québec n’est pas à l’abri de cette tendance globale. Les chargés de cours n’ont donc plus à craindre la seule disparition (par attrition) des postes de professeurs, mais aussi celle des cours et des programmes.

À l’heure où les universités québécoises se félicitent béatement de leurs politiques de développement durable, force est de constater qu’elles n’envisagent pas de développer durablement les humanités québécoises.

Si, pour parler des difficultés vécues par les chargés de cours, l’angle psychologique peut attirer l'attention sur le fond du problème (désengagement de l'État et des hautes directions universitaires, mauvaise gestion des facultés, politisation illégitime et fragmentation des disciplines), il risque, à mon avis, de ne susciter que des solutions palliatives : des formations, des rapports, des activités de soutien, des politiques.

 

Articles auxquels il est fait référence :
http://impactcampus.ca/actualites/etudes-aux-cycles-superieurs-contexte-parfois-difficile
https://www.ledevoir.com/societe/education/535931/universites-la-precarite-en-hausse-chez-le-personnel-enseignant
https://www.caut.ca/sites/default/files/rapport_pac.pdf