Comment rouvrir la Constitution canadienne

2018/10/25 | Par André Binette

L’auteur est constitutionnaliste et auteur de La fin de la monarchie au Québec (Éditions du Renouveau québécois, 2018)

Une version abrégée de ce texte est parue ce matin, 25 octobre, dans Le Devoir.

Le  premier ministre Legault a déclaré qu’il réclamerait de nouveaux pouvoirs au gouvernement canadien. Voici comment il pourrait procéder advenant un refus de ce dernier.

En 1997, le gouvernement québécois de Lucien Bouchard  a convenu avec le gouvernement canadien de Jean Chrétien de modifier la Constitution canadienne afin de déconfessionnaliser le secteur scolaire québécois. Les crucifix sont sortis des écoles à la suite de cette modification constitutionnelle. La Constitution canadienne a été rouverte à cette occasion sur la base d’un consensus québécois.

L’année suivante, dans un jugement majeur appelé le Renvoi sur la sécession du Québec, la Cour suprême est allée plus loin. Elle a créé une obligation juridique de négocier de bonne foi toute modification constitutionnelle demandée par l’Assemblée nationale. Contrairement à une opinion répandue, cette obligation n’est pas liée au seul cas de l’accession à l’indépendance et ne requiert aucun référendum.

Voici le passage pertinent du renvoi, qui se trouve au paragraphe 88 :

«La modification de la Constitution commence par un processus politique entrepris en vertu de la Constitution elle‑même.  Au Canada, l'initiative en matière de modification constitutionnelle relève de la responsabilité des représentants démocratiquement élus des participants à la Confédération.  Pour ces représentants, le signal peut être donné par un référendum mais, en termes juridiques, le pouvoir constituant au Canada, comme dans bien d'autres pays, appartient aux représentants du peuple élus démocratiquement.  La tentative légitime, par un participant de la Confédération, de modifier la Constitution a pour corollaire l'obligation faite à toutes les parties de venir à la table des négociations.»

Les participants à la Confédération sont pour la Cour suprême les assemblées législatives fédérale et provinciales. Dans l’état actuel de la jurisprudence, ils ne comprennent pas les Premières Nations ni les territoires du Nord canadien. Cependant, ceux-ci peuvent légitimement s’attendre à être consultés.

L’unique condition pour déclencher l’obligation de négocier est une résolution de l’Assemblée nationale qui demande des modifications précises à la Constitution. En fait, l’Assemblée nationale détient le pouvoir de rouvrir la Constitution depuis vingt ans, mais a choisi jusqu’ici de ne pas se prévaloir de cette possibilité. Les gouvernements libéraux au pouvoir pendant une quinzaine d’années depuis 2003 n’ont pas démontré une volonté réelle d’agir sur ce plan. De leur côté, les gouvernements péquistes de Lucien Bouchard et de Pauline Marois n’ont pas voulu envisager de se prévaloir de l’obligation de négocier dans un contexte autre que l’indépendance malgré la modification constitutionnelle de 1997.

Une résolution de l’Assemblée nationale peut être adoptée par une simple majorité parlementaire. Elle aura plus de poids si elle recueille l’appui d’un plus grand nombre de députés. L’unanimité n’est pas requise, mais il est préférable dans une résolution de cette nature de tenter de s’en rapprocher afin de démontrer un consensus dans notre société.

L’obligation de négocier de bonne foi est une notion empruntée au droit du travail. Elle n’équivaut pas à une obligation de s’entendre, mais impose des efforts sincères et démontrés pour arriver à une entente. La sanction d’un échec est de nature politique.

Contrairement à l’avis de Pierre Elliott Trudeau, pour qui le simple écoulement du temps imposerait le statu quo, le peuple québécois n’a jamais renoncé à renforcer son autonomie. Les deux référendums sur la souveraineté ont suivi l’échec de négociations constitutionnelles qui n’ont pas toujours été menées de bonne foi. La préférence majoritaire des Québécois semble être pour  l’autonomie croissante dans le cadre canadien, tout en faisant évoluer ce dernier.

Le droit à l’autodétermination interne du peuple québécois demeure entier. L’Assemblée nationale est très loin d’en avoir épuisé les possibilités. Il est faux de dire que la Constitution canadienne ne peut être réformée tant qu’on ne se sera pas prévalu au moins une fois de l’obligation de négocier.

Les sujets pouvant faire l’objet de la résolution de l’Assemblée nationale sont nombreux. D’après tous les sondages pertinents depuis des décennies, il existe un large consensus au Québec pour abolir la monarchie. L’Assemblée nationale pourrait demander le passage à la république pour le Canada et pour le Québec. Le  lieutenant-gouverneur pourrait être remplacé par un gouverneur du Québec désigné par l’Assemblée nationale ou élu par le peuple québécois.

La résolution pourrait aussi demander des pouvoirs accrus en matière d’immigration, de langue et de culture, de protection de l’environnement et de fiscalité (par exemple, un rapport d’impôt unique). Elle pourrait aussi demander que le Québec soit exempté de l’article 27 de la Charte canadienne, qui oblige les tribunaux à favoriser le multiculturalisme dans leur interprétation des droits fondamentaux. Cette disposition idéologique est unique au monde ; elle correspond à un projet politique qui ne concorde pas avec le consensus légitime québécois et n’a pas sa place dans une charte des droits.

La résolution devrait être accompagnée de la mise en place d’une Constitution formelle du Québec qui reprendrait les mêmes éléments, les principales dispositions de la Charte de la langue française et de la Charte québécoise des droits de la personne, ainsi que la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec (la loi 99).  L’abolition de la monarchie permettrait aux députés de prêter serment à la seule Constitution du Québec.

Enfin la résolution de l’Assemblée nationale, qui doit elle-même faire l’objet de larges consultations avant son adoption, pourrait demander la modification de la Constitution canadienne pour reconnaître le droit des Premières Nations à l’autonomie gouvernementale. Un tel droit n’a pas été reconnu par les tribunaux même s’il constitue logiquement la prémisse pour l’exercice des droits ancestraux ou des droits issus de traités. Si une telle demande était incluse dans la résolution de l’Assemblée nationale, le Québec démontrerait une sagesse et une intelligence politique qui lui permettraient de reprendre une position de tête dans la définition des rapports de nation à nation avec les peuples autochtones. On  éviterait aussi que les demandes du Québec soient opposées à celles des peuples autochtones, comme cela fut le cas dans le passé. L’autonomie gouvernementale autochtone, inconnue en droit canadien, est l’un des fondements de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones que l’Assemblée nationale a approuvée.

La reconnaissance constitutionnelle de l’autonomie gouvernementale autochtone n’aurait aucune conséquence significative sur le territoire du Québec ou les compétences de l’Assemblée nationale. Elle aurait pour principal effet de conduire à l’abrogation de la Loi sur les Indiens d’origine coloniale.  Le droit à l’autodétermination du peuple québécois ne peut pleinement se développer que dans une alliance avec celui des peuples autochtones.

C’est ainsi que l’identité et l’autonomie du Québec peuvent se renforcer dans un Canada qui accepte d’évoluer.

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