Cannabis et Commission Le Dain

2018/10/29 | Par André Sirois

L’auteur est avocat auprès de l’ONU et ex-Chargé de programmes de recherches à la Commission Le Dain et ex-Directeur du Programme d’information sur l’usage non médical des drogues du ministère de la Santé du Canada

Dans l’euphorie marquant la légalisation du cannabis, il convient assurément de rappeler que c’est là l’aboutissement des travaux de l’une des meilleures commissions d’enquête que le Canada se soit jamais données: la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales (la Commission Le Dain) et la mise en œuvre de recommandations que la Commission a faites il y a déjà plus de 45 ans.

Après 55 mois de recherches et de travaux très poussés, la Commission avait constaté, en mai 1973, dans son Rapport final de près de 1200 pages, que l’interdiction du cannabis n’avait aucun fondement médical, scientifique ou juridique. Selon elle, il fallait comparer les effets négatifs de l’interdiction avec ceux que pourrait avoir la décriminalisation. Si la consommation du cannabis pouvait avoir certains effets négatifs, notamment pour les adolescents, ces effets étaient sans commune mesure avec les nombreuses conséquences néfastes de la criminalisation injustifiée du cannabis : coûts administratifs, économiques et sociaux, dévalorisation de l’administration de la justice, surcharge des tribunaux ainsi que des services policiers et pénitentiaires, augmentation de la criminalité, perte de crédibilité des autorités civiles et policières, vies gâchées sans raison, etc.

Elle concluait que les peines pour la possession de cannabis étaient grossièrement excessives et elle recommandait la décriminalisation de la possession de cannabis et une réduction des peines reliées aux autres infractions concernant le cannabis. Une des commissaires, la criminaliste Marie-Andrée Bertrand, allait même jusqu’à recommander de légaliser le cannabis purement et simplement, dans une dissidence prophétique qui semble annoncer la nouvelle loi.

Fait sans précédent pour un tel projet, en plus de quatre ans, la Commission a parcouru plus de 80 000 kilomètres et tenu des audiences publiques dans 27 villes et 23 universités. Elle a entendu des dizaines de milliers de citoyens ordinaires et rencontré en privé ceux qui ne souhaitaient pas témoigner en public (notamment John Lennon, et des membres du groupe Led Zeppelin et du groupe Grateful Dead, le poète Allen Ginsberg et d’autres personnages de la contre-culture). Elle a aussi reçu une quantité considérable de mémoires et de documents. La Commission elle-même était composée d’environ 120 personnes, auxquelles il faut ajouter quelques centaines de chercheurs et de groupes de chercheurs à contrat.

Elle a publié quatre rapports, dont un de 400 pages consacré au cannabis, lequel, fait sans précédent en ce domaine, est rapidement devenu un succès de librairie, ce qui a amené l’Éditeur officiel à le rééditer à plusieurs reprises et finalement à vendre les droits étrangers à Penguin Books qui l’a publié en plusieurs langues dans divers pays, confirmant l’autorité des travaux de la Commission à travers le monde.

La Commission a rappelé aussi, fait curieux, que le Canada avait commencé à interdire les drogues, en 1908, non pas pour lutter contre les problèmes qu’on aurait accusé celles-ci de causer, mais plutôt pour satisfaire les hystériques du mouvement prohibitionniste et surtout pour se doter d’un outil pour lutter contre l’immigration chinoise et japonaise sur la côte Ouest. Le cannabis a été ajouté à cette liste en 1923, sans aucun motif et sans trop que l’on sache pourquoi — même maintenant.

La libéralisation du cannabis corrige donc une erreur qui n’aura duré que trop longtemps. On doit regretter qu’il ait fallu au gouvernement canadien 45 ans pour le faire et que, pendant ce temps, selon certains, la police canadienne ait traité plus de deux millions d’infractions relatives à la marijuana et que les juges aient distribué des condamnations que l’on savait être injustifiées, inutiles et injustes.

La légalisation du cannabis est une heureuse mesure qui clôt un épisode fort peu glorieux de l’histoire de la justice canadienne.