Évitons de blanchir la mort de Cindy Gladue

2018/10/31 | Par Emma Cunliffe

Dernièrement, la Cour suprême du Canada a entendu l’affaire la plus importante de toute une génération concernant la réponse du système judiciaire canadien sur les cas de femmes autochtones assassinées et disparues.

L’audience a été l’aboutissement d’une affaire qui remonte au matin du 22 juin 2011. Ce jour-là, Bradley Barton a quitté sa chambre du Yellowhead Inn à Edmonton, a pris un café et a démarré son camion pour une autre journée de travail.

Dans la salle de bains de la chambre de Bradley Barton, Cindy Gladue était déjà morte. Ses enfants ne savaient pas encore qu’ils avaient perdu leur mère. Sa mère ne savait pas encore qu’elle avait perdu sa fille. Les communautés crie et métisse d’où elle vient ne savaient pas encore qu’une autre sœur était décédée dans des circonstances violentes.

Ce matin-là, Barton n’a pas appelé les services médicaux ni la police avant qu’un collègue l’exhorte à composer le 911. Il a menti aux policiers et à ses collègues à propos de sa relation avec Cindy Gladue et sur la raison de sa venue dans sa chambre de motel. Lors de son procès, Barton a témoigné qu’il avait offert de l’argent à Cindy Gladue pour du sexe qu’il a défini comme un « rapport sexuel ».

On sait maintenant que Cindy Gladue est morte d’une blessure de 11 cm infligée au vagin. Barton a avoué avoir causé cette blessure. Néanmoins, il a été acquitté de toute responsabilité pénale pour le décès de Cindy Gladue.

Dans cet appel, l’enjeu pour Barton est la possibilité d’un nouveau procès.

La famille de Cindy Gladue et ses communautés métisse et crie ont suivi ce procès de très près. Ils ont entendu des participants décrire Cindy Gladue, âgée de 36 ans, comme une « fille autochtone » ou une « femme autochtone » et une « prostituée ». Par ces catégorisations, on a ignoré les garanties juridiques conçues pour protéger la dignité des victimes. Par ces catégorisations, on a véhiculé des mythes et des stéréotypes discriminatoires dans la procédure qui ont probablement détourné le jury de l’analyse minutieuse de la notion de consentement exigée par la loi canadienne.

Les femmes autochtones de tout le pays ont été bouleversées par la violation des lois autochtones et le manque de décence humaine essentielle lorsqu’elles ont appris que des parties préservées du corps de Cindy Gladue avaient été présentées en cour.

Devant le jury, Dino Bottos, l’avocat de Barton, s’est fondé sur le témoignage de son client pour affirmer que Cindy Gladue avait consenti à une activité sexuelle violente contre une petite rétribution. Ou du moins, parce que Cindy Gladue était « une prostituée », « M. Barton aurait évidemment pensé qu’elle consentait à la relation sexuelle ». Plus récemment, Dino Bottos a déclaré à propos de Cindy Gladue : « nous ne pouvons pas blanchir les circonstances, ce qu’elle était et ce qu’elle faisait là ».

Ces termes : blanchir, Yellowhead Inn, une « fille autochtone », âgée de 36 ans. Et un système juridique qui date de l’époque coloniale et qui existe depuis trop longtemps pour exclure le droit autochtone et nier le statut de personne autochtone.

Quelle conclusion peut-on tirer de cette histoire profondément coloniale et fondée sur le genre?

Qui était Cindy Gladue? Une mère, une soeur, une fille et une cousine que de nombreuses personnes pleurent. Une personne. Une autre femme parmi les milliers de femmes autochtones victimes de violence sexuelle extrême et de discrimination systémique. Une femme décédée dans des circonstances violentes et dont la vie était moins importante pour le système juridique canadien que la façon dont elle est morte. Le jury n’a entendu aucun témoin ayant connu Cindy Gladue dans sa vie, outre sa présence au Yellowhead Inn.

Que faisait-elle là-bas? Nous ne savons pas précisément, car elle n’a pas survécu. Peut-être devait-elle toucher une petite somme d’argent en échange de relations sexuelles. Même si c’était le cas, Cindy, comme nous tous, avait le droit de retirer son consentement à tout moment, pour quelque motif que ce soit. Rien n’indique qu’elle ait consenti à la violence qui a causé sa blessure mortelle.

Qu’est-ce qui a été blanchi au procès?

Certainement pas l’indigénéité de Cindy Gladue ou les motifs expliquant sa présence dans cette chambre de motel. Elle a été complètement définie selon des stéréotypes racistes et misogynes. Les aspects privés de sa vie et de son corps ont été exposés au grand jour, au propre comme au figuré.

Sur le plan juridique, cette affaire met en lumière l’importance des erreurs  qui ont été commises au procès. Au final, la Cour est invitée à appliquer le principe voulant que les femmes autochtones qui échangent des services sexuels contre rémunération aient droit à l’ensemble des protections promises par la loi canadienne aux victimes de violence sexuelle.

Au-delà du procès, la société canadienne doit saisir les circonstances de la vie et de la mort de Cindy Gladue. Nous devons admettre le racisme et le sexisme systémiques et nous attaquer au traumatisme intergénérationnel que la « justice » canadienne impose aux peuples autochtones.

C’est notre devoir, aussi sûrement que les juges doivent accomplir le leur.

Alors, Canadiens, ne blanchissons pas cette affaire.

Emma Cunliffe est professeure agrégée à la faculté de droit Peter A. Allard de l’Université de la Colombie-Britannique et collaboratrice auprès d’EvidenceNetwork.ca attaché à l’Université de Winnipeg.