L’effet Kondiaronk

2018/12/10 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est artiste pour la paix

Le premier ministre Justin Trudeau avec son épouse Sophie Grégoire Trudeau à sa droite, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, le premier ministre du Québec François Legault et son épouse Isabelle Brais ont participé, jeudi, à la vigile en hommage aux victimes de l'attaque perpétrée le 6 décembre 1989 à Polytechnique. Photo : La Presse canadienne/Ryan Remiorz

Dans la centaine de mes articles publiés par l’Aut’Journal au cours des trois dernières années, jamais n’aura-t-on constaté la moindre composante ésotérique, dans les sujets artistiques, encore moins les politiques! Et pourtant le titre de cet article fait référence au 6 décembre sur le Mont-Royal, réplique de « Hochelaga, terre des âmes » de François Girard! Les Artistes pour la Paix (APLP) sont représentés presque annuellement à cette soirée de commémoration du massacre de quatorze Polytechniciennes, il y a 29 ans.

 

Une tradition de 29 ans qui inspire Heidi et les APLP

D’abord invité dans les années 90 par la vice-rectrice de l’Université de Montréal par solidarité universitaire, je le fus ensuite par Heidi Rathjen, l’âme de Polysesouvient, que j’ai eu l’honneur de présenter à Pierre Péladeau, lors d’un de ses pow-wow dans les Laurentides, afin que les journalistes de Québecor l’apprécient davantage. Car les APLP ont endossé cette mission de resserrer le contrôle des armes à feu, qui a vécu plusieurs étapes avec les changements de gouvernements fédéraux.

Sans aide gouvernementale, on avait même créé avec Marie-Claire Séguin APLP95 la Fondation le Silence des Armes, où aidé par son collègue Michel Goulet, le sculpteur Alex Magrini APLP94 avec Florent Vollant, récoltait des armes à feu rendues inopérantes par la police de Montréal pour en faire des sculptures, dont le célèbre piano pour la paix englouti lors du séisme qui a démoli le palais présidentiel d’Haïti. Le président légitimement élu Jean-Bertrand Aristide avait inspiré le discours d’Alex pour qu’il salue la dissolution de l’armée haïtienne, soupçonnée de se livrer au trafic de drogues avec l’Amérique centrale.

C’était proprement admirable d’entendre Heidi Rathjen répondre le midi du 6 décembre aux questions serrées de Michel C. Auger et de Bernard Drainville, sans se démonter ni se départir de son sourire ravageur, avec ses arguments à la logique imparable. Richard Martineau avait repris ces derniers avec intelligence dans son entrevue aux Franc-Tireurs (sic!) à TéléQuébec, laissant le représentant Guy Morin du lobby des armes à feu à court de sophismes pour « défendre la liberté » (re-sic) de posséder des armes d’assaut capables de projeter plus de cent balles à la minute. C’est une arme du même type qui s’est enrayée mais hélas relayée par une autre dans l’assassinat en janvier 2017 de six musulmans pieux, respectés de toute la Ville de Québec. Et à l’origine des innombrables tueries américaines, ce sont celles que la National Rifle Association américaine veut maintenir coûte que coûte, avec son nouveau président, le colonel Oliver North, celui qui avait organisé sous Nixon l’échange de drogues et de fusils entre l’Iran et les contras du Nicaragua (sick!).

 

Un effet désarmant ?

Qui était Kondarionk? Un grand chef huron-wendat qui a su retenir les flèches amérindiennes pour établir en 1701 la Grande Paix de Montréal, que nous avons souvent évoquée avec feu Frédéric Back, en parlant de sa verrière au métro Place des Arts.

Selon une logique pacifiste, nous avons évidemment dénoncé dès février 2014 (ainsi que récemment[1]) la vente par le ministre Baird pour 15 milliards de $ de blindés ontariens à l’Arabie Saoudite, coupable de la destruction honteuse du Yémen. Et cette vente ne fut jamais stoppée par le Premier ministre Trudeau qui a pourtant signé le Traité de commerce des armes (ONU) aux clauses rédhibitoires. Néanmoins, lorsque je me suis retrouvé face à lui jeudi soir, victime consentante de l’effet Kondiaronk, je n’ai pu que lui redire en souriant les mêmes simples mots que j’avais prononcés face à Sophie Grégoire l’an dernier : « merci d’être venu(E) », ce à quoi il a répondu sensiblement les mêmes paroles bien senties. Même expérience face à notre nouveau Premier ministre du Québec et à son épouse madame Isabelle Brais, qui m’ont également souri. Heidi qui animait (?) la courte cérémonie a éprouvé le même effet désarmant Kondiaronk, se contentant de répéter les noms de ses quatorze collègues Polytechniciennes assassinées le 6 décembre 1989 dans un pur rituel à nouveau souligné cette année par la tombée de flocons de neige floutant les quatorze faisceaux lumineux magiquement imaginés par Moment Factory s’illuminant un à un dans le ciel de la métropole.

Et ce rituel magique, sans aucune revendication féministe ni même militante de désarmement puisque toutes deux sous-entendues, fut amplifié par la minute de silence qui a uni, mieux que ne l’aurait fait n’importe quel discours, même le plus éloquent, les Premiers ministres et la mairesse de Montréal rassemblés en demi-cercle de tradition amérindienne. Je suis persuadé qu’ils en ont été profondément marqués, Trudeau et Legault s’étant retrouvés côte à côte (aucune allusion carnivore…) au souper du soir et s’épaulant mutuellement face aux premiers ministres pétroliers le lendemain à défendre tous deux la taxe carbone. On sait gré à M. Legault d’avoir fermement défendu, appuyé par sa ministre de l’Environnement Isabelle Chassé présente au belvédère Kondiaronk, la non-accessibilité sociale du pipeline Énergie-Est que réclament encore Rachel Notley d’Alberta, appuyée par les Premiers ministres de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick. Et M. Legault nous a impressionnés par son calme souriant à proposer, en contrepartie du pétrole sale, l’énergie hydroélectrique propre du Québec et du Labrador (habile de sa part d’associer Terre-Neuve à son offre!), qui n’a pas les mêmes moyens de s’offrir des pages entières de publicité dans le Devoir, comme le pétrole de l’Alberta.

L’effet Kondarionk, on allait le constater aussi chez le fort leader intérimaire du Parti Québécois, Pascal Bérubé, qui m’a gentiment présenté sa radieuse épouse, avant de prendre la route de Québec où le lendemain à l’Assemblée nationale, il allait humblement s’excuser d’avoir empêché le Premier ministre de prononcer ses vœux de Noël à la population du Québec la veille, vu ses obligations politiques qui allaient le retenir à Montréal vendredi.

Les quatorze faisceaux lumineux de Moment factory

L’effet Kondiaronk s’est aussi retrouvé chez le chef intérimaire du Parti libéral, aussi présent lors de la cérémonie, et chez Manon Massé qui a pris le temps de s’entretenir de longues minutes avec moi, d’abord pour se plaindre de l’insignifiance des reproches vestimentaires adressés à ses jeunes députés, à propos desquels une journaliste de Radio-Canada a odieusement accusé Québec Solidaire de s’en servir à des fins partisanes!

 

Fin de soirée écologique et poétique

Madame Massé m’a reparlé de sa remarquable collègue Ruba Ghazal qui a succédé à Amir Khadir pour représenter le comté de Mercier. Manon, comme ses jeunes partisans l’appellent, m’avait, lors des funérailles de Lise Payette, présenté sa collègue, présentement en Pologne pour participer à la COP24. Les perspectives d’amélioration du climat sont politiquement nulles en ce moment, mais il nous faut persévérer, soutenus par les courageux manifestants écologistes à travers le monde et aux quatre coins du Québec, en ce samedi 8 novembre.

Notre conversation a bifurqué sur la musique que son fils a pratiquée, lors de ses études à l’école publique François-Joseph Perreault. Coïncidence, j’étais invité à 19h 30 le même jeudi soir à discourir sur le contexte musicologique d’un concert inauguré à la Salle Claude-Champagne par une prestation sans faille du jeune chef innu Pascal Côté, dirigeant un chœur de 120 jeunes chantant en un allemand impeccable. C’est avec le chœur UQAM et ces jeunes admirablement préparés que j’aurai l’honneur de présenter le 19 avril à l’Église Saint-Jean Baptiste la Fantaisie pour piano, chœur et orchestre (de la Société Philharmonique de Montréal) pour fêter les 40 ans du programme-musique de l’école et par la même occasion les 50 ans de l’UQAM. Il s’agit d’une musique composée à partir d’un poème de Christoph Kuffner où se distinguent sept vers que nos modernes jugeront kitsch, mais qui trouvent écho dans le cœur ému des jeunes choristes :

Paix et joie (Fried und Freude!) s’accordent.
La nuit et la tempête deviennent lumière
et tout un chœur d'esprits retentit.
Ô vous belles âmes, acceptez de l’art
les dons remplis de joie.
Lorsque s'unissent l'amour et la force,
l'humanité se voit récompensée par la faveur des dieux.