Transport ferroviaire : Marc Garneau accepte enfin de serrer les freins à main

2019/02/22 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois

Dans la nuit du 3 au 4 février 2019, un convoi à destination de Vancouver comptant 112 wagons chargés de grains s’immobilise, avec ses freins à air comprimé actionnés, sur une pente à l’est de Field, en Colombie-Britannique. Vers 1 h du matin, le convoi commence à rouler tout seul et en vient à dépasser largement la limite de vitesse fixée pour cette région. Lors de cette folle descente, 99 wagons et deux locomotives déraillent. Le mécanicien Andrew Dockrell, le chef de train Dylan Paradis et le stagiaire Daniel Waldenberger-Bulmer perdent la vie dans l’accident.

Trois autres hommes décédés portant à huit le nombre des travailleurs ferroviaires ayant perdu la vie au Canada depuis novembre 2017. Pour moi, un mort sera toujours un mort de trop. Il ne faut pas se leurrer, les déraillements arrivent beaucoup plus souvent qu’on ne le croit et ce dernier était le cinquième accident mortel à survenir au cours des 13 derniers mois dans l'industrie ferroviaire canadienne.

D’ores et déjà, le Bureau de sécurité des transports (BST) a établi que le convoi était immobilisé avec ses freins d’urgence actionnés depuis environ deux heures quand il s’est mis à dévaler la pente près de Field. Les freins à main, quant à eux, n'étaient pas serrés. J’ose à peine me demander quelles auraient été les conséquences de ce déraillement si le convoi avait transporté du pétrole au lieu de grains et s’il avait arrêté sa course dans une zone résidentielle.

Alarmiste ? Pas tant que cela. Il y a six ans, 28 514 barils de pétrole brut transitaient chaque jour via le réseau ferroviaire canadien. En août 2018, les exportations par rail au Canada atteignaient un niveau record de 229 544 barils par jour. Cela représente une hausse de plus de 11 % par rapport aux 206 624 barils par jour transportés en juillet et une progression de 91 % par rapport aux quelque 120 000 barils par jour livrés par rail l’année précédente.


Une histoire de freins

Quatre jours après le déraillement survenu en Colombie-Britannique, le ministre Marc Garneau rend enfin obligatoire, l’utilisation des freins à main lorsqu’un train s’immobilise en terrain montagneux. En soulignant que ses pensées accompagnent les proches des victimes, il signe finalement un décret mettant cette nouvelle règle en vigueur pour toutes les compagnies ferroviaires. Une décision qui se doit d’être bien accueillie, mais qui arrive tard, très tard, et qui n’est pas suffisante. Depuis trop longtemps, les compagnies ferroviaires sont responsables de créer les règles qui les régissent et de s’auto-inspecter.

Lors de la tragédie de Lac-Mégantic qui a coûté la vie à 47 personnes, le rapport produit par le BST avait déjà mis en lumière des manquements relatifs aux freins. Il a été établi que le train en cause dans la tragédie, le MMA-002 avait été garé sans surveillance sur la voie principale, sur une pente descendante, et que son immobilisation dépendait d’une locomotive qui n’était pas en bon état de fonctionnement. Il a aussi été établi que les sept freins à main qui ont été serrés n’étaient pas suffisants pour retenir le train.

Mais qui détermine donc le nombre de freins requis pour que la population en général et l’équipage d’un train soient en sécurité ? Dans son essai Mégantic (Les Éditions Écosociété), Anne-Marie Saint-Cerny répond malheureusement trop bien à cette question. Voici ce qu’elle écrit :

« Les lois et règlements sont rédigés avec le concours de spécialistes impartiaux, adoptés par des représentants dûment élus par le peuple, redevables au peuple et agissants dans l’unique intérêt du peuple. En principe… Une règle rédigée par une entreprise varie selon l’air du temps, sans tenir compte de tous les faits ou constats impartiaux qui peuvent être jugés inappropriés. Ses rédacteurs ne sont redevables qu’envers la compagnie, ses dirigeants… et ses actionnaires.

« Or, la règle officielle de MMA [la compagnie ferroviaire en cause dans la tragédie de Mégantic] réclame plutôt ‘‘10 % des wagons, plus 2’’ quant au nombre de freins à appliquer, en l’occurrence 10 freins… Michael Horan, un autre responsable de MMA arrivé sur les lieux quelques heures plus tard, prendra lui-même l’initiative d’ajouter cinq autres freins, ce qui portera le nombre total de freins à 15. Quant à Stahl, qui témoignera au procès criminel en 2017, il affirmera qu’il applique – et enseigne chez MMA – la norme de 20 % + 2. Dans ce cas, il aurait donc fallu plus de 20 freins à main.

« Au profit de l’histoire, mentionnons que les tests seront effectués par la suite par le BST, mais pour le seul convoi accidenté MMA-002… 47 morts plus tard. Il en aurait fallu entre 18 et 26, conclura le BST. »

Il faut savoir que le nombre d’incidents ferroviaires n’a pas diminué au Canada depuis la tragédie de Lac-Mégantic. Le Bureau de la sécurité des transports déplore même en 2017 une augmentation significative de 21 % du nombre d’incidents par rapport à l’année précédente où 1035 cas avaient été rapportés.

À la lumière de tout cela, plusieurs questions surgissent, pourquoi le ministre des Transports a-t-il attendu si longtemps avant de rendre obligatoire l’utilisation des freins à main ? Pourquoi Marc Garneau laisse-t-il les compagnies ferroviaires s’autoréguler et pourquoi s’entête-t-il à refuser une commission d’enquête sur la tragédie qui a coûté la vie à 47 personnes le 6 juillet 2013 ? Le ministre répète sans cesse que la sécurité est sa priorité, qu’il agisse maintenant.