Qui veut la mort de l’ONU?

2019/03/08 | Par Pierre Jasmin

Ce livre fort opportun au titre provocateur permet de revenir sur l’essentiel du message de paix qu’on exprime depuis au moins deux ans, mettant en relief l’abandon par le Canada de ses idéaux onusiens pour des achats militaires, pétroliers ou autres commandés par l’OTAN[1]. L’ouvrage vient de paraître aux éditions Eyrolles en janvier 2019, écrit par Anne-Cécile Robert et Romuald Sciora, ce dernier ayant mené des entrevues avec cinq des Secrétaires généraux de l’ONU.

D’emblée, ma principale critique serait que les auteurs passent trop vite sur les deux principaux assassins présumés de l’ONU, l’OTAN et la CIA. Par contre, si on fait exception de leur hostilité d’héritiers colonialistes français face à la Syrie, leur thèse, qu’ils qualifient de « cri d’alarme », est par ailleurs fort bien soutenue.

Les auteurs blâment avec courage les Institutions financières internationales qui étouffent l’influence de l’ONU. Cela part du G7 et, dans une moindre mesure, du G20, s’étend à la Banque Mondiale, au Fonds Monétaire international, aux sommets annuels de Davos et à l’Organisation Mondiale du Commerce qui rend caduc l’ÉCOSOC[2]. Même la richissime Fondation Bill Gates n’échappe pas à la critique puisqu’elle déloge partout l’Organisation Mondiale de la Santé, même en Afrique pour ce qui est des vaccins si dispendieux.

Robert et Sciora blâment ensuite la tendance populiste, qui accentue le retrait des gouvernements de leurs engagements envers l’ONU, l’UNESCO, l’UNICEF, l’UNIDIR, l’OIEA, l’OIAC etc., dont ils rappellent la grande utilité, mise à mal, entre autres par les coupures ou retraits des États-Unis. D’ailleurs Stéphane Baillargeon du Devoir écrit aujourd’hui, 7 mars, qu’un regroupement international d’universitaires estime que le nombre de dirigeants tenant des discours populistes a plus que doublé depuis les années 2000.

La liste des nouveaux pays touchés par la tendance idéologique, qui refuse principalement les constats scientifiques du réchauffement climatique portés par l’ONU lors du COP21 de décembre 2015, comprend l’Inde, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Brésil. Le nombre de citoyens affectés est passé de quelque 150 millions, il y a vingt ans, à environ 2 milliards cette année. On sait que l’influence populiste propage d’autres rumeurs anti-scientifiques, par exemple des attaques contre les vaccins vitaux. On le constate dans la résurgence de la rougeole, due à l’obstruction des vaccins par sectes et groupes religieux.

Trois paragraphes font resurgir les « assassinats » de Patrice Lumumba, d’Olaf Palme et de Dag Hammarskjöld et les auteurs n’hésitent pas à dénoncer le R2P (Responsability to Protect) de Lloyd Axworthy (non nommé) et de Bernard Kouchner, en s’appuyant sur la dénonciation logique du concept vicié de « guerre humanitaire » par la Croix-Rouge. Les Artistes pour la Paix l’avaient rappelé à la ministre Chrystia Freeland, qui s’acoquine aujourd’hui avec le Groupe de Lima et qui a largement subventionné les frauduleux Casques Blancs syriens[3], en accord, hélas, avec Hélène Laverdière influencé par le député belliciste Murray  Rankin du NPD (qui ne se représentera pas à l’automne).

Signalons le peu de références aux Canadiens dans ce livre, à part Louise Arbour, que les auteurs félicitent d’avoir accusé le serbe nationaliste Milosevic, et Roméo Dallaire qu’ils exonèrent de la pire crise de l’ONU. Les auteurs accusent plutôt les États-Unis, traumatisés par le fiasco de l’expédition somalienne de 1992, d’avoir freiné tout engagement sérieux de l’ONU au Rwanda en limitant le mandat de la force d’interposition : « La Secrétaire d’État américaine Madeleine Albright veilla d’ailleurs à interdire l’usage du terme génocide, car il entraînait l’obligation d’intervention et, fin avril, Boutros Boutros-Ghali parlait encore de guerre civile ».

Parmi les bons coups de l’ONU, les auteurs citent son obsession légitime pour le désarmement, et ce depuis les ravages par les pays de l’Axe lors de la Seconde guerre mondiale, qui ont motivé la création de l’ONU. Ils citent aussi pêle-mêle ses nombreuses résolutions en faveur de la Palestine (hélas ignorées), la paix protégée au Timor Oriental et revenue au Salvador grâce au Costa-Ricain Oscar Arias Sanchez, prix Nobel de la Paix 1993. L’artiste pour la paix note évidemment le concert Live Aid pour soulager l’Éthiopie de la famine[4]. Rien d’étonnant, donc, que l’ouvrage commence par une citation de Noam Chomsky :

L’ONU représente un espoir pour l’humanité,
Mais elle ne pourra pas atteindre son plein potentiel
Tant que les grandes puissances ne lui permettront pas de fonctionner comme il faudrait,
Et que le reste du monde ne parviendra pas à surmonter
La corruption, la violence et les autres entraves à la pleine réalisation de sa mission. 

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L’OTAN, SNC-Lavalin et le Quebec bashing


Les messages de désarmement de l’ONU sont ignorés au Canada de Trudeau au nom de la défense de la classe moyenne et de ses jobs : 11 milliards de dollars planifiés pour le pipeline Trans Mountain qui passerait sur les terres des Premières Nations de Jodi Wilson-Raybould, 15 milliards de dollars de ventes de blindés à l’Arabie Saoudite, 60 milliards accordés à IRVING/Lockheed Martin pour construire des bateaux de guerre et plus d’un milliard pour quinze F-18 usagés achetés en Australie pour susciter de nouveaux emplois de pilotes de guerre, tels ceux qui ont mis à mal la Libye, sous le commandement de Charles Bouchard, maintenant à l’emploi de Lockheed Martin Canada pour faire du cash.

C’est devant une telle dégradation gouvernementale qu’une vingtaine de membres de Pugwash Canada et du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire ont décidé de boycotter, après deux ans[5] de dialogues, la réunion prévue le 28 mars au ministère des Affaires globales à laquelle nous étions conviés, avec un agenda trop restrictif qui ne permettait même plus d’articuler nos griefs, une décision courageuse de la part de trois anciens ambassadeurs canadiens au désarmement notamment.

Les mots de Chomsky sur la corruption (et la violence qu’elle entraîne) sont évidemment ignorés à droite (on n’a qu’à constater l’hypocrisie des Conservateurs et du Parti Populaire de Maxime Bernier dans l’affaire SNC-Lavalin, dont ils récoltent les dividendes électoraux sans offrir de solutions), mais, plus étonnant encore, aussi à gauche, où les syndicats somment le Bloc Québécois de défendre « SNC-Lavalin et ses neuf mille jobs » et où ni le NPD ni le parti Vert n’ont osé dénoncer les contrats militaires ruineux, et pour le Canada et pour sa réputation internationale (on peut notamment dire adieu au siège sur le Conseil de Sécurité de l’ONU).

À l’extrême-gauche, Yves Engler.com démolit efficacement la firme québécoise en un article bien documenté de plus de mille mots (on aimerait le voir en faire autant contre le contrat militariste Irving). Saluons quand même sa recherche, qui permet une liste peu connue de contrats avec pots-de-vin de SNC-Lavalin en Libye, au Bangladesh, en Algérie, aux Indes, au Kazakhstan, en Tunisie, en Angola, au Nigéria, au Mozambique, au Ghana, au Malawi, en Uganda, au Cambodge et en Zambie, sans compter la construction de l’ambassade canadienne haïtienne, de centrales nucléaires en Chine, de camps militaires en Afghanistan (en particulier à Kandahar), d’usines pharmaceutiques en Belgique et les milliards de $ de contrats avec l’Arabie Saoudite. Engler y ajoute les pots-de-vin versés au Québec, sans spécifier qu’ils l’ont été principalement pour le contrat du CUSM anglo-québécois par les Yanaï Elbaz et ex-vice-président Riadh Ben Aïssa, tous deux condamnés. A-t-il voulu écarter ces renseignements précis qui auraient nui à la diffusion de son article dans les réseaux anglophones friands de Quebec-bashing?

 


[2] L’ECOSOC était défendu dans mon article de juin dernier par le professeur Dorval Brunelle  http://lautjournal.info/20180608/trudeau-soumis-aux-petrolieres

[4] On courra voir au Cinéma du Parc le film franco-libanais de Nadine Labaki Capernaüm dont l’actrice principale est éthiopienne, film que le Festival de Cannes 2018 avait récompensé du prix du jury, du prix du jury œcuménique et du prix de la citoyenneté.