La fin de la longue histoire d’amour entre la Chine et le Parti libéral du Canada (1)

2019/03/11 | Par Pierre Dubuc

Par mesure de rétorsion à l’emprisonnement par le Canada de Mme Meng Wanzhou, la vice-présidente de la multinationale chinoise Huawei, à la demande des autorités états-uniennes qui réclament son extradition, la Chine vient d’accuser d’espionnage deux diplomates canadiens et de suspendre l’importation de canola canadien, dont la valeur annuelle est de 2,5 milliards $.

La détérioration rapide des relations entre la Chine et le Canada est un revers considérable pour le Parti Libéral du Canada (PLC), qui a été un pionnier pour la reconnaissance de la Chine sur la scène internationale et les échanges commerciaux avec l’Empire du Milieu.

La dégradation des relations avec Beijing risque aussi d’avoir d’importantes répercussions auprès de l’importante communauté chinoise de 1,56 million d’habitants qui représente 4% de la population canadienne, soit davantage que la population des Premières Nations.

 

Les « Mish Kids »

Dans son livre Claws of the Panda, Beijing’s Campaign of Influence and Intimidation in Canada (Cormorant Books), le journaliste Jonathan Manthorpe nous apprend que les relations amicales avec la Chine remontent beaucoup plus loin dans le temps que la reconnaissance de la Chine par Trudeau père en 1970.

Avant la Révolution chinoise de 1949, de nombreux missionnaires canadiens étaient présents en Chine. Il y avait à cette époque environ 400 missionnaires catholiques, mais un nombre encore plus important de missionnaires méthodistes et presbytériens. Au cours des années 1930, 1940 et 1950, certains d’entre eux – surnommés les « Mish Kids » – jouaient un rôle de premier plan au sein du ministère des Affaires étrangères à Ottawa. Ils comprenaient des personnalités comme le futur premier ministre libéral Lester B. Pearson, fils d’un pasteur méthodiste, et le futur gouverneur général, l’ardent méthodiste Vincent Massey.

Dès 1949, nous apprend Jonathan Manthorpe, le Canada était prêt à reconnaître la Chine, mais le déclenchement de la guerre de Corée a entraîné le report de cette reconnaissance.  En 1956, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères Lester B. Pearson et le premier ministre Louis St-Laurent ont voulu établir des relations formelles avec Beijing, mais ils se sont butés à l’opposition ferme du président Dwight Eisenhower.

 

Le rôle-clef de Paul Desmarais

Avant même l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays, le Canada a commencé à vendre du blé à la Chine. Mais le commerce s’est véritablement développé à partir de la création du Canada-China Trade Council en 1978, à l’initiative de l’homme d’affaires Paul Desmarais de Power Corporation, dont les affinités politiques libérales sont bien connues. Il a discrètement organisé la campagne électorale de 1968 de Pierre Elliott Trudeau, son fils a marié la fille de Jean Chrétien et il a cédé à Paul Martin la Canada Steamship Line.

Paul Desmarais a été à l’origine des premiers investissements chinois au Canada, en cédant à la China International Trust Investment Company (CITIC) 50% des actions d’une papetière détenue par Power Corporation à Castelgar en Colombie-Britannique. En 1997, André Desmarais, le fil de Paul, a eu le rare privilège de devenir membre du conseil d’administration de CITIC.

Jonathan Manthorpe raconte l’importance de l’influence de la famille Desmarais sur la politique du Canada à l’égard de la Chine à travers le témoignage de Raymond Chan, le premier Canadien d’origine chinoise nommé ministre, soit au sein du gouvernement Chrétien en 1993.

Quand Raymond Chan a voulu établir les objectifs de son ministère, un fonctionnaire lui a conseillé de se rendre à Montréal pour y rencontrer André Desmarais. Dans les somptueux bureaux de Power Corporation, Chan a remarqué, au milieu de tableaux de peintres canadiens (Krieghoff, Groupe des Sept, Riopelle), une peinture hors contexte.

Desmarais lui a dit qu’elle lui avait été donnée par son bon ami le premier ministre chinois Li Peng, soit celui-là même qui avait proclamé la loi martiale le 20 mai 1989 qui a conduit à la répression sanglante du 3 juin sur la place Tiananmen. Raymond Chan n’était pas sans savoir qui était Li Peng. Trois ans auparavant, il avait été expulsé de Chine pour avoir manifesté sur la place Tiananmen à l’occasion du premier anniversaire de la répression.

Manthorpe cite Chan : « Nous avons quitté les bureaux de Power Corporation avec le sentiment qu’on venait de nous dire, dans les termes les moins ambigus possible, où était définie la politique du Canada à l’égard de la Chine ».