La fin de la longue histoire d’amour entre la Chine et le Parti libéral du Canada (5)

2019/03/15 | Par Pierre Dubuc

Les Instituts Confucius

Selon Jonathan Manhorpe, l’auteur de Claws of the Panda, Beijing’s Campaign of Influence and Intimidation in Canada, la Chine développe son influence à l’étranger par l’intermédiaire de plusieurs organismes, dont le but est de rassembler les Chinois de Chine et de l’étranger dans une même lutte contre les ennemis de la mère patrie.

Ainsi, le Bureau des Affaires des Chinois d’outremer a pour objectif de maintenir un niveau utile de patriotisme entre eux, tout en maintenant des liens avec la mère patrie et les villes et villages de leur lieu d’origine par toutes sortes d’activités (commerce, sport, groupes culturels, associations de famille ou de lieu de naissance). Plus de 50 millions de Chinois vivent à l’étranger, dont 80% ont pris la citoyenneté du pays où ils résident.

Les instituts Confucius, implantés depuis 2004 dans plusieurs villes du monde, ont pour buts principaux de dispenser des cours de chinois, de soutenir des activités d’enseignement locales et de délivrer des diplômes de langues. Le nom « Institut Confucius » est évidemment plus facilement acceptable que « Institut Mao Tse Toung ».  Elles sont sous la supervision de l’agence chinoise Hanban, le Bureau national pour l’enseignement du chinois langue étrangère. Leur création s’inspire des instituts Goethe allemands et des Alliances françaises de la France. En 2016, il y avait 510 instituts Confucius dans 140 pays et Beijing prévoit la présence de 1 000 instituts en 2020. Au Canada, il y a 12 instituts Confucius dans des collèges et universités et 35 dans des écoles secondaires (high schools). Depuis le mois d’octobre 2007, il y a un Institut Confucius au collège Dawson à Montréal.

Depuis leur création, les instituts sont l’objet de controverses. Selon l'hebdomadaire britannique The Economist, Li Changchun, secrétaire du Département de la propagande du Parti communiste chinois, considère que les instituts Confucius doivent assurer « une part importante du dispositif de propagande de la Chine à l'étranger ». Fabrice de Pierrebourg et Miche Juneau-Katsuya soutiennent qu’ils pourraient être impliqués dans des opérations d’espionnage scientifique et technologique. Pour ces raisons, plusieurs universités, comme Harvard, Lyon, ont refusé d’établir ou ont résilié des liens avec les instituts Confucius. En décembre 2013, l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) invitait les universités et les facultés canadiennes à rompre leurs liens avec les instituts Confucius. En juin 2014, l'American Association of University Professors, aussi, demandait aux universités américaines de rompre leurs liens avec les instituts Confucius ou de reconsidérer les protections garantissant l'indépendance de ces universités.

 

Falun Gong

Par l’intermédiaire du personnel de son ambassade et de ses consulats, et de différents organismes, la Chine cible prioritairement cinq groupes d’opposants à ses politiques : les partisans d’un Tibet indépendant, les supporteurs de la région autonome ouïghoure du Xinjiang et de Taïwan, les promoteurs de la démocratie en Chine et les disciples de Falun Gong.

Il y a au Canada près de 5 000 Canadiens d’origine tibétaine, quelque 400 Ouïghours fuyant la répression au Xinjiang et 100 000 Canadiens d’origine taïwanaise.

Falun Gong est un groupe qui fait la promotion d’une approche bouddhiste de la spiritualité et d’une bonne santé physique. Au départ, en 1992, il a été reconnu et soutenu par les autorités chinoises. Sept ans plus tard, on estimait à soixante-dix millions le nombre de Chinois qui le pratiquaient. Devant ce succès, les autorités ont cherché à le contrôler, mais cela a provoqué l’effet inverse.

Falun Gong est dans le collimateur des autorités chinoises depuis que 15 000 de ses adeptes ont manifesté contre les persécutions, près de la Cité interdite, le 25 avril 1999, soit à la veille du dixième anniversaire de la répression de la place Tiananmen. Trois mois plus tard, le groupe était déclaré illégal et considéré comme une des principales menaces à la sécurité nationale. Les membres de Falun Gong ont fait l’objet de détentions et de mauvais traitements en Chine et de harcèlement à l’étranger. Son dirigeant, Li Hongzhi, vit aux États-Unis. Leur journal Epoch Times est distribué au Canada. Une version française, Époque Times, est distribuée gratuitement à plusieurs endroits à Montréal.

Selon Jonathan Manthorpe, les opposants à la politique chinoise sont victimes d’intimidations par cyberattaques, appels téléphoniques, distribution de propagande haineuse, filatures par agents du PCC, harcèlement lors de manifs, détention et intimidation de Canadiens d’origine chinoise visitant la Chine, intimidation de parents en Chine, utilisation de contacts politiques au Canada pour interférer dans les droits à la liberté d’expression et d’assemblée.

 

La fin d’une longue histoire d’amour

Que des pays cherchent, par l’intermédiaire de leur diaspora, à influencer la politique étrangère canadienne n’est pas propre à la Chine. La communauté juive intervient sur la place publique pour riposter à toute critique concernant Israël. La communauté ukrainienne est bien représentée au cabinet Trudeau par la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland. Elle a déterminé la politique pro ukrainienne et antirusse du gouvernement Trudeau.  Son parti-pris antirusse est tel qu’elle est interdite de séjour en Russie.

Mais l’influence la plus importante sur la politique canadienne est celle des États-Unis, au point où elle nous paraît aller de soi. Le Canada fait partie de l’OTAN, de NORAD et sa politique étrangère est pratiquement calquée sur celle de la Maison-Blanche, comme nous le voyons au Venezuela. La politique économique canadienne est en quasi-osmose avec celle de Washington, tant les intérêts commerciaux et financiers canadiens sont imbriqués les uns dans les autres. Le traité de libre-échange nord-américain en est l’exemple le plus frappant.

Dans ce contexte, il est à se demander quelle sera la réaction de l’importante communauté chinoise du Canada, présente particulièrement sur la côte ouest du pays, devant le bras de fer qui s’annonce entre les États-Unis et la Chine, dont l’affaire Huawei est actuellement le symbole.

Fort probablement que le Canada cédera devant les États-Unis, comme ce fut le cas avec l’incorporation de la clause anti-Chine dans l’ AEUMC. Quelle sera la réaction de la Chine? De ses institutions au Canada? De la communauté chinoise canadienne?

Jusqu’ici, le Parti Libéral du Canada a été le canal politique historique des relations politiques, économiques et culturelles entre la Chine et le Canada. Qu’adviendra-t-il si cette longue histoire d’amour se termine?