Laïcité : un projet de loi attendu dont il faut se réjouir

2019/04/02 | Par Diane Guilbault

L’auteure est présidente de l’organisme Pour les droits des femmes du Québec

Comme la grande majorité des Québécoises et des Québécois, Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) reçoit le projet de loi 21 avec satisfaction et soulagement.

Soulagement parce qu’enfin, après des années d’intrusions du religieux dans les instances publiques à coups d’accommodements, de discussions sans fin, ce gouvernement donne suite à son engagement électoral et livre un projet de loi sérieux qui, certes, n’est pas sans défaut, mais qui tient la route et répond aux aspirations de la société québécoise.

Nous le recevons également avec satisfaction parce que c’est l’aboutissement attendu de la longue marche vers un État laïque qui avait fait une pause depuis l’amendement constitutionnel de 1997. Cet amendement, trop de gens l’oublient ou l’ignorent, avait pour effet d’abolir les droits et privilèges constitutionnels des Québécois catholiques et protestants pour permettre la déghettoïsation du système scolaire public, jusque-là basé sur l’appartenance religieuse, et ainsi mettre sur pied des commissions scolaires linguistiques.

La laïcité n’est pas une valeur proprement québécoise, mais la vision que nous en avons est différente de celle du monde anglo-saxon. Comme d’autres sociétés catholiques qui ont vu l’Église diriger les affaires de l’État, le Québec veut que la séparation du religieux et de l’État protège l’État de l’intrusion du religieux. De leur côté, les Anglo-Saxons, de tradition protestante, sont les héritiers des pèlerins qui ont fui les persécutions religieuses et qui ont voulu que cette séparation État-religions protège les groupes religieux de l’intrusion de l’État. Chez les uns, on a inventé le concept de laïcité, (un mot qui n’existe pas en anglais) pour nommer cette séparation officielle de l’État et des religions. De l’autre côté, on constate que le multi-confessionnalisme s’est imposé, permettant à chaque individu d’afficher ses préférences en matière de religion.

Des histoires différentes amènent naturellement des visions différentes et donc des solutions différentes. Le Québec n’a pas à rougir de sa vision et les élites du Canada anglais et ceux qui adhèrent à sa vision multiculturaliste et communautariste n’ont pas de leçon à nous donner.

 

Des groupes québécois imprégnés de culture anglo-saxonne

On constate également, au vu des réactions, que certains groupes québécois sont maintenant imprégnés de culture anglo-saxonne au point de renier des positions antérieures. Je pense ici notamment aux syndicats d’enseignants et à certaines organisations de femmes.

Rappelons qu’au milieu des années ’90, époque où on discutait ferme de l’amendement constitutionnel sur le système scolaire, au moment aussi où une adolescente était arrivée à l’école avec son hijab en contravention du code vestimentaire, féministes et syndicats étaient en faveur de l’interdiction de l’affichage des signes religieux dans les écoles.

Pour exemple, je voudrais citer une certaine Alliance des professeurs et professeures de Montréal qui écrivait : «La propagation du voile est loin d’être anodine puisqu’elle est devenue le symbole de la puissance politique des groupes intégristes qui prennent en otage non seulement les femmes, mais la liberté d’expression de toutes les forces sociales qui ne partagent pas leur opinion. […] Le vrai problème du voile c’est l’idéologie qu’il véhicule, une détérioration de la condition des femmes.»[1] Et à compter de 1995, la Centrale des enseignants du Québec avait demandé que soit interdit le port de signes religieux ostentatoires en milieu scolaire et, qu’entre-temps, les codes de vie des écoles les interdisent. Les interdictions demandées par les syndicats allaient donc beaucoup plus loin que celles proposées par le projet de loi 21.

De son côté, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) a réagi au Projet de loi no. 21 en dénonçant le racisme, le repli identitaire et la «laïcisation de l’oppression». Dans son communiqué, la FFQ écrit qu’elle «rejette en bloc toute instrumentalisation de l’égalité hommes-femmes dans l’élaboration de ce projet de loi. Nous refusons que l’État québécois dicte à des femmes ce qu’elles devraient porter ou non.» Cette position illustre le virage de la FFQ en matière d’analyse féministe. D’une part, depuis quelques années, la FFQ a adopté une vision centrée sur les droits individuels. D’autre part, conformément à la philosophie multiculturaliste, la FFQ voit dorénavant la religion seulement comme une identité et non plus comme un ensemble de règles contraignantes surtout pour les femmes, justifiant leur infériorisation. Pourtant, partout dans le monde, et en particulier au Québec, l’émancipation des femmes n’a pu se faire sans leur émancipation des religions.

Par ailleurs, si le projet de loi sur la laïcité était anti-islam, tous les musulmans seraient concernés. Or, ce n’est pas le cas puisque cela ne touchera aucun homme musulman. Si le projet de loi était anti-femmes, il affecterait toutes les femmes. Or, ce n’est pas le cas. Ne seront touchées que les femmes qui portent le voile islamique. Si ce ne sont qu’elles qui sont touchées, la source de la discrimination n’est-elle pas plutôt dans l’obligation qui serait faite à des femmes – et à des femmes seulement – de se cacher les cheveux dans l’espace public? Pourquoi ne pas admettre que ce sont des règles religieuses patriarcales qui dictent à des femmes comment s’habiller et qu’elle est là la discrimination?

Qui plus est, le Projet de loi  no. 21, loin d’instrumentaliser les femmes, donne au contraire pour la première fois aux femmes qui ne veulent pas porter ce voile, mais qui y sont obligées, la possibilité concrète d’échapper à cet asservissement le temps qu’elles travaillent.

La société québécoise appuie fortement ce projet et, contrairement aux communautaristes qui veulent nous faire croire qu’il s’agit d’un combat contre des minorités, il reflète la volonté d’une majorité démocratique, forte de ses citoyennes et citoyens de toutes origines qui partagent cette vision commune de la citoyenneté. Une vision qui va au-delà des appartenances religieuses pour favoriser un réel vivre-ensemble.

 

[1] Fédération autonome de l’enseignement, Laïcité et accommodements raisonnables- Prendre position, janvier 2012