Pommes, oranges… et citron

2019/05/10 | Par Michel Rioux

Pendant que la Caisse de dépôt, à l’instar des grands bandits du capitalisme, parque sans nous consulter des milliards de nos épargnes aux Îles Caïmans, aux Bermudes, au Luxembourg et autres paradis du blanchiment d’argent ; alors que le gouvernement fédéral s’interdit de taxer les géants du web qui phagocytent nos entreprises de presse, poussant plusieurs d’entre elles au bord de la faillite ; tandis que les gouvernements abandonnent notre patrimoine bâti aux mains de municipalités attirées davantage par les taxes foncières que par notre histoire et que des patrons encaissent des revenus jusqu’à 1000 fois plus élevés que la moyenne de leurs employés, un politologue de l’UQAM compare des pommes et des oranges en traçant un parallèle entre l’antisémitisme ravageur des années 30 et l’islamophobie rampante qui déferlerait aujourd’hui sur le Québec.

Vraiment, monsieur Francis Dupuis-Déri n’y va pas avec le dos de la mer morte, comme aurait dit Jean Perron, père de multiples perronismes…

Force est de constater que dans ce débat qui a cours ici depuis plus de dix ans, rien ne nous aura été épargné.

S’appuyant sur une mobilisation – en réalité fort peu glorieuse – contre l’engagement d’un médecin juif à l’hôpital Notre-Dame en 1934, notre politologue, dans une tribune libre intitulée De la grève de 1934 à la loi 21, tente d’établir un lien historique entre ces deux situations qu’il est grotesque de comparer.

Comment, alors que l’Italie, l’Espagne et le Portugal étaient fascistes avec Musssolini, Franco et Salazar, que l’Allemagne était nazie avec Hitler et que la France s’apprêtait à être pétainiste, le Québec aurait-il été épargné ? Et pourquoi ne s’en prendre qu’aux Québécois francophones quand cette tare atteignait à l’époque à peu près tous les acteurs sociaux, dont l’honorable McGill University, comme en témoigne ce texte du Musée du Montréal juif ?

« Les mesures discriminatoires à l’endroit des Juifs à l’Université McGill rendent compte d’une période historique marquée par un penchant pour l’antisémitisme chez les anglophones du Québec. À la fois plus insidieux et moins public que celui de certaines personnalités intellectuelles, religieuses et politiques francophones, ce penchant antisémite était tout aussi nuisible, car il limitait les opportunités économiques et sociales des Juifs. »

Et quand on voit des manifestants défiler ce printemps à Québec sous une bannière clamant Vous êtes pas écoeurés d’être racistes, bande de caves !, on se souvient de ces lignes d’André D’Allemagne écrites en 1966 : «  Ce colonisateur (le Canada) étant foncièrement raciste, le nationalisme des autres lui apparaît automatiquement raciste. C’est ainsi qu’un René Lévesque est accusé de racisme par la radio anglo-montréalaise du fait qu’il a préconisé la nationalisation de l’électricité. (…) De même, la presse anglophone et la presse québécoise colonialiste se sont efforcées d’associer au fascisme le mouvement indépendantiste québécois alors que le seul mouvement fasciste au Québec, celui d’Adrien Arcand, a toujours été au contraire farouchement fédéraliste, pancanadianiste et royaliste ».

De son côté, le grand philosophe Charles Taylor, à qui peu lui chaut de prendre la parole dans une manifestation organisée par Adil Charkaoui et l’imam Salam Elmenyawi, s’est livré à un aveu de taille lors de la commission parlementaire consacrée au projet de loi 21. Les recommandations qu’il avait pourtant signées n’étaient, à ses yeux, qu’une sorte d’os jeté à des chiens enragés dans le but de les calmer ! Constatons une fois de plus que le grand philosophe perd tout simplement les pédales dès lors qu’il est question que le Québec se distingue du modèle multiculturel canadian.

Il faut se souvenir des énormités proférées en 1977 contre la loi 101. Le Soleil rappelait dans un article que  durant des mois, les médias anglophones la décrivaient comme un concentré d'apocalypse. Le Maclean's avait présenté René Lévesque comme un «fanatique vêtu d'un tuxedo de location». Camille Laurin était fréquemment comparé Joseph Goebbels. Or, comme le rappelait quelqu’un, contrairement aux nazis qui forçaient les Juifs à porter une étoile jaune pour marquer leur identité, le projet de loi demande au contraire, dans certaines circonstances, de ne pas afficher de signes identitaires religieux.

Cette hystérie collective qui s’empare de ces personnes quand le Québec sort du rang finit par devenir une vilaine habitude. Mais ce qui diffère dans les temps présents, c’est que cette hystérie n’est plus l’apanage des anglophones et d’un grand nombre d’allophones, mais qu’elle est partagée par une intelligentsia francophone déconnectée de son peuple.  

Et pour n’avoir pas su distinguer pommes et oranges, le politologue spécialiste des Black blocs mérite le Prix citron !