Revue de presse 27-31 mai 2019

2019/05/31 | Par Pierre Dubuc

Yves Boisvert « on the road » pour prendre le pouls des Québécois sur la laïcité

À la mi-mai, La Presse + amorçait, sous la plume d’Yves Boisvert, une série de 8 articles avec comme en-tête dans chacun de ces articles le texte suivant : « Les consultations publiques sur le projet de loi 21 sur la laïcité de l'État sont terminées. Le débat a été vif, mais les sondages révèlent que la majorité de la population en appuie les principes, notamment l'interdiction pour les enseignants de porter des signes religieux. Notre chroniqueur est allé prendre le pouls des Québécois ».

Bon ! On se disait que la direction de La Presse + a compris que ses chroniqueurs étaient en porte-à-faux avec son lectorat puisque, selon les derniers sondages, 69% des francophones appuient le projet de loi sur la laïcité de l’État. Yves Boisvert nous ayant habitués à de jolies chroniques « on the road » aux États-Unis et ailleurs, on piaffait d’impatience. Comment le chroniqueur chartiste anti-loi 21 allait-il rapporter les propos de la population des régions?

Eh bien! Il ne les a tout simplement pas rapportés ! Il s’est arrêté à La Tuque, St-Thècle, St-Félicien, au village La Doré, à Lebel-sur-Quévillon, à La Sarre, à Rouyn-Noranda. Il nous a parlé de plein de choses intéressantes. Mais pas de laïcité ! Ou si peu. Nous avons fait le calcul, environ 1800 mots sur une somme globale de plus de 12 200 mots. Soit à peine 15% !

Et encore ! Il a trouvé le tour de rapporter les propos d’une majorité de personnes opposées au projet de loi 21 ! Faut le faire ! Il le reconnaît : « Mes notes, ce sont des impressions. Et mon impression première, c’est que le sujet des signes religieux est assez loin dans la liste des priorités régionales ou nationales. Ça ne veut pas dire que les gens n’ont pas une ‘‘opinion’’. Quand on demande, on l’entend. Mais chez ceux à qui j’ai parlé, elle est sous le signe de la modération… et de la lassitude, un peu ».

En fait, il n’a pas pris de risque. Il n’a pas demandé aux gens leur « opinion ». Et il a surtout « entendu » des « opinions » qui confortaient la sienne ! 

Il ajoute : « J’ai pas fait exprès, je vous jure, c’est tombé comme ça. Prochain coup, je demanderai à un institut de sondage de me trouver un échantillon représentatif de la population ‘‘en région’’, promis ».

Mais oui! Mais oui!, mon cher Yves!

Un message à la direction de La Presse + : La prochaine fois qu’Yves Boisvert veut faire une tournée du Québec, évitez de nous faire accroire qu’il va « prendre le pouls des Québécois » et de coiffer ses articles de fausses représentations.

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Dominic Champagne va-t-il porter un macaron « J’aime mon premier ministre…. Trudeau »?

Il était étonnant de voir Dominic Champagne consacrer tous ses efforts de persuasion sur François Legault et la CAQ. Après tout, la principale source d’émission de GES n’est-elle pas l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta? Pourquoi alors ne pas cibler Justin Trudeau?

En effectuant quelques recherches en ligne, on tombe sur cette analyse de l’initiateur du Pacte pour la transition :  « Trudeau avait une ambition importante en termes de lutte contre les changements climatiques et qui a dérapé depuis un an. Il s’est discrédité avec l’achat du pipeline Trans Mountain, notamment ».

Bon, la cause est entendue… euh, pas si vite ! Champagne n’arrive pas à se résoudre, apprend-on, à la possibilité du retour des Conservateurs au pouvoir. Il attend donc que Trudeau « pose des gestes » pour renverser la tendance, nous informe La Presse + du 28 mai. Donc, Trudeau a « dérapé » et s’est « discrédité », mais il pourrait poser des « gestes ». Peut-être pas assez pour que Champagne se promène avec un macaron « J’aime mon premier ministre Trudeau », mais peut-être assez pour qu’il appelle à voter Trudeau !

En 2012, Champagne avait publié un opuscule de 80 pages, « Le gouvernement invisible » (Éditions Tête Première), dans lequel il invitait à la création d’une large coalition pour l’environnement au-delà des divisions souveraineté/fédéralisme, gauche/droite, au-delà des partis politiques.  

Maintenant que Dominic Champagne a compris l’importance des partis politiques en adhérant à la CAQ, Monique Pauzé, la responsable du dossier sur l’environnement au Bloc Québécois, devrait le contacter pour lui vendre une carte de membre du Bloc. Elle pourrait lui expliquer qu’avec une forte représentation à la Chambre des communes, le Bloc pourrait détenir la balance du pouvoir et contrecarrer les projets pétroliers des Conservateurs ou des Libéraux.

Plus fondamentalement encore, il devrait comprendre que la question nationale québécoise est le plus puissant levier politique au Canada pour faire avance la cause de l’environnement.

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Forte odeur d’essence au Parti Vert

Est-ce l’odeur combinée du pouvoir et de l’essence qui enivre à ce point ? Toujours est-il que la chef du Parti Vert, Elizabeth May, a déclaré, lors de l’assermentation à la Chambre des communes de son nouveau député Paul Manly, vouloir « fermer le robinet des importations de pétrole » pour le remplacer, partout au Canada, par le pétrole des sables bitumineux. Fini le pétrole « sale » ! Jason Kenny n’en demandait pas autant ! Bay Street non plus !

Mme May appuie ainsi le plan d’Andrew Scheer de mettre fin aux importations de pétrole d’ici 2030.  Le plan de Scheer implique la création d’un « corridor énergétique » d’ouest en est et la réactivation du projet d’Énergie Est d’un pipeline traversant le Québec pour atteindre les raffineries de la famille Irving au Nouveau-Brunswick.

Mme May déclare toujours s’opposer à la construction du pipeline d’Énergie Est mais, selon le Globe and Mail du 28 mai, elle privilégie le transport du pétrole par train ! Faudrait que quelqu’un lui fasse parvenir le livre d’Anne-Marie Saint-Cerny sur la tragédie de Mégantic !

Mais, bien entendu, nous dit Mme May, ce n’est là qu’une mesure provisoire d’ici à ce que le Canada s’affranchisse totalement du pétrole ! Une déclaration que pourraient contresigner Andrew Scheer, Maxime Bernier, les pétrolières et les financiers de Bay Street à Toronto.

Cette convergence entre Verts et Conservateurs n’est pas aussi étonnante qu’elle y paraît à première vue. Jim Harris, le prédécesseur de Mme May, à la tête du Parti Vert de 2003 à 2006, se décrivait comme un conservateur écologiste et écocapitaliste. En 2006, Mme May avait invité Garth Turner, un député exclu du caucus conservateur, à se joindre au Parti vert et à devenir le premier député vert à la Chambre des communes.

Aujourd’hui, un seul nouveau député enivre Mme May ! Imaginons les « Verts » au pouvoir ! Ou tout simplement détenir la balance du pouvoir! En attendant, Mme May a les yeux rivés sur le compte Paypal de sa caisse électorale.

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Lysiane Gagnon se trompe !

Dans sa chronique du 29 mai, la chroniqueuse Lysiane Gagnon de La Presse + attribue à la saga du Brexit le changement de politique des partis populistes européens.  Elle écrit : « Le cauchemar du Brexit, qui fait de la fière Albion la risée du monde, a eu l’effet d’un vaccin antisécessionniste. Les champions du repli nationaliste et de la ligne dure face aux migrants – Marine Le Pen en France, Matteo Salvini en Italie ou Viktor Orban en Hongrie – ne parlent plus de sortir de l’Europe. Ils sont devenus des ‘‘eurosceptiques’’ plus ou moins résignés à rester dans l’Union européenne… en la changeant radicalement ».

Bien évidemment, le message subliminal d’une bonne fédéraliste comme Lysiane Gagnon s’adresse aux indépendantistes québécois. Sauf qu’elle a tort. Le changement d’orientation des eurosceptiques est survenu bien avant le Brexit. Il date du débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, lors de la campagne présidentielle française de 2017. Marine Le Pen avait alors été incapable de défendre la position de son parti sur la sortie de l’euro. Ce fut l’argument massue qui assura le triomphe de Macron, lors de ce débat.

À partir de ce moment, les eurosceptiques ont changé de stratégie. La grande majorité d’entre eux ont cessé de proposer le retrait de leur pays de l’Union européenne. Sauf les Britanniques. Mais ceux-ci ne partagent pas la monnaie commune. Ils ont la livre sterling.

En 1995, Jacques Parizeau et le Parti Québécois proposaient qu’un Québec indépendant conserve le dollar canadien. Visionnaire, le Monsieur.


Tout ira bien !

La journaliste Marie Jégo, correspondante à Istanbul du journal Le Monde nous informe que, confronté au discours clivant et agressif des islamo-conservateurs, le candidat du Parti républicain du peuple à l’élection municipale d’Istanbul a décidé de la jouer « cool ».

Le 31 mars, Ekrem Imamoglu a été élu maire de la métropole du Bosphore, avec moins de 13 000 voix d’avance sur son rival du Parti de la justice et du développement (AKP), un proche du président turc Recep Tayyip Erdogan.

Le 6 mai, son mandat a été invalidé par la Haute Commission électorale, à la demande de l’AKP, pour cause de supposées « irrégularités ». Mais Ekrem Imamoglu est de nouveau candidat pour le nouveau scrutin prévu pour le 23 juin. Sur Twitter, son mot-clé préféré, #toutirabien est devenu viral.

Les artistes et les fans de football l’ont adopté. « Tout ira bien » a été scandé sur les gradins des stades de football de la ville sur le Bosphore en signe de soutien au candidat de l’opposition. Grâce à sa stratégie, M. Imamoglu a réussi à faire d’une phrase des plus anodines un slogan politique subversif qui donne des sueurs froides au pouvoir en place.

Sa campagne nous fait penser à celle de l’opposition à Pinochet lors du référendum chilien de 1988, relaté dans le film « No » du cinéaste Pablo Larraín. Dans ce film, les partisans du « Non » font appel aux services d’un jeune publicitaire, qui va déconcerter les partisans du régime en place, mais aussi ses propres compagnons, en misant sur une campagne positive placée sous le signe de la joie, la seule susceptible selon lui de séduire les indécis, jeunes ou âgés. Le « Non » l'a largement emporté, marquant la fin du régime militaire d'Augusto Pinochet et ouvrant la voie à la transition démocratique chilienne.

À méditer par tous nos stratèges politiques.