Tueurs à gages et autres exagérations

2019/06/06 | Par Michel Rioux

Talleyrand a commis plusieurs aphorismes qui ont traversé les siècles. Par exemple celui-ci :« Un gouvernement qu’on soutient est un gouvernement qui tombe ». Il s’y connaissait en la matière, lui qui a servi et trahi à peu près tous les gouvernements français durant 40 ans.

Mais quand il a dit que tout ce qui est excessif est insignifiant, il n’avait peut-être pas calculé à quel point certaines exagérations peuvent au contraire se révéler fort signifiantes.

Ainsi, quand le pape François a accusé, en octobre dernier, ceux qui pratiquent l’avortement d’être des « tueurs à gages », on s’est dit que les mots avaient sans doute dépassé sa pensée et qu’il ne récidiverait pas. Il est pourtant revenu à la charge dernièrement avec la même expression. Ce qui en fait l’allié objectif et compagnon de route de ces chrétiens enragés qui sévissent en Louisiane, en Géorgie, en Alabama et autres États voyous. Force est de constater que ce sont massivement des hommes qui crachent ainsi à la figure de la moitié de l’humanité en lui déniant le droit de s’autodéterminer en cette matière qui relève d’elle pourtant au premier chef.

« Des décennies durant, la Roumanie communiste a été un test grandeur nature de ce qui peut arriver lorsqu’un pays interdit entièrement l’avortement, et les résultats sont terrifiants », pouvait-on lire dans un dossier de Foreign Policy paru en mai. On estime en effet qu’au moins 10 000 femmes sont mortes à la suite d’avortements clandestins, sans compter les enfants non désirés abandonnés dans des orphelinats sordides. Ce dont il est ici question, ce n’est pas seulement la cause des femmes, mais bien celle de l’humanité tout entière.

 

Le lait en poudre

Ainsi, quand un avocat, Me Azim Hussain, soutient sans rire, dans un texte publié dans Le Devoir, que le projet de loi sur la laïcité « met par le fait même en péril le projet linguistique » au Québec, on se dit qu’il y a là quelque chose d’excessif, mais de fort signifiant par ailleurs.

Ainsi, quand une centaine de professionnels de la santé avance que le projet de loi sur la laïcité met en danger la santé des femmes qui portent le voile, on se dit qu’il y a là quelque chose d’excessif, mais de fort signifiant par ailleurs.

Les paris sont ouverts à savoir qui, d’ici la fin du mois, proclamera que l’adoption de la loi 21 aura pour funeste conséquence que les vaches produiront dorénavant du lait en poudre…

 

Vespasien

Ainsi, à moins que l’État québécois ne décide de créer des sociétés concurrentes, la SAQ, Hydro-Québec, la Caisse de dépôt, Loto-Québec, Investissement Québec et autres sociétés publiques demeureront des monopoles d’État. Tombe ainsi en majeure partie l’argument selon lequel il faut impérativement offrir des conditions mirobolantes à leurs dirigeants de crainte que la concurrence ne les recrute.

Le récent rapport de la Vérificatrice générale du Québec nous a en fait voir des vertes et des pas mûres à cet égard…

Ainsi, cinq sociétés d’État ont versé des primes cachées de 3,4 millions $ alors qu’elles n’en ont déclaré que 800 000 $. Pour la transparence, on repassera ! À la SAQ, un dirigeant a reçu une prime de 15 mois de salaire après avoir travaillé… 24 mois… D’excellentes enquêtes du Journal de Montréal ont révélé, entre autres, que depuis 2008, le salaire de base du PDG avait augmenté de 57 % pendant que les revenus accusaient un recul de 7 %... On a aussi appris que pas moins de 114 employés de l’État ou de ses sociétés avaient un salaire plus élevé que celui du Premier ministre du Québec. Et il y en a qui se démarquent davantage que d’autres. C’est ainsi que la déléguée générale du Québec à Los Angeles, madame Elizabeth MacKay, a vu salaire et allocations augmenter de 87 %, à 368 131 $. Son collègue délégué à Atlanta a connu une hausse de 57 %.

Les travailleuses et travailleurs de la santé et de l’éducation doivent bien se demander ce qu’il faut faire pour toucher davantage que des augmentations annuelles de 1,5 % !

Pour faire fructifier les épargnes des Québécois, la Caisse de dépôt n’hésite pas à investir dans des paradis fiscaux. En cinq ans, le nombre de placements dans ces lieux mal famés est passé de 249 à 331, leur valeur ayant augmenté de 11,66 milliards $ à 29,77 milliards $. Nous ne sommes pas loin de partager le point de vue de l’humoriste Philippe Bouvard, qui soutenait que « le requin est un animal cruel et mythique qui ne se trouve plus guère que dans les basses eaux de la finance ».

L’empereur Vespasien expliqua un jour à son fils Titus que l’argent n’a pas d’odeur. Tristan Bernard a cependant ajouté qu’à partir d’un million, il commence à se faire sentir…