Jimmy Carter vs les dépenses militaires de Trump et Trudeau

2019/08/26 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est artiste pour la paix, professeur honoraire de l'Université du Québec à Montréal, membre exécutif des Conférences sur la Science et les Affaires mondiales Pugwash (Canada) et du Réseau canadien pour l'abolition des armes nucléaires.

Merci à Nancy K. Brown, membre du Mouvement Québécois pour la Paix, des Raging Grannies, d'Amnistie Internationale et de Leap Montreal (L’Élan Global - Montréal) et à Pascale Camirand. Version du 25/08/2019. Une version succincte a été publiée il y a un mois par la Tribune et Le Devoir.

25 septembre 2017
à Ottawa:

Pierre Jasmin,
Debbie Grisdale &
Steven Staples

 posent avec la joyeuse ambassadrice costaricienne

Elayne Whyte
Gomez, en blanc.

Nous avons critiqué fortement le refus de la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, de soutenir le Traité d'interdiction des armes nucléaires (TIAN) soutenu par 122 pays après avoir été proposé le 7 juillet 2017 aux Nations Unies par l'ambassadrice du Costa Rica, Elayne Whyte Gomez. Et que dire de la lâche réaction de la ministre face à l’annulation, par le président Trump, du Plan d’action global commun (connu sous le nom d’accord iranien) et du Traité de contrôle des forces nucléaires à portée intermédiaire (INF) de 1987, signé par Gorbatchev et Reagan ?

 

Une conversation entre Carter et Trump

À l'âge de 94 ans, le 5 avril 2019, Jimmy Carter - le plus ancien président américain vivant - a prononcé devant sa communauté son discours traditionnel du dimanche des Rameaux. Son prêche à l'église baptiste Maranatha de Plains, en Géorgie, révéla le contenu d'une conversation la veille avec Donald Trump (confirmée par la Maison Blanche). Répondant à l’inquiétude du président que la Chine était en train de devancer les États-Unis, Carter a révélé à sa communauté religieuse sa réponse:

« C'est vrai, Monsieur le Président. Et savez-vous pourquoi? J'ai normalisé les relations diplomatiques avec la Chine il y a quarante ans. Depuis 1979, savez-vous combien de fois la Chine a été en guerre avec qui que ce soit? Aucune. Et nous sommes restés en guerre » a-t-il dit. Carter a poursuivi: « Les États-Unis sont la nation la plus belliqueuse de l'histoire du monde en raison de sa volonté d'imposer les valeurs américaines à d'autres pays. La Chine investit ses ressources dans des projets tels que les chemins de fer à grande vitesse, au lieu des dépenses militaires. "Combien de kilomètres de chemin de fer à grande vitesse avons-nous dans ce pays?" »

« Aucun », a répondu la congrégation.

« Nous avons gaspillé, je pense, 30 000 milliards de dollars », a déclaré Carter, évoquant les dépenses militaires américaines. « La Chine n'a pas gaspillé un seul centime sur la guerre, et c'est pourquoi elle est en avance sur nous. Dans presque tous les domaines. Si nous prenions 30 000 milliards de dollars et que nous les investissions dans les infrastructures américaines, nous aurions des chemins de fer à grande vitesse. Nous aurions des ponts qui ne s'effondreraient pas. Nous aurions des routes bien entretenues. Notre système éducatif serait aussi bon que celui de la Corée du Sud ou de Hong Kong, par exemple. » Carter n’a malheureusement pas mentionné le financement d’un système public de soins de santé.

 

Le Canada imite les dépenses militaires américaines

Chez nous, l'OTAN oblige le gouvernement Trudeau à acheter pour $70 milliards de navires de guerre Irving/Lockheed Martin et pour $ 3 milliards de blindés General Dynamics (les mêmes envoyés en Arabie saoudite qui les utilise contre les enfants du Yémen). Bientôt, des dizaines de milliards de dollars supplémentaires seront gaspillés pour des avions d’attaque Lockheed Martin, qui seront choisis, si on en croit leurs concurrents Boeing et Airbus. Notez que Lockheed Martin, qui fabrique les F-35 avec Northrop Grunman, emploie l'ancien général Charles Bouchard qui a dirigé l'attaque aérienne de l'OTAN contre la Libye en 2011. Cette attaque a laissé le pays en ruine et dispersé les armes de Kadhafi entre les mains de djihadistes meurtriers.

En conséquence de la poursuite de guerres coloniales aussi en Afghanistan et en Syrie, le nombre de réfugiés de guerre (et climatiques) et de personnes déplacées a atteint plus de 70 millions, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. La présence de ces demandeurs d'asile frappant aux portes occidentales enflamme le racisme d'extrême droite et provoque des élections de gouvernements populistes (et du Brexit) en Italie, en Hongrie, (au Royaume-Uni!) et en d'autres pays.

Si ces nouvelles dépenses militaires canadiennes ont pour effet d’augmenter l’impôt sur le revenu moyen à plus de 3 000 $ par citoyen canadien, ne devraient-elles pas être remises en question, vu les statistiques récentes de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), qui estime les dépenses militaires croissantes des pays de l’OTAN (y compris le Canada) à désormais PLUS DE 15 FOIS les dépenses militaires de la Russie ?

 

Une élection fédérale à venir

Que Réjean Hébert et Steven Guilbeault se portent candidats pour que le Parti libéral fasse avancer leurs causes respectives est compréhensible. Mais cela dépasse l’entendement qu’ils le fassent sans s'opposer dans leur parti aux dépenses militaires offensives qui réduiront les possibilités budgétaires pour les besoins des personnes âgées, des anciens combattants et de l'environnement.

Pour revenir au thème de Carter, Trudeau a approuvé de nouvelles dépenses militaires d’une centaine de milliards de dollars, tandis que son gouvernement a refusé de financer un éco-train rapide estimé en 2016 à 20 milliards de dollars pour la route Québec-Windsor[i]. Au-delà de cette thématique, combien peu de centaines de millions faudrait-il pour fournir de l’eau potable à toutes les communautés des Premières Nations? S'il était moins conservateur, Trudeau révoquerait les ministres Freeland et Sajjan et réinstallerait les anciens ministres Wilson-Raybould et Philpott. Quant aux NPD, Parti Vert et Bloc, ne devraient-ils pas s’acquitter de leurs rôles d’opposition en tant que progressistes?

 

Rappelez-vous les élections fédérales de 1993

En 1993, le gouvernement Kim Campbell était une cible facile pour la manipulation de l'OTAN, qui obligeait la Première ministre à acheter des hélicoptères italiens Agusta, cinquante ramenés à quarante-trois quand les propositions de Campbell se heurtèrent à la vive résistance des Artistes pour la Paix et de leurs presque six cents alliés - voir l’enquête populaire de 1992[ii], dirigée notamment par Konrad Sioui et le sénateur Doug Roche. Une grande campagne a été lancée contre ces EH-101 que Paramax devait équiper de canons absurdes, soi-disant capables de couler des sous-marins nucléaires russes naviguant dans les eaux canadiennes de l’Arctique canadien (malgré une surveillance intensive des États-Unis !?).

Il a également été officiellement révélé - mais jamais répété - que le ministre belge Willy Claes, alors secrétaire général de l'OTAN, avait été emprisonné pour avoir reçu un million de dollars de pots-de-vin d'Agusta. Il en a naïvement donné une partie à son Parti socialiste, au lieu d'utiliser des banques suisses ou des paradis fiscaux! Chrétien a habilement utilisé les arguments des pacifistes pour s’opposer avec succès à l’achat de ces hélicoptères. Le résultat fut une défaite démocratique stupéfiante pour le parti conservateur, avec seulement deux députés survivants. Et Chrétien s'est plutôt tourné vers les objectifs essentiels du désarmement des Nations Unies avec son admirable Convention de 1997 d'Ottawa sur les mines antipersonnel.

Alors, attend-il d’être âgé de 94 ans, pour s’indigner contre le fait qu’un des « deux députés survivants », Jean Charest, a récemment été embauché par le gouvernement Trudeau pour l'aider dans sa campagne électorale ? Les libéraux de 2019 ont-ils abandonné tous leurs principes?

Jean Chrétien, lors d'un récital Chopin par Pierre Jasmin, organisé par la gouverneure générale Michaëlle Jean et son mari Jean-Daniel Lafond à Rideau Hall en 2010 pour le roi de Norvège.

 


[i] Cet éco-train électrique, qu’on pourrait prolonger jusqu’à Percé pour en faire une capitale du tourisme, a de nombreux autres adversaires, comme les compagnies pétrolières et les compagnies aériennes, qui engloutissent d'énormes quantités de carburant sans être pénalisées par de strictes politiques environnementales.