Une intégration réussie – une responsabilité commune

2019/08/26 | Par Anne Michèle Meggs

L’auteure est ex-directrice de la planification, ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion

Les consultations récentes sur les seuils d’immigration et certaines sorties dans la marge ont fait ressortir deux mythes concernant les répercussions du nombre de personnes immigrantes admises annuellement pour certains aspects de la société. Deux mythes qui donnent lieu à des orientations contraires et qui en  révèlent plus sur les personnes et groupes qui les propagent que sur la réalité.

Le premier mythe est que les seuils élevés d’immigration sont le  facteur qui met en danger l’avenir de la langue française au Québec. Il faut donc baisser les seuils. Pourtant, les Projections linguistiques pour le Canada, 2011 à 2036 de Statistiques Canada publiées en janvier 2017 démontrent en effet qu’en baissant le nombre de personnes immigrantes admises, le déclin de la place du français au Québec ralentit. La conclusion : le français recule et l’anglais progresse quand même. Sans l’admission d’une seule personne immigrante!

Comment est-ce possible? Jean-François Vallée, dans ce journal, mentionne plusieurs faits concernant le comportement linguistique des francophones au Québec. On peut en ajouter d’autres, tirés des statistiques. L’étude sur les projections de StatCan offre quelques pistes d’explication. Chaque année, autour de 30 000 Québécoises et Québécois quittent le Québec à destination d’une autre province canadienne. On note également que les mariages mixtes entre francophones et anglophones poussent les transferts linguistiques vers l’anglais.

Le Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec de l’OQLF, sortie en avril dernier offre d’autres constats pertinents. Il nous rappelle, par exemple, l’engouement des élèves francophones pour les cégeps anglophones. Dans le monde culturel, malgré une production de spectacles de chanson plus élevée en français qu’en anglais, il y a plus de monde qui assistent aux spectacles de chanson anglophone (60 %) que francophone (39 %). Parmi les francophones, les jeunes sont les plus enclins à choisir des produits culturels en anglais.

Dans le monde du commerce, l’usage du français comme langue d’accueil dans les commerces de l’île de Montréal diminue en faveur de l’accueil en anglais ou bilingue. La proportion de personnes qui sont indifférentes lorsqu’elles sont servies dans une autre langue que le français augmente, tout particulièrement chez les jeunes francophones. En arrivant sur un site en anglais, seulement la moitié des francophones cherchent la version du site en français pour continuer leur magasinage.

Quant au milieu du travail, une étude d’Emploi Québec, citée partiellement par le Ministère dans son document de consultation, constate clairement que « les seuls critères de sélection qui ont un effet systématiquement positif sur la rapidité d’insertion en emploi sont les séjours antérieurs au Québec et la connaissance de l’anglais ». L’OQLF nous informe que 73 % des entreprises privées au Québec cherchent des personnes qui ont des compétences en anglais. L’usage du français comme langue de travail diminue au Québec depuis quinze ans, encore une fois, particulièrement chez les jeunes francophones.

En contrepartie, de plus en plus d’allophones utilisent le français à la maison et choisissent les cégeps francophones. Plus de la moitié (56 %) de la population immigrante du Québec utilisait le plus souvent le français au travail en 2016, tandis que moins du quart (24 %) y utilise le plus souvent l’anglais. La proportion de personnes immigrantes utilisant le plus souvent le français au travail est plus élevée chez celles arrivées récemment que chez celles arrivées avant 1981.

On ne peut donc mettre le blâme de tous les indicateurs négatifs de la situation du français sur les épaules des personnes immigrantes. La société d’accueil a le devoir de créer un espace propice à l’intégration en français de ces personnes. Il est à noter que le document de consultation sur les seuils d’immigration du gouvernement ne fait aucune mention des indicateurs de la situation du français au Québec. Il n’y a donc aucun lien entre le nombre d’admissions proposé par le gouvernement et la pérennité de la langue. Pas plus qu’il en y a entre les seuils proposés et les objectifs de sélection de francophones ou de francisation, objectifs que le gouvernement n’ose même pas chiffrer.

 

Immigration et pénurie de main-d’oeuvre

Le deuxième mythe entendu régulièrement, surtout des groupes d’employeurs québécois, est que l’immigration peut résoudre les problèmes de pénuries de main-d’œuvre ponctuels. Selon ce raisonnement, il faut absolument augmenter les seuils. On peut dire qu’il s’agit ici d’un mythe parce qu’il n’y a aucune preuve de sa véracité. La propagation de ce mythe révèle aussi les comportements réels de celles et ceux qui veulent nous le faire croire.

Le système de sélection au Québec des personnes immigrantes qui se destinent au marché du travail, communément appelé les travailleurs qualifiés, a toujours donné lieu à une immigration économique majoritairement jeune, scolarisée dans un domaine en demande au Québec, avec une expérience de travail et avec une connaissance du français. Ce système d’immigration permanente, semblable à celui du Canada, avec une grille de sélection flexible permettant de s’ajuster selon les besoins de la société d’accueil est reconnu par l’OCDE comme une réussite. Mais ce processus prend du temps. Il ne vise pas à pourvoir les postes vacants à court terme.

Les employeurs réclament donc la simplification et l’augmentation de l’immigration temporaire. Inutile de faire part de leurs doléances au gouvernement provincial quand l’immigration temporaire relève exclusivement du gouvernement canadien, mais ils le font quand même. Ils avouent ouvertement qu’ils cherchent les personnes peu scolarisées. C’est le monde à l’envers quand l’Institut du Québec déplore le « boulet » de la faible scolarisation des travailleurs à Montréal qui tire la ville vers le bas dans le palmarès des villes nord-américaines.

Ces groupes d’employeurs cherchent donc les personnes immigrantes pour les emplois à bas salaire, souvent précaires, avec les conditions de travail difficiles. Encore une fois, une étude citée partiellement par le ministère dans son document de consultation conclut que les résidents temporaires rendus permanents travaillant dans des emplois non spécialisés gagnent beaucoup moins pour plus longtemps que les personnes arrivées par le processus de sélection permanente.

Le Globe and Mail a publié, au mois de juin, les résultats d’une enquête accablante sur le programme de travailleurs étrangers temporaires. Le Vérificateur général du Canada a signalé au début de 2017 qu’aucune évaluation n’a été faite du programme pour mesurer ses effets sur le marché du travail et l’OCDE qui avait des commentaires positifs pour le système d’immigration permanent canadien a constaté qui les données n’existent même pas pour juger les résultats du programme temporaire le plus important.

Même le premier ministre Legault a compris les lacunes dans les demandes des groupes d’employeurs et a renvoyé la balle aux entreprises en leur disant qu’elles pouvaient contribuer à régler le problème de pénurie de main-d’œuvre en rendant les postes vacants plus attrayants pour les Québécois.

Le temps est arrivé une fois pour toutes d’arrêter de lancer les propositions de seuils d’immigration basées sur les mythes et la désinformation et de baser cette décision importante sur une lecture objective des besoins culturels, linguistiques et socio-économiques de la société québécoise ainsi que sur les ressources disponibles pour répondre efficacement aux besoins d’intégration des personnes qui choisissent de joindre à nous. Il est temps aussi de prendre notre responsabilité dans un processus d’intégration réussie pour le bien commun.