Falardeau : l’intellectuel et le militant

2019/10/03 | Par Alain Dion

Crédit photo: David Lepage.

« La lutte est un rituel qui permet de régler au niveau de l’inconscient, mais au niveau de l’inconscient seulement, les conflits vécus quotidiennement dans la société. La lutte, spectacle compréhensible, intelligible pour un peuple exploité, pour que l’exploitation se perpétue. Un peuple exploité intègre dans son inconscient les schémas du maître.» - Pierre Falardeau

Pour les cinéphiles fréquentant déjà l’œuvre de Pierre Falardeau, Continuons le combat, constitue le premier documentaire tourné par le cinéaste. Plus d’un sera surpris de découvrir maintenant, avec la parution de ce nouvel ouvrage, que ce film sur la lutte réalisé en 1971 était en fait le volet cinématographique accompagnant son mémoire de maîtrise qu’il déposa en 1975 alors qu’il était étudiant en anthropologie à l’Université de Montréal.

Intitulé simplement La lutte, ce travail de maîtrise porte entre autres sur le rôle et les fonctions sociales de la lutte, spectacle très populaire au Québec à l’époque, en l’abordant par le biais du mythe et du rituel en tant que système symbolique. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur des penseurs de la décolonisation comme Frantz Fanon et Albert Memmi qui auront marqué profondément son travail d’écrivain et de cinéaste tout au long de sa carrière que Falardeau développe son analyse, illustrant à travers ses observations les multiples mécanismes de l’aliénation du peuple québécois. L’intellectuel et le militant n’étant jamais bien loin. Toujours soucieux de demeurer proche du peuple québécois, Falardeau a fait le choix de rédiger sa thèse dans une langue qui mettra « à la portée de tous des interprétations qui ne dépassent pas habituellement les cadres des départements universitaires.»

Quelques textes ont été insérés dans cette nouvelle parution afin de mettre en relief différentes facettes du travail du cinéaste-écrivain. Parmi ceux-ci, nous retrouvons un extrait du livre d’entretiens Pierre Falardeau persiste et signe publié à l’Hexagone en 1999 par Mireille Lafrance. Judicieusement choisi, cet extrait aborde la genèse de son film Continuons le combat, témoignant de sa démarche académique, des moyens limités lors du tournage et de ses influences cinématographiques de l’époque. Nous y découvrons avec bonheur ses maîtres à penser le cinéma, les cinéastes de l’équipe française de l’ONF, Arthur Lamothe, Pierre Perrault et Gilles Groulx qui eux aussi, à leur manière, cherchaient à décoloniser le paysage cinématographique, politique et social du Québec.

Publié aux Éditions du Mur, ce livre posthume de Pierre Falardeau fascinera tout autant les militantes et les militants indépendantistes que les amateurs de son cinéma. Même si ce texte de maîtrise déposé en 1975 a passablement vieilli (les références aux lutteurs des années 70 pourraient rebuter quelque peu les plus jeunes), il n’en recèle pas moins toutes les préoccupations sociales et politiques qui ont façonné l’œuvre du cinéaste. Tout au long de sa carrière, Pierre Falardeau a cherché à mettre en lumière les mécanismes d’aliénation et d’asservissement qui ont maintenu son peuple sous une forme ou l’autre d’exploitation et de dépendance.  

Signant une postface très riche en références cinématographiques et littéraires, Céline Philippe, doctorante en études littéraires et auteure d’une thèse de maîtrise sur Elvis Gratton, résume parfaitement la démarche émancipatrice et décolonisatrice que Pierre Falardeau a menée sa vie durant: «Pour qu’un peuple souhaite se libérer de «ses chaînes», encore doit-il être conscient de leur existence…» C’est à cela et plus encore que le lecteur est convié à la lecture de Continuons le combat.

 

Continuons le combat (étude anthropologique sur la lutte), Pierre Falardeau, Les Éditions du Mur, 2019