Une manière de vivre, un film de Micheline Lanctôt

2019/11/08 | Par Pierre Jasmin

La mère, Gabrielle Lazure et la fille, Rose-Marie Perreault sauront se déprendre du vide commercial où elles s’étaient momentanément égarées

 

L’auteur est membre des Artistes pour la paix

Les cinéphiles du Québec et tout le public en général éprouvent depuis 1972 un sincère attachement à Micheline Lancôt, à sa propre manière de vivre, à celle qui se livre de sa voix rauque avec une franchise totale à chacune de ses nombreuses entrevues.

Un parcours d’une totale intégrité

Les plus jeunes ont apprécié son personnage d’Unité 9 sachant dynamiter les préjugés machos, tandis que les plus vieux se souviennent de la fabuleuse actrice, native de Frelighsburg, héroïne de la vraie nature de Bernadette, de l’apprentissage de Duddy Kravitz et, remontons dans le temps, de Guibord s’en va-t-en guerre, où tour à tour Gilles Carle, Ted Kotcheff et Philippe Falardeau mettaient à rude épreuve la foi naïve des bobos superficiels  en les vertus pacifiantes de retours possibles en la bucolique et pure (!) campagne.

Si de nombreux étudiants profitent de l’enseignement du livre de Micheline Lanctôt Lettres à une jeune cinéaste, les pacifistes ont développé une grande complicité avec l’œuvre satyrique de Michel Garneau récemment rééditée, les guerriers, à partir de laquelle elle avait développé son extraordinaire téléfilm : deux des plus brillants non-acteurs québécois, l’humoriste Patrick Huard et le pianiste-chanteur Dan Bigras contribuèrent par leur fougue à en faire une œuvre-phare de l’antimilitarisme.

On se contentera de souhaiter que Radio-Canada la rediffuse en une période où le Canada s’humilie en appuyant les dérives guerrières de l’OTAN et les pires dépenses militaires de son histoire, sans qu’aucun des grands médias n’en fassent état, alors que le Monde Diplomatique s’indigne de l’OTAN en page frontispice et que même Emmanuel Macron évoque avec audace le retrait possible de la France de l’organisme militariste.

Chef d’œuvre… pour sa première moitié

La première partie d’Une manière de vivre représente à mes yeux (et oreilles) un sommet cinématographique tel qu’on en voit peu (combien pâle, le nouvel Almadovar, en comparaison!).

La réalisatrice ne nous a pas habitués à des prises de vue d’un esthétisme aussi achevé que chez Antonioni, nous plongeant directement dans les drames vécus par ses trois protagonistes si bien campés : grâce sans doute à une communication de pensée exceptionnelle entre les deux créatrices, Catherine Major nous offre à cette occasion une partition de piano magique, tant par son style que par son interprétation et la qualité somptueuse de sa captation sonore.

Elles seront hélas mises à rude épreuve par les musiques country de la dernière partie du film qui s’essouffle, comme ses personnages dont les nouvelles quêtes ne sont qu’esquissées.

Grâce à ses œuvres déroutantes, tel Autrui, son avant-dernier film, la réalisatrice a toujours ressenti le besoin d’éprouver ainsi les fondements de notre attachement : est-ce en reflet de notre inachèvement québécois, puisque je confesse le même défaut dans mes propres parcours artistique et militant ?

En partant, le film est desservi par une affiche publicitaire centrée sur Laurent Lucas, en volonté manifeste de profiter en exportation européenne de la belle carrière du comédien, dont les qualités sont indiscutables, là n’est pas la question.

Mais de là à réduire le complexe personnage incarné par Rose-Marie Perreault en fantasme érotique du français quinquagénaire me semble une flagrante et grossière contradiction du propos du scénario.

Ses trois personnages requièrent notre égale attention. Car on s’attache aux souffrances (celles qu’elle s’inflige, ainsi qu’aux autres) de la jeune Rose-Marie qui crève l’écran et de celles de sa mère, jouée sobrement et dignement par Gabrielle Lazure volontairement plus effacée, bien davantage qu’à celles introspectives mâles, un thème déjà trop exploré au cinéma.

Bien sûr, nous intéresse – aussi - l’histoire de ce philosophe vulgarisateur de Spinoza pittoresquement ressuscité par Ariel Ifergan dans le film. Andrée Ferretti avait su, dans son roman non autorisé autobiographique, nous livrer ses réflexions, avant Hypathie, sur l’Éthique de ce « philosophe qui n’a cessé de me conforter dans ma propre manière d’être, de penser et d’agir».

Le film de Lanctôt reprend avec adresse cette incarnation proche de l’animisme amérindien au questionnement fondamental résumé par Raôul Duguay lorsqu’il entonne : « Il n'y a de repos que pour celui qui cherche ».

Avec ses personnages à la recherche de leur identité profonde, la première du film a été gracieusement offerte au 38e Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, à Rouyn-Noranda : l’équipe du film en a profité pour rendre aussi hommage à plusieurs acteurs de la communauté de Chisasibi, intégrés au scénario avec respect.

L’actrice Rose-Marie Perreault a aussi tenu à rencontrer en toute intimité des élèves de la concentration Théâtre de la Commission scolaire de Rouyn-Noranda, rencontre rendue possible par le Volet jeunesse André-Melançon du festival.